Le centre-ville, une mine d’art à ciel ouvert

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Les promeneurs de la Société d’histoire de Toronto devant le Centre Rogers. Photos: Marie Oriou
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Publié 15/09/2024 par Dominique Guillaumant

Au centre-ville de Toronto, de l’art public, il y en a quasiment à chaque coin de rue. Mais il est perdu dans toutes les sollicitations visuelles qui nous entourent comme les panneaux d’affichage, les signaux de circulation, les édifices auxquels nous devons porter attention.

De plus, il y a le manque de temps, on est en chemin pour quelque part d’autre, et aussi l’habitude, une oeuvre qu’on a déjà remarquée fait maintenant partie du paysage quotidien. Pourtant, les politiques d’art public ont pour mission de sortir l’art des musées et de le rendre accessible au plus grand nombre.

Le dernier Historitour de la Société d’Histoire de Toronto proposait donc de prendre le temps d’explorer un parcours de deux kilomètres le long et autour de la rue Front pour apprécier et discuter d’une quinzaine de sculptures et installations très diverses.

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La sculpture de Perilli devant la gare Union.

Multiculturalisme et essor de Toronto

La gare est imposante mais juste en avant, à côté de l’horloge, se trouve une oeuvre représentant un homme sur un grand piédestal au centre d’un globe réunissant deux méridiens et entouré de colombes. Cette sculpture de Francesco Perilli est un hommage au multiculturalisme et à la tolérance universelle.

Elle a été offerte à la ville de Toronto par la section torontoise du congrès national des Italo-Canadiens, en 1984 au moment du 150e anniversaire de la municipalité.

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Ce que l’on sait moins, c’est qu’à l’époque, les artistes locaux avaient manifesté leur opposition au choix d’un artiste italien pour célébrer un événement tout à fait torontois. Celui-ci aurait au moins dû vivre au Canada. Cette polémique a fini par être à l’origine de la politique de la ville établissant les critères de sélection en matière d’art public.

Triade
La Triade.

Juste de l’autre côté de la rue University, le groupe s’est arrêté devant la Triade érigée également en 1984 à l’occasion du 150e anniversaire de la ville reine.

Ces trois colonnes s’élevant vers le ciel symbolisent le progrès, l’essor et la prospérité de Toronto. C’est une oeuvre de Ted Bieler un sculpteur de Kingston qui a enseigné les arts visuels à l’Université York. Et dont le père, également artiste visual, est à l’origine du Conseil des arts du Canada.

Le monument aux travailleurs du parc Simcoe

Le parc Simcoe compte pas moins de quatre oeuvres aux thématiques et esthétiques très différentes.

D’abord, on remarque le monument en l’honneur des travailleurs intitulé 100 Workers érigé en l’an 2000 par la Commission de la Sécurité professionnelle et de l’Assurance contre les accidents du travail, mieux connue comme Workplace Security Insurance Board (WSIB) dont les bureaux sont situés au fond du parc.

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Le mur hommage aux travailleurs morts sur leur lieu de travail et la sculpture Anonymity of Prevention.

Le monument est composé d’un long muret en granit sur lequel reposent 100 plaques gravées allant de 1901 à l’an 2000. Chacune d’entre elles représente un cas réel de maladie ou d’accident mortel survenu au travail au cours de cette année-là, sauf pour la dernière plaque laissée vierge.

Les causes de décès sont multiples, allant d’un écrasement par un train ou un piano ou d’une chute dans une mine à un cancer dû à l’amiante.

Juste à côté du muret, une autre oeuvre intitulée The anonymity of Prevention représente un ouvrier avec son équipement de protection. Elle symbolise l’anonymat de tous les travailleurs qui s’ils ont la protection nécessaire ne feront, fort heureusement, jamais partie des statistiques.

Le campement de Lord Simcoe

La troisième oeuvre créée en 1993 pour le 200e anniversaire de Toronto représente l’arrivée et le premier campement de Lord Simcoe en 1792. Arrivant alors de Niagara-on-the-Lake, il établit les bases de Fort York et s’ installa avec sa famille.

Sur une structure métallique rappelant l’armature d’un canot, on peut voir une carte de la baie où Toronto allait se développer.

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Lord Simcoe
L’installation du campement de Lord Simcoe.

Parmi les éléments de l’installation se trouvent: la reproduction d’une aquarelle de 1793 réalisée par madame Simcoe représentant leur campement; du matériel d’arpentage afin d’établir une première carte des lieux; ainsi que des portraits avec biographie de John Simcoe et de sa femme.

La montagne

La quatrième oeuvre du parc Simcoe, érigée en 1995, est intitulée La montagne et comprend 5 montagnes inspirées par la chaîne des Rocheuses.

Créée par l’artiste anglais d’origine indienne Anish Kapoor, elle est faite de 171 couches d’aluminium découpées au jet d’eau. Cette méthode industrielle de travailler le métal est alors relativement nouvelle et économique.

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La montagne en aluminium inspirée des Rocheuses.

Radio Canada et Glenn Gould

L’édifice de CBC-Radio Canada est adjacent au parc Simcoe. À son entrée se trouve une statue intimiste en bronze de Glenn Gould assis sur un banc et datant de 1999. Il est représenté pensif, assis de côté avec son manteau et sa casquette.

Glenn Gould a été longtemps associé à CBC-Radio Canada en tant que pianiste de renommée internationale, mais aussi en tant que communicateur alors qu’il préparait, animait et produisait des émissions visant à rendre la musique classique accessible au plus grand nombre.

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L’oeuvre est de Ruth Abernethy. Cette artiste canadienne, qui vient du monde du théâtre, aime représenter les personnalités comme Oscar Peterson, Sir John A. MacDonald ou la reine Elisabeth de façon intimiste. Elles sont grandeur nature et souvent assises sur un banc, un tabouret ou même par terre.

On peut facilement s’asseoir à côté d’elles comme si on allait leur tenir compagnie ou leur faire la conversation.

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On peut s’assoir avec Glenn Gould près de la salle de spectacle qui porte son nom à l’entrée de la rue Front de l’édifice de CBC/Radio-Canada.

Le Centre Rogers

L’ancien Skydome comprend deux oeuvres de Michael Snow intitulés Audience (auditoire) et représentant les spectateurs. Avec humour, il met en vedette ceux pour qui justement on a construit le stade.

Réalisés en fibre de verre peints couleur bronze, les personnages sont facilement identifiables allant du partisan qui encourage les joueurs, au père de famille qui amène son fils au stade pour la première fois en passant par celui qui ne veut rien manquer avec ses jumelles ou encore à celui qui crie victoire.

audience
Audience, de Michael Snow, au Centre Rogers.

Avant de quitter, on passe devant une oeuvre de Philip Cote, un artiste muraliste issu des Premières Nations. Il est surtout connu pour la murale qu’il a récemment réalisée sur le mur d’une église dans Roncesvalles.

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Celle au centre-ville fait le tour d’un pilier du côté Ouest, près de l’entrée sur le Blue Jay Way. C’est l’occasion pour le Centre Rogers de reconnaître l’apport et la contribution des peuples autochtones à la préservation de Toronto.

Le monument en l’honneur des ouvriers chinois

De l’autre côté du Blue Jay Way, se trouve une structure monumentale.  Cette sculpture réalisée en 1989 par Eldon Garnet a été commandée par un groupe de citoyens canadiens d’origine chinoise qui se sont associés pour créer la Foundation to Commemorate the Chinese Railroad Workers in Canada (FCCRWC).

Sur l’immense échafaudage grandeur nature, on peut voir deux ouvriers en bronze utiliser un système de poulie pour déplacer des poutres de bois. Deux énormes rochers aux pieds de la structure proviennent des Rocheuses.

La FCCRWC tenait à préserver la mémoire des 17 000 ouvriers chinois qui,  de 1881 à 1885, avaient travaillé dans des conditions particulièrement difficiles, à la construction de la voie du chemin de fer entre l’Alberta et la Colombie-Britannique nouvellement entrée dans la Confédération.

La FCCRWC voulait également informer le public des tensions qui existaient avec les autres ouvriers qui étaient payés plus de deux fois plus. Ainsi, on leur donnait souvent les travaux les plus dangereux et plus de 700 d’entre eux étaient morts sur les chantiers, tandis qu’environ 4000 travailleurs chinois étaient décédés pendant les quatre ans de construction.

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Le monument chinois.

Le bateau volant

En fait ce n’est pas une mais deux sculptures en acier installées en 2005 de part et d’autre de Spadina que l’on doit à Francisco Garzitua, un sculpteur chilien. Elles ont été réalisées dans le cadre du 1% que les promoteurs doivent consacrer à l’art public après la tenue d’un concours international.

Si celle à l’Est de Spadina flotte au-dessus d’un plan d’eau, celle à l’Ouest est sur un carré de sable blanc. Ces structures abstraites de vingt mètres de hauteur représentent des bateaux submergés par une vague.

L’artiste est allé puiser son inspiration dans un fait historique survenu durant la guerre canado-américaine de 1812. Alors que les deux goélettes le Hamilton et le Scourge, battant pavillon américain, ont été coulées dans le lac Ontario en août 1813.

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La Barca volante (bateau volant) de Francisco Garzitua.

Canoe Landing

Le parc Canoe Landing, situé dans le nouveau quartier City Place, est l’unique espace vert des quelques 20 000 habitants de la dizaine de tours à condominiums qui l’entourent sur trois côtés. L’espace de huit acres est aussi bordé à l’Est par un centre communautaire, deux écoles et une garderie.

Dès l’étape de conception, le développeur a retenu les services de l’artiste vancouverois Douglas Coupland qui a créé plusieurs oeuvres pour le site.

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The Bentway, Playing in Public
Une installation de Douglas Coupland dans le parc Canoe Landing. Photo: Nathalie Prézeau

Terry Fox Miracle Mile

En arrivant, une des premières choses que l’on remarque ce sont les grands panneaux d’affichage avec des images d’objets anodins comme un dessin d’enfant, une bouteille de champagne et d’autres plus troublantes comme une prothèse dans une chaussure de course. Toutes ces images font partie de l’installation Terry Fox Miracle Mile qui fait le pourtour du parc. Il faut faire deux fois le tour pour parcourir un mile.

Cela permet de mettre en perspective l’exploit de Terry Fox qui, en 1980, a entrepris de traverser le Canada lors de son «Marathon de l’espoir» afin de lever des fonds pour la recherche sur le cancer.

Coupland voulait ainsi rendre hommage au courage et à la persévérance de Terry Fox qui a couru 5373 km, soit presque 143 marathons entre St. John’s à Terre-Neuve et Thunder Bay en Ontario, avant de devoir s’arrêter.

Les flotteurs et le canot

Non loin de là, Coupland a installé une bonne vingtaine de sculptures colorées représentant des flotteurs, comme ceux utilisés à la pêche.

Encore plus loin, en haut d’un promontoire qui a été formé avec des rocs et la terre d’excavation des édifices, Coupland a installé un canot en fibre de verre rouge que l’on peut aisément voir de l’autoroute Gardiner. En fait, il était fait pour que l’on puisse monter dedans et voir jusqu’au lac par-dessus le Gardiner. Près du canot, deux bancs blancs représentent des icebergs.

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Mais, depuis environ une semaine, on y a installé trois bonshommes chacun portant un accessoire en lien avec le canot, tels une carte de navigation, un béret de marin et des jumelles pour voir au loin avec derrière eux, un drapeau marqué Munchies. Cette nouvelle installation semble être soit une commandite, soit une opération publicitaire pour la marque de grignotines.

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Le canot rouge de Douglas Coupland.

Les participants

Au total, une petite trentaine de personnes ont participé à la promenade commentée. Nombreux étaient ceux qui n’étaient jamais venus dans cette section de la ville. Parmi eux, une demi-douzaine d’étudiants qui avaient été invités par leur professeur de français.

En plus de découvrir, comme tout le monde, des oeuvres et des artistes qu’ils ne connaissaient pas, cette visite les a exposés à des moments historiques et à des héros canadiens dont ils n’avaient jamais entendu parler.

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