Universités francophones sous respirateur artificiel

«L'Université Laurentienne ne peut continuer à vivre au-dessus de ses moyens comme elle le fait depuis une décennie.» Photo: archives Le Voyageur
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Publié 03/02/2021 par Réjean Grenier

Ça va mal dans le monde de l’éducation universitaire en français en Ontario.

D’abord, il faut savoir qu’il n’y a pas encore d’université de langue française en Ontario: il y a deux universités dites bilingues, l’Université d’Ottawa et l’Université Laurentienne à Sudbury, qui offrent certains programmes en français. Il y a aussi la petite Université de l’Ontario français qui devrait ouvrir ses portes en septembre prochain.

Toutes trois sont dans la mouise.

Panique woke à Ottawa

Prenons d’abord les universités bilingues. Vous vous souviendrez que l’Université d’Ottawa a récemment connu une tempête médiatique lorsqu’une chargée de cours a été temporairement suspendue après avoir utilisé le «mot en n» en classe.

Certains professeurs, la plupart francophones, sont venus à sa défense en expliquant qu’elle avait utilisé ce mot respectueusement, dans un contexte académique.

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Plusieurs étudiants se sont alors déchainés sur les réseaux sociaux. Ils ont vilipendé ces professeurs, les menaçant même de représailles violentes. Cet épisode malheureux a envenimé le climat de travail et d’enseignement, surtout en français, dans cette institution.

Un pavillon de l’Université d’Ottawa. Photo: Simon Séguin-Bertrand, Le Droit

La Laurentienne insolvable

La situation est pas mal pire à Sudbury, où l’Université Laurentienne vient de se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Autrement dit, l’institution est insolvable, une première dans le monde universitaire canadien.

Le recteur, Robert Haché, affirme que cette mesure n’affectera en rien les étudiants, mais une chose est pourtant claire: l’université devra sabrer ses dépenses. Même si la province décide de venir en aide à la Laurentienne, l’université ne peut continuer à vivre au-dessus de ses moyens comme elle le fait depuis une décennie.

Or, qui dit réduction des dépenses dit élimination de certains programmes et mises à pied de professeurs et de personnel de soutien. Malheureusement, les services et programmes qui sont le moins en demande sont évidemment en français, démographie oblige.

L’Université Laurentienne vient de se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Photo: archives Francopresse

Démission du recteur de l’UOF

Vient ensuite l’Université de l’Ontario français (UOF), où tout est loin d’être rose.

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André Roy

Réclamée depuis plus de 50 ans, créée en 2018, abrogée par le gouvernement Ford quelques mois plus tard, elle verra finalement le jour en janvier 2020 à la suite de manifestations de la communauté et de pressions du gouvernement fédéral.

On prévoyait une cohorte de 100 à 200 étudiants lors de son ouverture en septembre 2021. Or, nous apprenions récemment que seulement une quarantaine d’étudiants, dont la moitié de l’étranger, ont envoyé une demande d’admission pendant la période traditionnelle d’inscriptions aux universités ontariennes.

Comme si le verre des mauvaises nouvelles n’était pas déjà plein, le recteur de l’UOF, André Roy, démissionnait quelques jours plus tard, moins de six mois après son entrée en poste.

Les dirigeants communautaires ont immédiatement réitéré leur appui à l’université, mais il faut être vraiment optimiste pour croire en son avenir immédiat.

Des journalistes et une centaine d’artisans et d’amis de l’Université de l’Ontario français ont assisté au dévoilement du futur site au 9 Lower Jarvis en février 2020. À l’avant-plan: Mélanie Joly, Dyane Adam, Caroline Mulroney, Ross Romano, John Tory.

Des services précaires, arrachés de longue lutte

La situation n’est pas plus rose à l’Ouest. L’an dernier, le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, à Edmonton, la seule institution offrant des programmes en français dans l’Ouest, a presque succombé sous le couperet budgétaire de l’Université de l’Alberta, dont elle dépend.

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Le Campus devrait survivre, mais avec des coupures qui s’avèreront peut-être mortelles.

Toutes ces histoires démontrent la précarité des services en éducation postsecondaire en français au Canada. Tout ce que nous avons obtenu, nous l’avons arraché de longue lutte.

Et tout ce que nous avons obtenu — collèges mal financés, universités dites bilingues qui nous assimilent, facultés sans pouvoir, petite université sans envergure dans la ville la plus chère au pays — nous sommes continuellement à risque de le perdre.

Campus St-Jean Alberta
Le Campus Saint-Jean a été fondé en 1908, tout comme l’Université de l’Alberta.

Conséquences dévastatrices

Une telle perte serait dévastatrice. Toutes les recherches indiquent qu’un diplôme universitaire est le facteur le plus important pour stimuler la mobilité financière intergénérationnelle.

Alors qu’il est évident que le savoir sera le moteur de l’économie de l’avenir, nos gouvernements diminuent le financement universitaire. En 1982, les gouvernements finançaient 82% des dépenses universitaires; en 2019, ce financement représentait un maigre 24%.

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Ce financement est insoutenable, surtout pour les francophones. Le financement de notre éducation universitaire ne représente qu’une part infime de ces sous, mais comme nous n’avons pas beaucoup de services, nous sommes plus durement touchés.

Quand la CoViD-19 desserrera son emprise sur le pays, cette situation doit changer.

Auteur

  • Réjean Grenier

    Chroniqueur à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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