Santé psychologique post-covid: au-delà des soins

Santé mentale, dépression
L'actualité peut être anxiogène, comme une foule de «petits» événements. Photo: iStock.com/Boyloso
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Publié 15/05/2023 par Isabelle Burgun

La pandémie a ébranlé les fragiles fondations de la santé psychologique de certains groupes. Les femmes et les jeunes filles s’avèrent les plus vulnérables, après trois ans de crise sanitaire.

Les femmes de 20 à 40 ans seraient celles qui rapportent le plus d’anxiété et de dépression.

«Cela a doublé avec la pandémie — de 11,6 à 20% pour l’anxiété et de 12,9 à 25% pour la dépression», explique la professeure titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Sylvana Côté.

Reste que les chiffres sont petits, nuance-t-elle. «Nous sommes loin du tsunami appréhendé. Est-ce que tous ces problèmes sont de sévérité clinique? Il nous faut encore répondre à cette question essentielle.»

Définir la santé mentale

La chercheuse au Centre hospitalier universitaire Ste-Justine venait faire état de la santé mentale des enfants et des jeunes à partir deux perspectives – celle de la promotion de la santé et celle de la pédopsychiatrie – dans le cadre du colloque sur La pandémie comme révélatrice des limites du système de soins en santé mentale, présenté dans le cadre du récent congrès annuel de l’Acfas.

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Une santé mentale qui reste aussi à mieux définir, car les experts ne s’accordent pas toujours sur une définition.

«Le terme reste complexe et non dénué d’arrière-pensée idéologique», rappelle de son côté le psychiatre Bruno Falissard, directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de l’INSERM, en France.

«Cela a potentiellement des conséquences importantes dans l’allocation des ressources et l’orientation des politiques.»

Tenir compte des inégalités

Selon l’expert français, les personnes qui ont le plus besoin d’aide sont souvent susceptibles d’en recevoir le moins. C’est parce qu’au-delà des soins pour améliorer la santé mentale de tous, il faut tenir compte des inégalités, des liens sociaux et même des milieux de vie.

L’augmentation des ressources en soins de santé mentale ne pourra donc pas tout résoudre, comme le soulignent les chercheurs au colloque. Il importerait de réfléchir à des solutions plus globales pour aborder la santé psychologique.

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«Ce qui s’est effondré avec la crise sanitaire, c’est le filet social de l’école. Nous avons vu ressortir les inégalités sociales. Cela m’a fait penser à l’histoire des trois petits cochons et à la nécessité de se construire des sociétés en brique, avec des intervenants en bonne santé mentale, si l’on veut affronter les crises», sanctionne Sylvana Côté.

Grands centres et régions

Qui plus est, la difficile traversée de la pandémie et de ses ressacs a été très médiatisée dans les grands centres urbains. Mais les populations des régions ont été elles aussi très affectées.

«Les grandes réformes de 2015 ont fait en sorte que les prises de décisions se sont éloignées des régions. Sans compter la perte de certaines instances régionales — telles que les conférences régionales des élus. Nous nous sommes sentis, en région, comme “Bambi sur la glace” qui affronte la pandémie», raconte Lily Lessard, cotitulaire de la Chaire de recherche interdisciplinaire Santé et services sociaux en milieu rural (CIRUSSS) de l’Université du Québec à Rimouski.

«Les décisions faites pour Montréal ont été appliquées à tout le monde. Il y a eu une perte de sens, de la révolte et des grands clivages dans le milieu rural pendant la pandémie. Notre tissu social en est sorti effrité», précise-t-elle.

Lorsque le premier confinement a été annoncé, elle était avec des collègues en consultation à Sainte-Marie de Beauce. Elle travaillait à l’élaboration d’une trousse à outils susceptible d’améliorer la capacité du système de santé à prévenir les impacts psychosociaux des événements météorologiques extrêmes.

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«Nous savions par des approches populationnelles que les risques systémiques peuvent produire une cascade d’autres évènements et mettre à mal un système et son fonctionnement», rappelle la chercheuse.

Une boîte à outils

Cet outil s’est transformé en une boîte à outils pour réduire les impacts de la pandémie sur la santé mentale.

Celle-ci vise la promotion de la santé psychologique en mettant de l’avant des approches spécialisées — telles que les thérapies cognitivo-comportementales.

Mais aussi les approches sociales, individuelles et communautaires, comme renforcer le lien social, prendre soin des personnes proches aidantes ou prendre garde à la désinformation et aux théories du complot.

Soutenir la promotion de la santé mentale en milieu rural, ça se fait avec «des actions de proximité, du un à un. Il faut travailler également sur les facteurs propres aux régions, comme la fracture numérique», énumère celle qui appartient aussi au Collectif de recherche sur la santé en région (CoRSeR), un organisme qui fait le pont entre chercheurs, gestionnaires et organismes communautaires régionaux.

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Les municipalités à la rescousse

La transformation des municipalités en des milieux de vie plus «verts» — transports collectifs, pistes cyclables, piétonnisation, espaces verts à proximité de logements abordables — comporte aussi une dimension psychosociale.

Au sein de différentes villes du monde, de Perth (Australie) à Bogotá (Colombie), on crée des endroits de socialisation pour favoriser le vivre-ensemble et l’intergénérationnel.

«Les villes vont favoriser l’humain en renforçant les liens entre les résidents, comme le quartier piétonnier de Fribourg (Allemagne). Cet espace original a été réfléchi avec la communauté et comporte un four à pain: il y a des réunions le samedi autour des miches de pain», relève Yan Kestens, titulaire de la Chaire en santé publique appliquée.

Milieu tricoté serré guérisseur

La trame de soutien, d’écoute et d’entraide s’avère plutôt invisible, à moins de chercher à cerner le «capital humain».

Ce qu’a tenté de faire l’équipe de «Cité-ID Living Lab Gouvernance de la résilience urbaine».

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«Plus ce tissu social est tissé serré — on l’a vu au Japon après le tsunami —, plus le taux de rétablissement sera rapide» après une crise, relève la directrice, Marie-Christine Therrien.

Ces chercheurs avaient amorcé en 2018 — donc, avant la pandémie — une recherche qui se poursuit encore, sur les liens sociaux au sein de six quartiers de Montréal.

Les principaux constats: 17% des gens — soit une personne sur 6 — possèdent un réseau peu développé (voir encadré). L’étude se déploiera bientôt dans six villes du monde.

Méfiance face aux inconnus et aux jeunes

Or, la pandémie a amplifié l’isolement de ceux qui avaient peu de liens sociaux. Elle a également détérioré la qualité de certains liens par l’augmentation de la méfiance face aux inconnus et aux jeunes, accusés de transmettre davantage le virus.

«Il est donc temps de mettre en place des actions pour renforcer les liens sociaux qui se sont distancés ou détériorés», ajoute Marie-Christine Therrien.

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Différentes recommandations de son équipe constituent des pistes pour éviter une faille dans la cohésion sociale: multiplier des espaces d’interactions entre les gens, renforcer la cohérence entre les politiques publiques, travailler pour réduire les inégalités sociales et les exclusions, entre autres.

Parce que l’isolement et la solitude non désirée jouent négativement sur la santé mentale, pandémie ou pas.

L’importance des liens sociaux

Un Montréalais sur trois — 33% des répondants dans six quartiers de Montréal — ne connaît pas assez ses voisins pour demander de l’aide.

Avoir un bon réseau social, cela peut se traduire par «un meilleur accès au travail, une baisse de la criminalité, mais aussi plus de confiance envers les institutions lors de crises majeures», détaille encore la chercheuse Marie-Christine Therrien.

Il y a différents types de liens sociaux dont les plus connus sont ceux de proximité ou «bonding»: famille, amis, voisins. etc. Statistique Canada considère un réseau de six personnes pouvant nous venir en aide comme un «réseau élevé».

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Il faut compter aussi les liens plus distants et d’appartenance, ou «bridging», ceux des connaissances et des contacts — des amis de sport, des collègues, les organismes communautaires — et aussi des liens plus éloignés et verticaux, ceux du «linking» entre différents individus et les représentants de pouvoir local (élus, fonctionnaires, policiers).

L’étude a montré qu’un résident de Montréal sur six ne bénéficie pas d’un réseau social suffisant, et donc n’a même pas quatre personnes susceptibles de le soutenir en cas de besoin.

Auteurs

  • Isabelle Burgun

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

  • Agence Science-Presse

    Média à but non lucratif basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada.

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