L’expansion de l’incinérateur de Brampton ne fait pas l’unanimité

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L'incinérateur de Brampton. Photos: captures d'écran d'une vidéo d'Emerald Energy.
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Publié 14/02/2025 par Soufiane Chakkouche

Le dossier est littéralement brûlant! Le projet d’expansion de l’incinérateur de déchets de Brampton, appartenant au géant américain Emerald Energy, fait couler beaucoup d’encre.

Et pour cause, ce réaménagement a pour but de quintupler la capacité de traitement de l’installation afin de répondre à une demande en constante augmentation en provenance des villes ontariennes, faisant craindre une pollution de la faune et la flore environnante.

«Si la situation ne change pas, l’Ontario deviendra de plus en plus dépendant des États-Unis pour l’enfouissement des déchets, ce qui présente un risque sanitaire important en cas de perturbation de la chaîne d’approvisionnement ou de fermeture de la frontière internationale en situation d’urgence», fait remarquer d’emblée Joe Lyng, directeur général d’Emerald Energy.

Et de poursuivre: «Nous avons décidé de réaménager notre site pour aider la province à relever deux défis majeurs: la diminution de la capacité d’enfouissement en Ontario et le besoin croissant de la province en énergie.»

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Une métropole comme Toronto produit des centaines de milliers de tonnes de déchets par année.

Cinq fois plus de déchets traités

Ce «réaménagement» est en fait une extension de taille de l’installation actuelle située au 7656 Bramalea Road, à Brampton. À terme, ce chantier permettra au colosse américain de multiplier par cinq sa capacité actuelle pour atteindre 900 000 tonnes de déchets traités par an, soit plus que la quantité de déchets produits par une ville comme Toronto.

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Il faut dire que les responsables d’Emerald Energy ont vu dans le mille, car, si ces derniers ont décidé de multiplier par cinq la capacité de traitement du site, c’est que la situation s’y prête amplement.

En effet, selon les données d’Emerald Energy, l’Ontario génère plus de 12 millions de tonnes de déchets post-recyclage chaque année, et ce volume augmente avec la population. 97% de ces déchets sont enfouis, tandis que seulement 3% sont destinés à la valorisation énergétique.

«Au rythme actuel, les sites d’enfouissement de l’Ontario seront pleins d’ici 2035, alors que l’approbation et l’installation de nouveaux sites d’enfouissement en Ontario constituent un processus très complexe et incertain, nécessitant plus de 10 ans et des millions de dollars», fait savoir Joe Lyng.

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Les déchets sont transformés en vapeur.

Où en est le projet?

Toutefois, si l’approbation d’un nouveau site d’enfouissement peut s’avérer lente et «complexe», une telle expansion l’est tout autant.

Et pour cause, cette «réorganisation», comme préfère l’appeler le directeur général d’Emerald Energy, nécessite des autorisations conformément aux lois suivantes: la loi sur les évaluations environnementales (LEE), la loi sur la protection de l’environnement (LPE) et la loi sur les ressources en eau de l’Ontario (LREO).

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«Nous progressons actuellement dans le cadre de l’approbation de la LEE, appelée évaluation environnementale de portée générale (EEP) qui est un processus de planification publique qui nous oblige à évaluer les effets de notre projet sur les aspects sociaux, économiques et naturels de l’environnement, tels que définis dans la LEE», explique Joe Lyng.

Celui-ci estime qu’il faudrait entre 6 et 12 mois pour obtenir les autorisations conformément à la LPE et à la LREO, une fois l’approbation accordée dans le cadre de la LEE. Et il faut ajouter six mois de préparation de la demande.

Front commun des associations environnementales

La machine est donc lancée, ce qui n’est pas du goût des acteurs environnementaux.

Dans un communiqué conjoint diffusé le 28 janvier dernier, Environmental Defense, l’Alliance environnementale de Brampton, Durham Environment Watch, l’Alliance environnementale de Toronto et l’Association canadienne des médecins pour l’environnement fustigent à l’unisson ce projet et exigent son arrêt immédiat, ainsi qu’une mise à jour de la politique ontarienne sur la pollution.

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Un pipeline transporte la vapeur produite par l’incinération des déchets jusqu’aux utilisateurs de cette énergie.

«Exclure l’incinération comme solution»

«Toronto et d’autres villes doivent définitivement exclure l’incinération comme solution», a déclaré dans le communiqué Emily Alfred, responsable de campagne principale à l’Alliance environnementale de Toronto.

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Et d’ajouter: «Les audits montrent que nous pouvons faire mieux. La majorité des déchets envoyés à cet incinérateur et aux sites d’enfouissement sont des matières organiques et recyclables. Brûler ces déchets libère d’énormes quantités de polluants toxiques et de carbone. C’est une catastrophe climatique.»

Le Dr Sehjal Bhargava, médecin de famille et coprésident du Comité régional de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, parle lui de bombe à retardement.

«La pollution toxique émise par les incinérateurs est liée à de graves effets sur la santé, notamment des maladies respiratoires et des cancers. L’expansion proposée, dans une communauté majoritairement ouvrière et racialisée, met encore plus en évidence les risques auxquels ces populations marginalisées sont exposées.»

Emerald Energy brandit la carte de la science

Pour sa défense, le directeur général d’Emerald Energy fait appel aux résultats des études menées pour les besoins des approbations provinciales.

«Nous ne sommes pas d’accord avec les affirmations de ces associations. Les émissions de notre installation proposée et leurs effets sur la santé de la communauté ont été étudiés dans le cadre de notre EEP. Ces études, menées par des scientifiques et ingénieurs experts, concluent que le projet n’aura aucun impact significatif sur la qualité de l’air ni sur la santé de la communauté.»

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Afin de consolider ses propos, Joe Lyng rappelle que ces études ont été examinées par des experts de la région de Peel et du ministère de l’Environnement, de la protection de la nature et des parcs pour en vérifier l’exhaustivité et la rigueur technique.

De plus, le numéro un de la firme prend à témoin la technologie employée. «Nous installons des équipements de combustion modernes dotés des meilleures technologies disponibles (Best Available Technology: BAT) pour contrôler les émissions. La BAT est définie dans les normes techniques de l’Union européenne pour les projets de valorisation énergétique.»

Des éléments cancérigènes

C’est un argument que Karen Wirsig, cheffe du programme principal plastiques à Environmental Defense, réfute en bloc.

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Karen Wirsig. Photo: courtoisie

«Il est vrai que certains incinérateurs sont moins polluants aujourd’hui, notamment en Europe. Il n’empêche qu’ils génèrent toujours des éléments cancérigènes, comme les dioxines et les furanes, qui sont les éléments les plus toxiques qu’on connaît, et ceux-là on ne peut pas les éviter lors de la combustion du plastique, par exemple.»

Et de poursuivre: «Même en Europe, on commence à voir, avec des études plus étendues et du recul, que ces éléments cancérigènes se trouvent toujours dans les sols, les animaux et les aliments limitrophes à ces incinérateurs.»

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Toronto toujours indécise

Face à cette bataille argumentaire, et à en croire Charlotte Ueta, directrice par intérim des politiques, de la planification, de la sensibilisation et des services de gestion des déchets solides à la Ville, Toronto n’a toujours pas décidé si elle va envoyer ses déchets à l’incinérateur de Brampton une fois ce dernier engraissé.

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Charlotte Ueta. Photo: courtoisie

«On n’a toujours pas finalisé où Toronto procédera à l’incinération contrôlée de ces déchets dans le futur, si tant est cette option serait choisie. C’est trop tôt à ce stade de se prononcer là-dessus.»

Pour rappel, la Ville mène actuellement une série de consultations publiques afin de déterminer quelle solution serait la mieux adaptée pour les Torontois.

«L’objectif de la Ville n’est pas de déterminer une option maintenant, le but est d’explorer et d’étudier toutes les options possibles, y compris l’incinération, mais l’incinération contrôlée dans un environnement fermé où on va brûler les déchets et la chaleur qui en est extraite va servir à produire de l’énergie sans aucun effet sur l’environnement. C’est ce qu’on appelle l’énergie à déchets», développe Charlotte Ueta.

Pour le moment, les responsables de la Ville sont formels, contrairement à d’autres villes ontariennes, les déchets de Toronto ne sont pas envoyés à l’incinérateur de Brampton. Toutefois, cela risque bien de changer, car au regard de la taille de l’expansion de cet incinérateur, il est légitime de penser qu’il a la mégalopole dans le viseur. Affaire à suivre…

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