Soufiane Chakkouche croit au pouvoir des objets

Parution de son cinquième roman Rocking-Chair

Soufiane Chakkouche
Soufiane Chakkouche et ses quatre premiers ouvrages. Photo: Julie Merceur, l-express.ca
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Publié 03/11/2025 par Julie Merceur

L’auteur marocain torontois Soufiane Chakkouche nous présente, en exclusivité, son dernier roman Rocking-Chair. On y raconte la vie d’un écrivain sans succès, dont l’existence va être chamboulée par une gloire soudaine, suite à la découverte d’une chaise magique! Soufiane y aborde l’ego, l’humilité, la quête de pouvoir et la perte de soi.

Brouillant les genres, le finaliste du Prix Trillium 2022 se détache encore une fois de son étiquette d’auteur de polar. C’est l’occasion de revenir sur le parcours de cet homme, ses inspirations et ses aspirations.

Soufiane Chakkouche
La première et quatrième de couverture du roman Rocking-Chair de Soufiane Chakkouche, publié aux Éditions de la Francophonie.

La chaise berçante

Tout est venu de cette chaise. L’écrivain s’est installé en 2019 dans la métropole avec sa femme enceinte. La propriétaire de leur appartement, déménageant à Ottawa, leur a vendu plusieurs meubles, dont cette chaise. Vieille de 80 ans, elle appartenait à son grand-père.

Il raconte avoir rapidement senti une énergie particulière en écrivant sur cette chaise, qu’il a emportée partout malgré les réticences de sa femme.

«Je lui ai dit : “Cette chaise va se transformer en livre.” C’est comme si son ancienne propriétaire l’avait trahie en me la léguant. J’ai voulu lui redonner vie. Or, le meilleur moyen pour le faire, c’est le pouvoir du livre», confie-t-il.

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Soufiane Chakkouche
Soufiane Chakkouche. Photo: Ben Addou Idrissi Youness

Les ondes de la pierre

L’histoire qui mène à l’écriture de ce nouveau roman illustre bien le processus de création de Soufiane Chakkouche. L’auteur ne puise pas dans son vécu, mais dans ce qu’il observe autour de lui. «Je m’inspire de la rue», explique-t-il.

Ici, le véritable protagoniste n’est pas Joshua Lomu, mais bien la chaise.

«C’est comme si ce livre m’avait été soufflé par cette chaise. J’ai toujours cru que les objets ont plus de choses à raconter que les humains. Cette chaise a une histoire. Peut-être qu’elle a appartenu à un écrivain.»

Il dit avoir besoin de s’imprégner d’un lieu, d’y aller, d’en sentir les odeurs et les sons, avant d’y situer une histoire. C’est pourquoi, six ans après son arrivée, il se permet enfin de placer une intrigue située au Canada, qui plus est à Toronto.

Ses récits précédents prenaient place dans des endroits ayant une signification particulière pour lui. Il est né à Casablanca, a étudié à Paris et connaît bien Beyrouth.

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Soufiane Chakkouche
Soufiane Chakkouche (à d.) et d’autres écrivains invités à une soirée littéraire, en mars 2025, chez la lieutenante-gouverneure de l’Ontario, Edith Dumont. Photo: Facebook

Un auteur impliqué dans sa plume

Pour écrire les passages situés sur les îles de Toronto, il s’y est rendu, traversant le lac afin de capter l’atmosphère du lieu.

«Pour écrire L’Inspecteur Dalil à Paris, j’y suis retourné, pour y passer du temps. J’ai besoin d’une sorte d’immersion. Pour moi, la pierre dégage des ondes», affirme-t-il.

C’est un investissement exigeant, mais toujours un plaisir. Il rappelle que romancier, c’est un vrai métier, qui demande endurance et discipline. «Tout le reste compte moins, même la famille. Les résidences d’écriture sont très pratiques pour ça.»

Toronto, la ville des opportunités

L’auteur s’est installé à Toronto «à cause ou grâce» à Zahra. Ce livre raconte la vie d’enfants travaillant dans des maisons de familles riches. En raison de la sensibilité du sujet au Maroc, aucune maison d’édition n’osait la publier.

Le Canada s’est imposé comme un pays de liberté. En s’installant à Toronto, son choix a pris tout son sens.

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«J’étais dans une rame de métro. Autour de moi, il y avait six langues, je les ai comptées. Je me suis dit que c’était ici que je voulais vivre. Je ne me sens pas maghrébin ou musulman ici, je me sens juste moi. Les communautés ne sont pas fermées.»

C’est aussi la vivacité de la vie culturelle qui l’a séduit. Beaucoup de portes se sont ouvertes à lui. Il a pu entamer une formation de scénariste, ainsi qu’un recueil de poésie.

«C’est la ville de toutes les opportunités. La phrase “quand on veut, on peut” fonctionne ici. J’ai pu obtenir des subventions du Conseil des arts, me permettant d’écrire mon livre.»

Soufiane Chakkouche
Zahra, de Soufiane Chakkouche, publié aux Éditions David.

Journaliste et auteur: quête de justice

Soufiane Chakkouche est à la base ingénieur. Puis, par la force des choses, il est devenu journaliste, puis journaliste d’investigation au Maroc. Néanmoins, s’il devait choisir, il vivrait de sa plume.

«Je suis journaliste pour nourrir le corps et écrivain pour nourrir l’âme,»

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Dans les deux cas, c’est le même moteur: dénoncer l’injustice, au moyen d’enquêtes journalistiques ou de fictions policières.

Relativement connu grâce à sa série L’Inspecteur Dalil, il refuse pourtant d’être enfermé dans l’étiquette du polar.

C’est son drame Zahra qui lui a permis de s’en détacher. «Je n’aime pas les cases, car je n’aime pas les frontières en général. Il faut s’ouvrir aux autres et au monde. Le racisme et la bêtise viennent de ces cases.»

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Le roman L’inspecteur Dalil à Paris, de Soufiane Chakkouche, publié aux Éditions Jigal.

La loi de Pareto

Il applique la loi de Pareto à son écriture: 80% de recherche et 20% de rédaction, avec une exigence de précision quasi journalistique. «Il m’arrive d’appeler des avocats ou des policiers pour être sûr que je ne dis pas de bêtises.»

Au niveau des influences littéraires, Soufiane Chakkouche ne se considère pas dans une lignée d’auteurs spécifiques. «Je ne suis pas rat de bibliothèque, je suis plus inspiré par le vivant. Comme disait Charles Bukowski, “J’ai voulu être écrivain pour pouvoir faire la grasse matinée.”»

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«Néanmoins, plus jeune, j’ai beaucoup lu Taha Hussein ou S.A.S.» La littérature arabe reste une grande part de ses influences. Il aimerait un jour pouvoir être traduit en arabe littéraire.

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Soufiane Chakkouche (à g.) participait récemment, à Ottawa, au Salon du livre afro-canadien. Photo: Facebook

Un auteur reconnu par la critique

Finaliste de plusieurs distinctions, dont le Grand Prix de littérature policière (2019) et le Prix Trillium (2022), il a aussi reçu une mention spéciale du jury du Prix Alain Champlain (Canada) et du Salon du livre de Toronto.

Un travail reconnu, mais qui ne lui permet toujours pas d’en vivre pleinement. Ceci est notamment dû à la situation minoritaire de la communauté francophone en Ontario. Les auteurs francophones peuvent facilement se retrouver en situation de précarité si c’est leur seule source de revenus.

«Je dis toujours que le métier d’écrivain est le moins bien payé au monde. En comptant véritablement le temps passé à écrire par rapport au revenu, on gagne à peu près un centime de l’heure. C’est encore pire dans une communauté minoritaire.»

«Mon rêve de vivre uniquement de ma plume n’est pas encore arrivé, mais je suis en chemin», croit-il.

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Soufiane Chakkouche
Soufiane Chakkouche interviewé par Ghita Rmissi Zine, en avril 2025, au stand du Conseil national des droits de l’Homme au Salon International de l’Édition et du Livre à Rabat (Maroc). Photo: Facebook

Prochain épisode: de l’amour tragique

À peine son livre terminé, Soufiane pense déjà à la suite: il veut tenter, pour la première fois, d’écrire deux histoires à la fois. D’abord L’Inspecteur Dalil à Toronto, puis une histoire d’amour, au Maroc, entre un garçon musulman et une fille juive.

Dans le contexte géopolitique actuel, ce livre voudrait donner espoir, pour montrer le mal qu’est la guerre, et la seule solution qu’est l’amour.

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