Ah, les regrets, les regrets…
Quand on écoute Au bout du rang (La Tribu/Sélect), il est impossible de ne pas songer que cet album, Marie-Annick Lépine devait le porter en elle depuis toutes ces années passées à harmoniser et violonner joyeusement au sein des Cowboys Fringants. On pourrait aller jusqu’à dire que la gestation de ces 14 chansons à saveur résolument folklorique remonte à son enfance, puisqu’elles se veulent une réflexion sur ce que le temps – ou le progrès, ou le cynisme, ou la loi du plus fort – nous ont volé. Nostalgique mais lucide, Lépine ouvre son album de photos de famille pour […]
D’ombre et de lumière
À l’instar des bluesmen et des chamanes, Zachary Richard est de cette race d’hommes qui se bonifient – et se tonifient – avec le passage des ans. Ce sont de vieilles âmes, des détenteurs de recettes ancestrales, dont les voix et la prestance nous rappellent que le folklore est, à la base, la formulation de mythes, et que les mythes, c’est inquiétant, voire dangereux. Alors que d’autres artistes se renouvellent en allant chercher ailleurs, Zachary n’a qu’à plonger ses racines dans les musiques et la mémoire du Bayou – et désormais du Québec – pour en extraire la sève intoxicante. […]
Médecine douce
Les musiciens ayant toujours été des pourvoyeurs de baumes sonores, on ne s’étonnera pas que Daniel Lavoie assume ce rôle sur Docteur Tendresse (GSI Musique/Sélect), surtout qu’il possède la voix – et la tête – du personnage. Contrairement aux autres toubibs de la scène musicale (Dr. Hook, Dr. John et Dr. Feelgood viennent à l’esprit), Lavoie est plutôt du genre à pratiquer la médecine douce. Tantôt fraternel, tantôt paternel, ce nouvel album semble issu du désir de réconforter alors même qu’il dénonce, au point où on a presque l’impression, par moments (sur la chanson titre et le très joli Les […]
Un garçon dans le vent
Avec un titre comme J’aime le vent (TNT Productions/Sélect), il est naturel que l’opus 4 de l’auteur-compositeur acadien Danny Boudreau soit ouvert à une foule de courants et d’influences. Jouant la carte de la dualité – entre poésie et mélodie, entre yéyé et chansonnier, entre la mer et les plaines, entre bonheur et mélancolie – ce nouvel album devrait enfin permettre à Boudreau de monopoliser les ondes et d’accéder au degré de notoriété d’un Boucher, d’un Dumas ou d’un Bélanger. Et son timing ne pourrait être meilleur: le temps que le bouche à oreille fasse son effet, des tubes en […]
La ballade de Dalton
On a beau être en février et donc très loin de l’heure des bilans, mais il n’est pas prématuré de parler ici de la réédition de l’année. Enfin, de ma réédition de l’année. Ce trésor trop longtemps égaré dans les limbes de vinyle – et qu’une poignée de mélomanes avisés attendait depuis des lustres – a pour titre In My Own Time, de Karen Dalton. Karen qui, me direz-vous? Pour simplifier, disons que si Billie Holiday était née dans une cabane de mineurs au fin fond du Kentucky, elle aurait probablement possédé la voix de cette mystérieuse métisse (mi-Cherokee, mi-Blanche) […]
Poésie symphonique
Au fil des siècles, la pratique de la transcription a fourni l’occasion à des musiciens – tantôt compositeurs eux-mêmes, tantôt chefs d’orchestre ou solistes – d’adapter des œuvres de référence à un autre cadre, en condensant tout le matériau mélodique et harmonique d’une symphonie aux 88 touches du piano (comme Liszt l’a fait pour Beethoven) ou, à l’autre extrême, en rendant explicites les couleurs orchestrales suggérées par une pièce écrite pour le piano, comme en témoigne Children’s Corner (ATMA), qui jette un regard neuf sur le répertoire de Claude Debussy. Si, dans la première moitié du XXe siècle, une foule […]
Réflexions sur le Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens
Comme tous les galas, celui-là a connu sa part de magie et sa part de couacs, alternance d’émotions partagées et d’occasions manquées. Mais contrairement aux autres remises de prix, qu’il s’agisse des Junos, des Grammys, des Félix ou des Trille Or, le gala du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens, dont la 4e édition s’est tenue au Palais des congrès le 28 janvier, ne fait que des gagnants puisqu’il se donne pour mandat de célébrer les artistes – et les chansons – qui sont fermement ancrés dans notre mémoire collective, de même que ces œuvres et créateurs dont il convient […]
L’art de la surprise
Chaque fois que je commence à croire que je n’aurai plus jamais de coup de cœur francophone, une galette surgit de nulle part pour restaurer ma foi. Il faut dire que Être… (L’A-be/Sélect), de Brigitte Saint-Aubin, déborde de ce qu’on devrait être en droit d’attendre d’un nouvel album et, surtout, d’une nouvelle artiste: un élément de surprise. Se tournant vers la musique – son premier amour – après s’être fait connaître à la télé (Majeurs et vaccinés) puis au cinéma (Québec-Montréal), Brigitte a concocté une œuvre qui n’est pas chiche en petits bonheurs de poésie complice (dont Les nyctalopes galopent, […]
Les petits bonheurs d’un grand artiste
On ne devrait pas avoir le droit de pondre des chansons quand on est en proie à une peine de cœur ou une quelconque crise existentielle. Le chagrin, pour un auteur-compositeur, c’est comme les stéroïdes pour un athlète: ça fausse la donne, ça rend la performance trop facile. Le véritable exploit serait plutôt d’écrire des chansons lorsqu’on est heureux, ou, mieux encore, d’écrire des chansons heureuses. En ce sens, Confiance (Audiogram) est un disque héroïque. Et de dire que le plus récent opus de Michel Rivard respire le bonheur, comme si cela allait de soi, ne rendrait pas justice au […]
Sous le signe des hommages… et le swing du jazz
Durant la fin des années 40 et le début des années 50, le pianiste américain Thelonious Sphere Monk était carrément «dans la zone», comme on dit de nos jours, contribuant à la révolution bebop une poignée de thèmes – Ruby My Dear, Mysterioso, Crepuscule With Nellie et l’incontournable Round Midnight – qui figurent encore au répertoire de l’idiome. Puis, au fur et à mesure que lui vint la reconnaissance internationale (rappelons qu’il fut un des seuls jazzmen à se retrouver sur la couverture de Time, en 1964), la source se tarit, et Monk se contenta de revisiter mille fois ses […]
Fixer le temps… aux années 80
Je dois reconnaître qu’au début, j’ai eu du mal à comprendre l’engouement suscité par Dumas, qui s’est imposé au rang des incontournables de la pop québécoise. Et Fixer le temps (Tacca/Sélect) n’a pas dissipé le doute: s’il semble d’abord terni par une sonorité pâteuse, qui détone de la plupart des productions actuelles, cet opus 3 est de ces albums dont il convient d’apprivoiser les climats au fil des écoutes. Une fois l’oreille accoutumée au flou sonore dans lequel baignent voix et paroles, on découvre une généreuse proportion de chansons au charme insidieux, qui n’attendent que les grandes salles – et […]
Menu Monnet
Quinze ans après l’émergence de Thomas Fersen et Cie, la «nouvelle chanson française» n’a de nouveau que son nom. Avec ce quatrième album en moins d’une décennie, Franck Monnet semble vouloir signaler son éloignement partiel du genre de folk onirique et ironique (ironiconirique?) qui avait fait le charme de ses Embellies en 2000. Non que Monnet ait tout à fait rompu avec le minimalisme acoustique auquel on reconnaît l’étiquette Tôt ou Tard (qui l’accueille depuis ses débuts, aux côtés du Fersen précité), mais sur Malidor, il y côtoit une poignée d’exercices en formule guitare-basse-batterie, qui suggèrent une certaine nostalgie pour […]