Un peintre au nom aussi étrange que son œuvre: Clovis Trouille

Art et psychologie

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Publié 24/08/2010 par Gabriel Racle

On regarde souvent les tableaux que nous offrent les musées ou les expositions temporaires en fonction de critères artistiques ou historiques: les jeux d’ombre et de lumière, l’agencement des couleurs, les thèmes choisis, religieux, mythologiques, historiques, les personnages et leur mise en scène, le rendu, les effets, les perspectives et les impressions reçues de ces ensembles picturaux.

On pourrait allonger la liste de ces considérations, et les historiens d’art ou les critiques ne manquent pas de souligner tel ou tel aspect particulier à un peintre, à une école ou une époque, tant l’art pictural s’est diversifié au fil du temps, des sociétés, des commandes ou des possibilités techniques, pour mentionner seulement quelques faits.

Plus rarement on s’est efforcé, à partir de l’œuvre, de retrouver l’état psychologique de l’artiste, la signification profonde de son mode d’expression, ses relations psychologiques avec son environnement social. Il y a certes des cas évidents qui trahissent la religiosité de l’auteur, son adulation intéressée pour tel personnage, son désir de prendre le contre-pied de ce qui se fait alors.

Il n’est pas toujours facile de se livrer à cet exercice de reconstitution, lorsque les données nécessaires ne sont pas à notre disposition. C’est pourquoi le cas d’un peintre plutôt méconnu, dont l’exposition a donné lieu à un petit livre, est intéressant, car la lecture de ses réalisations artistiques manifeste clairement ses réactions psychologiques.

Un peintre sulfureux?

«Je suis pour l’art noir, pour le caractère Maudit. Je rejette la morale de la société bourgeoise, l’imposture de sa religion, la morale de ses curés, son patriocularisme», écrivait l’artiste qui définissait ainsi son état de révolte psychologique envers la société, un état que d’ailleurs d’aucuns reprendraient volontiers de nos jours.

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Le nom de ce peintre est aussi étrange que son œuvre: Clovis Trouille.

Comme l’écrivait Michel Onfray dans le catalogue de l’exposition présentée cet été en France*: «… je croyais que Clovis Trouille était un pseudonyme et cachait pour d’obscures raisons le nom d’un individu désireux de ne pas apparaître en public. Comment faire école avec un patronyme semblable?» Et pourtant, tel est bien le nom de ce peintre dont M. Onfray venait d’admirer un tableau, Dolmancé en son château de La Coste 1959.

Ce tableau et d’autres figurent dans le catalogue: Voyous, voyants, voyeurs. Autour de Clovis Trouille 1889-1975, Éditions d’art Somogy, 104 p., 100 illustrations, dans lequel figurent également des œuvres des «Enfants terribles de Clovis Trouille et la scène artistique contemporaine».

Comme l’indique Onfray, «Trouille veut un art Voyou, voyant, voyeur. Pour ce faire, il travaille non pour obtenir des prix à la biennale de Venise, mais pour mériter d’aller dix ans en prison. Exactement le contraire de nombre de poseurs d’aujourd’hui, faussement installés sur le terrain de la subversion artistique, et vraiment domiciliés sur le promontoire de l’opportunisme marchand.»

En lisant ce long texte du philosophe Onfray qui encadre les tableaux, extrait de L’Archipel des comètes de 2001, et en regardant ces reproductions, on comprend mieux cette réflexion d’André Breton, dédicaçant en 1937 L’Amour Fou au «grand maître du tout est permis.»

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Univers pictural surprenant

Au vu de ces tableaux, on peut utiliser toute une série de qualificatifs: amusant, étonnant, choquant, scandaleux, érotique, hilarant, humoristique, facétieux ou autres. Toutefois, comme le note la conservatrice du musée d’Art et d’Histoire de L’Isle-Adam, apparaît dans ces œuvres «une connaissance affective et profonde de la peinture classique».

«Les références détournées au surréalisme alors prédominant et auquel il restera redevable – bien que de loin – toute sa vie, laissent apparaître les mânes de Zurbaran, du Titien, de Watteau ou Delacroix, et l’ambiance Art nouveau de sa jeunesse».

L’ouvrage des éditions Somogy analyse les sources d’inspiration du peintre et le contexte artistique contemporain de sa production. Il pose aussi la question de la survie de sa postérité chez des artistes modernes.

C’est aussi l’occasion, en regardant chacun de ses tableaux ou de ceux de ses adeptes, dont les couleurs extrêmement vives et la densité des images ne manquent pas de frapper, de retrouver la psychologie de leur auteur, le sens de la contestation qui s’y manifeste, de faire une analyse de la psychologie du contestataire qui s’exprime.

Une découverte

Sans jeter un regard dédaigneux sur le travail pictural de Trouille, on pourrait le situer dans le prolongement de ce qu’écrivait Salvador Dali dans La conquête de l’irrationnel:

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«L’histoire de l’art est donc spécialement à refaire d’après la méthode de l’activité-paranoïaque-critique; d’après cette méthode, des tableaux aussi différents que La Joconde de Vinci, L’Angélus de Millet, et L’Embarquement pour Cythère de Watteau, représenteraient exactement le même sujet, voudraient dire exactement la même chose.»

Découvrir Clovis Trouille, avec ce petit livre, est une expérience artistique intéressante, suscitant la réflexion, si l’on traverse la toile pour voir ce qui se cache derrière celle-ci.

* L’exposition est présentée au musée d’Art et d’Histoire de L’Isle-Adam (à 30 km de Paris) jusqu’au 21 septembre, et au musée du Vieux-Château de Laval (ouest de la France) du 16 octobre au 16 janvier.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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