140 000 personnes, mais pas de centre-ville

La vie de village serait-elle celle qui convient le mieux au genre humain? Pas de centre-ville, pas de banlieues. 
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Publié 22/10/2022 par Joel Belliveau

Ici, dans la petite communauté est-ontarienne d’Embrun, tout est proche. De toute ma vie adulte, je n’ai jamais passé aussi peu de temps en voiture. C’est un stress de moins sur mes épaules et une énorme économie de temps et d’énergie. Ce qui m’amène à me demander: la vie de village serait-elle celle qui convient le mieux au genre humain? Pas de centre-ville, pas de banlieues.

Savez-vous ce que me rappelle la vie dans cette bourgade de 8700 habitants, longue d’environ quatre kilomètres et entourée de champs de maïs? Au mode de vie que j’avais naguère sur le Plateau-Mont-Royal, quartier branché au cœur de Montréal.

Sans blague! C’est la dernière fois que j’ai eu accès à autant de services de proximité.

Vie de quartier, vie de village

Bien que Montréal soit une grande ville, son centre est en réalité composé de dizaines de quartiers qui sont autant de «villages urbains».

Dans chacun de ceux-ci, les habitants retrouvent épiceries, quincailleries, pharmacies, restaurants, pubs, cafés, banques, services professionnels, coiffeurs, services de santé, garages, bijouteries, papeteries, boutiques et magasins. Si bien qu’ils comblent la plupart de leurs besoins sans sortir de ce périmètre. Comme à Embrun!

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En Amérique du Nord, cet accès facile à une variété de services existe soit dans le cœur de grandes villes, soit dans certaines petites villes. Par exemple Casselman et Sturgeon Falls en Ontario, ou Shediac et Tracadie au Nouveau-Brunswick. Ça n’existe à peu près pas dans les villes de taille moyenne.

À Moncton ou à Sudbury, lorsque j’y habitais, il fallait souvent que je me résigne à passer de longs moments dans l’auto pour faire de simples courses.

Ces deux villes sont des agglomérations de plus de 100 000 personnes où on ne manque d’à peu près rien (à moins d’être de gros fans d’opéra). Mais, comme tant d’autres villes nord-américaines, elles se sont étalées sur de vastes territoires : 2400 et 3000 kilomètres carrés, respectivement!

La faute à la voiture

Le «coupable», bien sûr, c’est l’automobile, dont l’utilisation s’est démocratisée durant l’après-guerre grâce à la prospérité inédite de l’époque et qui a ensuite façonné la géographie des villes. Les classes moyennes se sont ruées sur les nouvelles banlieues, et les cités se sont étalées comme de la mélasse.

Mettant en priorité la fluidité de la circulation, les planificateurs urbains de l’époque ont favorisé des routes artérielles de plus en plus larges pour se rendre à ces nouveaux quartiers. Ces grandes artères ont encouragé l’arrivée de magasins qui visaient à desservir non pas un secteur en particulier, mais la ville entière, voire toute la région.

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Il y a eu d’abord les grandes surfaces (vous vous rappelez le Zellers?). Puis les grands centres d’achats. Puis les mégaépiceries. Et finalement les complexes de magasins «big box» comme Costco ou Best Buy.

Souvent situés près des autoroutes, ces grands magasins ont graduellement pris des parts de nombreux commerces plus petits, plus locaux.

Plus efficace… pour le commerce

Certains me diront que c’est inévitable, parce qu’une telle organisation du commerce est plus «efficace», et que les prix plus bas que proposent les grandes surfaces le prouvent.

J’ai envie de répondre: «Plus efficace, oui, mais seulement de la perspective du commerce qui n’a plus besoin de se rendre à la clientèle là où elle se trouve! C’est que le coût de la distribution est en partie externalisé, et c’est nous qui l’assumons en nous déplaçant à tout bout de champ. Donc, non, dans l’ensemble, ce n’est pas si efficace.»

C’est vrai qu’en magasinant à l’épicerie du coin ou à la quincaillerie locale je paye un peu plus cher. Mais combien d’essence ai-je sauvée? Et surtout, combien de temps? M’établir dans un village m’a permis de revoir ma méthode de calcul.

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Vous voyez, ce n’est pas un argumentaire moral en faveur des commerces de proximité que je vous propose ici, c’est une perspective intéressée.

Le défi des villes dortoirs

Je consens que ce n’est pas tout le monde qui peut choisir les services de proximité, même quand la volonté est là. Les mégacommerces dominent à un tel point qu’il n’existe à peu près aucun quartier où les commerces de proximité peuvent survivre en grand nombre.

Seulement 20% des Canadiens vivent aujourd’hui dans un quartier «à forte densité de services et de commodités».

À mon avis, les seuls endroits où l’on trouve un peu de tout sans passer trop de temps dans le «trafic», ce sont les quartiers des grandes villes et les petites villes. Seulement, ces dernières ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers. Cela peut vite changer.

Prenons à témoin l’ancien village d’Orléans, en Ontario, devenu une banlieue d’Ottawa.

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En 1971, c’était un village de 6000 personnes, avec une belle église de pierre en son centre. À présent, 140 000 personnes y vivent. Mais on n’y retrouve pas l’ombre d’un centre-ville. Ni même une rue «équilibrée», qui serait accueillante pour piétons, vélos et petits commerces.

L’église de l’ancienne paroisse Saint-Joseph se retrouve maintenant sur une artère de quatre voies du même nom, entourée de strip-malls.

Garder un sentiment de village

Voit-on là l’avenir d’Embrun et de Shediac? Combien de temps avant qu’elles ne deviennent des villes éclatées et congestionnées à leur tour? Après tout, leurs populations ont grandi de 25% et 13%, respectivement, entre 2016 et 2021.

Pierre Leroux, maire du canton de Russell, dans lequel se trouve Embrun, me disait récemment: «Dans un sens, oui, on va suivre la voie d’Orléans, puisqu’on va gagner en population. Mais on vise à garder un sentiment de petit village, un sens de communauté.»

Sa directrice de l’aménagement, Danielle Tremblay, précise que l’objectif est de le faire en favorisant un développement «équilibré» qui favorisera l’arrivée de nouveaux commerces, mais de manière à ce qu’ils soient relativement concentrés, pas éparpillés.

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A-t-on appris des erreurs des 75 dernières années en matière d’aménagement urbain? Sait-on désormais créer et maintenir des quartiers à usages mixtes, avec une plus grande densité, où les résidents sont moins dépendants des longs trajets en voiture?

Vais-je pouvoir garder ma «vie de village»? Je l’espère, mais en voyant tous ces nouveaux quartiers de grosses maisons unifamiliales pousser comme des champignons, de plus en plus loin du centre, j’ai des doutes.

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