Éducation postsecondaire en français en Ontario: une spirale vers le bas

Université Laurentienne
L'Université Laurentienne à Sudbury. Photo: Facebook
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Publié 24/08/2020 par Marc Poirier

L’annonce, à la mi-août, de la suspension des admissions dans une dizaine de programmes en français, à l’Université Laurentienne à Sudbury, et d’une douzaine à l’Université Saint-Paul, à Ottawa, a provoqué une onde de choc dans le secteur postsecondaire francophone de l’Ontario. À un point tel que certains observateurs du milieu craignent l’hécatombe.

En tout, l’Université Laurentienne suspend les inscriptions dans 17 programmes pour l’année en cours et l’Université Saint-Paul dans 13 programmes. Dans les deux cas, ces établissements bilingues évoquent d’importantes baissent d’inscriptions pour justifier leur décision.

L’Université Saint-Paul à Ottawa.

«Depuis les trois ou cinq dernières années, on a des programmes qui ont connu des baisses d’inscriptions. Pour les 17 programmes de cet automne, on s’attendait à avoir 49 étudiants au total», explique le recteur de l’Université Laurentienne, Robert Haché. «Donc, trois ou quatre étudiants par programme. Ce n’est pas soutenable.»

Cinq programmes uniquement en français sont touchés à l’établissement situé à Sudbury, dans le Nord de la province:

  • Environnement et développement durable
  • Mathématiques
  • Leadership : Activités physiques de plein air
  • Administration des affaires – ressources humaines
  • Théâtre

Les programmes de géographie, d’archéologie, d’anthropologie et de musique sont, quant à eux, suspendus et en français et en anglais.

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À l’Université Saint-Paul, on souligne que certains programmes suspendus n’attiraient plus que deux ou trois nouveaux étudiants par année. Les programmes touchés sont presque tous à caractère religieux ou moral:

  • Théologie
  • Droit canonique
  • Bioéthique catholique
  • Éthique et enjeux sociaux contemporains
  • Accompagnement et spiritualité en soins palliatifs

Tant à l’Université Laurentienne qu’à l’Université Saint-Paul, les étudiants qui ont déjà entamé l’un de ces programmes pourront le compléter. Mais si les suspensions sont maintenues, ces programmes disparaitront d’ici quelques années.

Robert Haché

Comme les églises

Ces décisions inquiètent grandement certains experts et observateurs du secteur postsecondaire.

«J’ai l’impression que c’est le début de l’hécatombe qui est annoncé», avance Martin Meunier, professeur et titulaire de la Chaire de recherche Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles à l’Université d’Ottawa.

Il se demande si les dirigeants de l’Université Laurentienne ont vraiment réfléchi à la situation dans un contexte plus large ou s’ils ne font que de «l’attrition à la petite semaine».

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Il compare la situation à la fermeture de nombreuses églises depuis plusieurs années. Une à une, sans qu’on s’en rende vraiment compte. Des compressions qui s’opèrent «sans plan d’ensemble, sans réflexion d’ensemble sur ce que devrait être au fond le rôle des universités régionales, comme la Laurentienne, dans le milieu universitaire complet de l’Ontario.»

Martin Meunier

Des erreurs

De son côté, l’historien et consultant Serge Dupuis comprend que des programmes doivent parfois être éliminés si les inscriptions sont insuffisantes. Diplômé lui-même de la Laurentienne, il croit cependant que des erreurs du passé ont contribué à la situation actuelle. Il fait référence à des décisions organisationnelles qui ont rendu la poursuite des études en français plus difficile.

Par exemple, certains programmes ne sont disponibles en français qu’en première et en deuxième année. Les étudiants francophones doivent donc les compléter en anglais. Plutôt que d’avoir à changer de langue d’enseignement à mi-parcours, plusieurs d’entre eux décident de faire toutes leurs études en anglais.

Un choix qui n’est pas sans conséquence selon Serge Dupuis. «Par ricochet, cela faisait en sorte qu’il y avait des chutes d’inscriptions dans les cours en français et on les rendait moins viables et on finissait par les annuler. C’était un cercle vicieux qui ne serait pas possible dans une université francophone.»

Serge Dupuis

Impact à long terme

Serge Dupuis touche ici une corde sensible : le bilinguisme des établissements en question.

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Martin Meunier souhaite que les établissements postsecondaires francophones et bilingues en Ontario se penchent sur leur avenir, incluant la langue d’enseignement.

«Je pense que tout doit être sur la table. On peut se demander s’il n’y a pas des modèles contreproductifs dans les situations démographiques friables et fragiles. De la même façon qu’il faut se demander quel est le type d’appui que le gouvernement Ontario donne aux universités pour contrer les effets de la COVID. Pour moi, c’est tout aussi important.»

Les étudiants accommodés

Le recteur de l’Université Laurentienne assure cependant que la situation est loin d’être aussi préoccupante que certains peuvent le penser.

«On a pris la décision à la fin du mois de juillet et on a tout de suite communiqué avec tous les étudiants qui seraient affectés (49 étudiants)», précise Robert Haché. «Et je crois que tous les étudiants ont été accommodés ou ont reçu une offre d’accommodation.»

Par exemple, le programme de spécialisation en géographie est parmi ceux qui ont été suspendus, mais le programme avec majeure en géographie demeure en place. Robert Haché admet que pour le programme de mathématiques, il ne sera disponible qu’en anglais pour les nouveaux venus. Il s’agit d’un programme très peu populaire en français.

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De plus, Robert Haché souligne que les changements ne sont pas définitifs puisque le Sénat de l’université – seule instance ayant le pouvoir de créer ou d’abolir des programmes – aura à se pencher sur ces suspensions au cours de l’année. Certains programmes pourraient donc être rétablis en septembre 2021.

Et l’UOF dans tout ça?

L’autre inconnue dans l’équation à plus long terme pour ces établissements sera l’impact de l’ouverture, l’an prochain, de l’Université de l’Ontario français (UOF), à Toronto. Certains étudiants préfèreront-ils étudier dans un univers complètement en français plutôt que de s’inscrire dans une université bilingue?

Serge Dupuis précise que les militants pour la création de l’UOF ne voulaient pas que le projet draine les établissements bilingues de leurs étudiants francophones et nuise à l’offre de cours en français. Mais la tournure des évènements lui fait craindre que l’offre en français à l’Université Laurentienne va continuer à se détériorer.

«Ce pour quoi je suis inquiet, c’est l’existence d’une tradition d’enseignement universitaire dans le Nord de l’Ontario et à Sudbury», dit-il. «C’est dramatique et triste qu’on ne l’ait pas accompagné d’une possibilité de rechange. Ça démontre que les administrateurs ne savent pas où ils vont créer des programmes et ils ne savent pas comment ils vont gérer ça.»

Une situation qui attriste le chercheur qui craint que la spirale s’accélère. «Les étudiants francophones étudient moins en français parce qu’ils ont moins d’options et donc vident les cours en français. Donc, on diminue l’offre. Cette spirale-là va non seulement continuer, mais elle va s’accélérer.»

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L’UOF est censé accueillir ses premiers étudiants au 9 Lower Jarvis à Toronto en 2021.

Cet article est le 1er d’une série de 3 sur le postsecondaire dans l-express.ca.

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