Assurer la viabilité financière des universités de langue française en Ontario

OPINION – Retour sur le rapport Harrison et ses trois «options»

UOF, Université de l'Ontario français
L'Université de l'Ontario français, à l'étage du 9 rue Lower Jarvis, près du lac.
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Publié 13/03/2024 par Normand Labrie

En novembre dernier, le gouvernement de l’Ontario publiait le rapport du Groupe d’experts pour la viabilité financière du secteur postsecondaire, présidé par le professeur Alan Harrison, intitulé Assurer la viabilité financière du secteur de l’éducation postsecondaire de l’Ontario. Ce groupe de travail avait reçu le mandat ingrat d’examiner la viabilité financière des collèges et universités de l’Ontario lorsque l’on sait que le réel problème est celui de leur sous-financement par la province.

Un chapitre du rapport est consacré aux universités de langue française, et plus précisément aux deux seules qui sont entièrement gouvernées par des francophones, l’Université de l’Ontario français (UOF) et l’Université de Hearst.

Les autres universités de la province offrant des programmes de langue française sont des institutions dites bilingues, i.e. Université d’Ottawa, Université Laurentienne et Collège Glendon de l’Université York.

Universités, postsecondaire
Le rapport Harrison (2023).

Trois options

Le rapport propose trois options visant à réduire la vulnérabilité financière de ces deux institutions, soit:

  • leur prise de contrôle par l’Université d’Ottawa par le biais de leur affiliation;
  • leur association avec les collèges de langue française, le Collège Boréal de Sudbury et le Collège La Cité d’Ottawa;
  • et leur mise en réseau avec l’ensemble des institutions offrant des programmes et cours de langue française.

Avant de commenter ces trois recommandations, mentionnons que le seul membre francophone du groupe d’experts a exprimé sa dissension par rapport à cette section du rapport. Le président du groupe d’experts a néanmoins choisi de s’aventurer sur une voie fort spéculative, et à mon avis sans avenue, en choisissant de publier ces options.

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1 – Fédérer l’UOF et Hearst à Ottawa?

La première option consiste à une fédération de l’Université de l’Ontario français et de l’Université de Hearst à l’Université d’Ottawa.

L’Université de l’Ontario français et l’Université de Hearst sont les deux seules universités entièrement francophones de la province gérées «par et pour» les francophones, c’est-à-dire qui opèrent entièrement en français, et dont la gouvernance est assumée par un conseil de gouvernance en charge des politiques et des budgets, et par un sénat pour ce qui est des questions académiques, tous deux formés de membres francophones.

Les autres universités offrant des programmes en français, dont l’Université d’Ottawa, sont des universités bilingues dont la gouvernance est assumée par des instances formées majoritairement de membres anglophones.

Tous pour un…

Supposons un instant que la solution aux défis budgétaires rencontrés par les petites institutions universitaires de la province soit leur fédération à des universités de plus grande taille qui accepteraient d’en prendre le contrôle. Si une telle solution était viable, elle le serait pour l’ensemble du système, et non pas seulement pour les deux seules universités francophones.

Jill Dunlop.
Jill Dunlop, la ministre des Collèges et Universités de l’Ontario.

Elle supposerait par ailleurs une refonte majeure du système d’éducation postsecondaire en Ontario passant par la modification par voie législative des chartes universitaires de toutes les institutions concernées.

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Le gouvernement de l’Ontario serait-il prêt à s’engager dans un programme législatif d’une telle envergure pour modifier la gouvernance de ses universités lorsque le problème réel en est un tout simplement de sous-financement dont il est le premier responsable?

Déficits

Qui plus est, quelle grande université, qui lutte déjà avec le sous-financement dans le contexte actuel serait intéressée à absorber une petite université en proie à une instabilité financière?

Rappelons que selon une analyse du Conseil ontarien des université, 10 des 23 universités de la province affichent un déficit au montant de 175 millions $ pour l’année académique en cours, et que ce dernier devrait augmenter à 273 millions $ l’an prochain.

L’Université d’Ottawa compte parmi les universités affichant un manque à gagner qui s’élevait à 76 millions $ l’an dernier, tandis que sa dette à long terme est de 600 millions $, l’obligeant à effectuer des coupes dans ses budgets d’opérations et à considérer la mise sur pause des admissions dans certains de ses programmes académiques.

Pas dans l’intérêt de l’UOF

Dans ce contexte d’austérité, quel serait l’intérêt de l’Université d’Ottawa de prendre en charge les deux universités francophones par leur affiliation si ce n’est de percevoir leurs revenus?

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L’affiliation à l’Université d’Ottawa n’est certainement pas dans l’intérêt de l’UOF. D’ailleurs cette option avait été examinée par le Conseil de planification pour une université de langue française en Ontario. Ce scénario avait été clairement rejeté, car il ne répondait pas à l’objectif faisant consensus dans la communauté francophone de disposer d’une institution universitaire de langue française qui ne soit pas soumise aux aléas d’un conseil de gouvernance et d’un sénat à majorité anglophone.

Par ailleurs, l’Université de Hearst vient tout juste de s’affranchir de son affiliation à l’Université Laurentienne dans la foulée de la débâcle financière et de la déconvenue de la gouvernance de cette dernière. Hearst jouit enfin de pleine autonomie pour sa gestion et pour le développement de ses programmes académiques.

UOF
Le rapport fondateur de l’UOF (2017).

Limiter, réduire, couper…

Revenons à la question de savoir quel serait l’intérêt pour l’Université d’Ottawa d’obtenir l’affiliation de l’UOF.

La réponse qui vient à l’esprit est très simple: son appropriation des revenus, jumelée à une réduction des dépenses et investissements en limitant l’offre de programmes, en réduisant la qualité de ces derniers par l’emploi de professeurs contractuels, et en réduisant les services aux étudiants et aux collectivités du Centre-Sud-Ouest.

En somme, ce serait un retour à la situation qui prévalait dans le Centre-Sud-Ouest avant la création de l’UOF.

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Cabale contre l’UOF

L’Université d’Ottawa a très mal vu l’arrivée d’une nouvelle institution universitaire dans le paysage ontarien, compte tenu qu’il s’agissait d’une institution de langue française et que son arrivée signifiait pour elle un nouveau partage de l’assiette budgétaire fixe destinée aux institutions bilingues qui risquait de se traduire par une réduction relative de sa part.

Il suffit ici de rappeler que le recteur de l’Université d’Ottawa, le professeur Jacques Frémont, a tenu une rencontre secrète à Queen’s Park peu avant l’annulation par le gouvernement ontarien du financement de l’UOF en 2018 dans laquelle il avait été proposé d’écarter le projet de l’UOF au profit d’une solution de rechange gérée par les universités bilingues, à savoir par l’Université d’Ottawa et l’Université Laurentienne.

Cette rencontre secrète avait été tenue en bonne compagnie, puisque le recteur de l’Université Laurentienne de l’époque, le professeur Pierre Zundel, accompagné de l’ancien recteur Dominic Giroux, faisaient partie de la délégation, aux côtés du président du Collège Boréal, Daniel Giroux.

On peut facilement imaginer aujourd’hui quel serait le sort de l’UOF si cette proposition avait été retenue.

Certes, suite à cette rencontre, le gouvernement de l’Ontario a exprimé son intention d’annuler le projet de l’UOF dans son premier énoncé budgétaire en plus de couper ses budgets temporairement.

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Le gouvernement est revenu sur sa décision face à la mobilisation massive de la communauté francophone en Ontario et dans le reste du pays, et grâce à une entente provinciale-fédérale habilement négociée par les deux paliers de gouvernement en vue de la création des conditions budgétaires assurant le maintien et le développement de l’UOF.

2 – Associer l’UOF, Hearst, Boréal, La Cité?

La deuxième option avancée par le président du groupe d’experts vise l’association de l’UOF et de l’Université de Hearst au Collège Boréal de Sudbury et au Collège La Cité d’Ottawa.

Dans le cas de l’UOF, des partenariats fructueux ont effectivement été engagés avec le Collège La Cité.

  • En commençant par le tout premier certificat en pédagogie postsecondaire offert par l’UOF à La Cité dès sa mise sur pied.
  • Suivi d’une entente signée récemment balisant le parcours de transferts de programme Techniques de médias et communications numériques (TMCN) du Collège La Cité vers le programme Baccalauréat spécialisé en études des cultures numériques (ECN) de l’Université de l’Ontario français.
  • Et la création d’un nouveau baccalauréat en administration des affaires qui sera offert conjointement à compter de 2024.

Bien que ce type de partenariat soit fort louable du fait qu’il stimule les échanges d’expertise entre les professeurs du collégial et de l’université, qu’il favorise les passerelles pour les étudiants des deux secteurs et qu’il engendre des économies d’échelle, on est encore loin de la solution au sous-financement chronique des institutions postsecondaires de la province.

Pour ce qui est d’une association de l’UOF avec le Collège Boréal, divers projets ont été considérés à commencer par la collaboration dans le domaine de la petite enfance, tel que proposé par le Conseil de planification pour une université de langue française en Ontario.

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Malheureusement, le lien de confiance entre les deux institutions est tombé à son plus bas suite à la participation du président du Collège Boréal, Daniel Giroux, à la rencontre secrète tenue à Queen’s Park mentionnée plus haut.

3 – Un consortium?

La troisième option avancée par le président du groupe d’experts visant la mise en place d’un réseau intégré ou un consortium favorisant la collaboration entre tous les établissements d’enseignement postsecondaire francophone et bilingue a déjà été considérée à plusieurs reprises au cours des dernières décennies.

Il y a deux obstacles principaux à la réussite de cette option:

  • premièrement, on doit reconnaître que les institutions appelées à collaborer se trouvent aussi en compétition les unes avec les autres dans un contexte budgétaire restreint;
  • et deuxièmement, les formules de financement se révèlent dissuasives lorsqu’il s’agit de mobilité étudiante entre les institutions compte tenu de la complexité pour la répartition des revenus et des dépenses associés à la mobilité inter-institutionnelle.

Ceci vaut non seulement pour les étudiants francophones, mais aussi pour l’ensemble de la population étudiante de l’Ontario.

Les institutions elles-mêmes disposent de peu de moyens pour rendre cette mobilité viable dans le cadre actuel de financement des universités. Il faudrait pour cela au préalable que le gouvernement de l’Ontario revoit complètement le système de financement des universités en vue de faciliter la mobilité inter-institutionnelle des étudiants au moyen d’incitatifs financiers.

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Anciennes et nouvelles universités

Rappelons que l’UOF et l’Université de Hearst viennent tout juste d’être créées comme universités autonomes. Elles sont, notamment dans le cas de l’UOF, en pleine période de démarrage et de développement de programmes.

Ce qui ne correspond nullement au statut actuel des autres universités de langue anglaise, incluant les universités bilingues, qui ont d’ailleurs profité de décennies de financement de la part des gouvernements successifs, contribuant à un large éventail de programmes en vue de répondre adéquatement aux besoins variés de la clientèle étudiante et du marché du travail de leur région respective.

Pierre Ouellette, UOF
Le recteur de l’UOF, Pierre Ouellette.

Comment peut-on comparer la viabilité d’établissements bien établis depuis des décennies, voire des siècles, avec de jeunes universités qui ne comptent que quelques années d’existence, sans mentionner que ce sont des universités destinées à la minorité d’expression française que cette communauté réclame depuis un demi-siècle?

En somme, les options dessinées par le président du Groupe d’experts pour assurer la viabilité financière des deux seules universités de langue française en Ontario risquent de faire long feu.

Il n’est donc pas surprenant que le seul membre du groupe d’experts ait exprimé sa dissension vis-à-vis cette section du rapport, et que le recteur de l’UOF en ait publiquement demandé la suppression, à juste titre.

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