Kapuskasing: quand les anglophones parlent comme les francophones

Français et anglais convergent à Kapuskasing
Nuage linguistique. Courtoisie de Sali Tagliamonte.
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Publié 30/06/2022 par Andréanne Joly

À Kapuskasing, dans le Nord de l’Ontario, l’influence du français est passée dans la syntaxe anglaise, en particulier chez les moins de 25 ans. De nouvelles recherches démontrent que l’alignement linguistique n’est pas superficiel. Des données recueillies cet été à Sudbury et Wawa pourraient le confirmer.

«C’est un alignement, c’est quelque chose qui indique que les francophones et les anglophones font quelque chose ensemble. C’est beaucoup plus clair», disait déjà en 2019 Sali Tagliamonte, la cheffe du Département de linguistique de l’Université de Toronto et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la variation et le changement du langage.

Français et anglais convergent à Kapuskasing
La chercheuse Sali Tagliamonte.

Doublement du sujet

Elle avait alors isolé le doublement du sujet chez les anglophones de Kapuskasing, où elle avait tenu des entrevues en 2016.

Ce doublement est commun en français oral (études à l’appui, depuis les années 1980), mais moins fréquent en anglais… Sauf à Kapuskasing, où 10% des sujets étaient doublés. Par exemple: «mes parents, ils sont séparés»; «ma compagne, elle est très jolie»; «moi, je vais chez Tim Hortons»; «mon père, il fumait la cigarette»…

Sali Tagliamonte avait aussi remarqué l’ajout de mots à la fin des phrases. «En français, on dit “là,”, mais les personnes qui parlent anglais au Nord disent maintenant “there”. Ce n’est pas quelque chose d’anglais.»

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Elle avait entendu des exemples: «I know the man, there. He lives close to the lake, there. And I went to see him the other day, there.»

Cette fois, avec le linguiste Basile Roussel de l’Université de Moncton, la professeure s’est intéressée à l’emploi des variations du futur en anglais, toujours à partir des données recueillies à Kapuskasing en 2016. Ils ont présenté les résultats lors du symposium sur la linguistique LSRL 2022 tenu à l’université Wisconsin-Madison à la fin d’avril.

Télétravail développement régional
Kapuskasing sous un angle bucolique. Photo: P199, Wikimedia Commons

Le futur converge

«En français, il y a un contraste très important entre le négatif et l’affirmatif», explique-t-elle. «En anglais, il n’y a pas d’effet de polarité.» Exemples: «“J’irai, je vais… Je ne vais pas aller”… En anglais, on dit “I will go, I won’t go”.»

Cependant, les jeunes anglophones de Kapuskasing ont intégré cet effet de polarité propre au français dans leur langue maternelle. Par exemple, ils utilisent le «will, will not».

Aux yeux de Sali Tagliamonte, il s’agit d’une preuve que ces normes sont internalisées au contact des deux groupes linguistiques. «C’est important, c’est lexical, ce n’est pas superficiel. Ce n’est pas comme un choix de mot, c’est quelque chose de profond dans la grammaire.»

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Les chercheurs expliquent que «l’alignement est motivé par une symétrie linguistique, sociale et culturelle croissante entre les anglophones et les francophones dans la communauté locale.»

OÉCLM, éducation, Université d'Ottawa
Le drapeau de l’Ontario, celui du Canada et celui des Franco-Ontariens. Photo: Ericka Muzzo, Francopresse

Plus probant chez les jeunes

Avant même l’analyse, l’observation de cette internalisation était probante chez les 25 ans et moins.

Dans des recherches précédentes, Sali Tagliamonte avait fait une observation semblable. En 2019, elle avait fait un parallèle avec le nombre de Kapuskois qui se déclare bilingue, dans le recensement de 2016.

«Les anglophones et les francophones deviennent de plus en plus pareils dans leur façon de parler», lançait alors la linguiste avec enthousiasme.

Ça s’entend et ça se démontre

Ça indique, selon elle, qu’il y a «convergence avec les populations».

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Depuis 2016, Mme Tagliamonte travaille à extraire des données des entrevues réalisées à Kapuskasing.

Dès lors, elle constatait que les anglophones de Kapuskasing parlent comme des francophones.

«Je peux l’entendre avec mes oreilles, mais c’est autre chose à démontrer avec des analyses linguistiques», expliquait la linguiste. «Ils se sont approprié des termes. Ils ont fait des accommodements. Ils ont une sonorité très française», observait-elle.

Élections fédérales, circonscriptions franco-ontariennes
Un quartier de Sudbury. Photo: P199, Wikimedia Commons

Kapuskasing, mais aussi Sudbury

À sa base, le projet Dialects of Ontario vise à découvrir les variations linguistiques de l’Ontario, du point de vue géographique et générationnel.

Pour ce faire, la chercheuse originaire de Kirkland Lake a réalisé des entrevues dans le Sud ontarien… Et, depuis 2009, à North Bay, Kirkland Lake, South Porcupine, Temiskaming Shores, Kapuskasing et Parry Sound, plus au Nord.

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Du 7 au 22 juillet, elle prendra la route vers Thunder Bay et s’arrêtera à Sudbury, Wawa et Terrace Bay. La linguiste espère rencontrer d’autres francophones pour disposer de données comparatives et déterminer si les tendances remarquées à Kapuskasing sont locales ou régionales.

«À Kapuskasing, ce n’était pas prévu que nous allions interviewer des francophones. Mais la communauté était vraiment engagée. C’était serendipity. Ça a été une mine d’or.»

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