Un mammouth cloné? Ça fait plusieurs années que c’est «dans deux ans»

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Les mammouths ont vécu dans tout l'hémisphère Nord.
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Publié 28/02/2017 par Pascal Lapointe

Si la perspective de voir naître en 2019 un mammouth cloné a fait pousser beaucoup de «wow» cette semaine, la réalité est tout autre: les obstacles sont énormes… et la percée technologique qui serait nécessaire n’est pas celle à laquelle on pense.

«Notre objectif est de créer un embryon éléphant-mammouth», a déclaré le 16 février le généticien George Church, de l’Université Harvard, dans le cadre du congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), à Boston. Une percée qui pourrait se produire dans deux ans, ont rapporté plusieurs médias.

Le premier problème, a aussitôt souligné l’anthropologue John Hawks sur son blogue, c’est que George Church a fait des déclarations similaires en 2015 et en 2014. Et que chaque fois qu’il annonce cette «percée scientifique» pour bientôt, c’est toujours pour… dans deux ans.

Par ailleurs, d’autres que Church ont fait miroiter le clonage du mammouth dès 2008, lorsqu’un premier décodage de son génome a été publié. En 2013, un congrès tenu sous l’égide du National Geographic a exploré la possibilité de faire un jour renaître des espèces disparues — la «désextinction» — grâce aux progrès de la génétique et du clonage.

Le mammouth est une espèce dont les derniers représentants sont disparus il y a environ 4000 ans. La comparaison des génomes a établi que son plus proche cousin est aujourd’hui l’éléphant d’Asie.

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En théorie, il serait possible de modifier les gènes d’un embryon d’éléphant pour en faire un mammouth, ou du moins un hybride éléphant-mammouth, et d’implanter cet embryon dans l’utérus d’une éléphante. Mais tous les experts s’entendent pour dire que ça n’est pas aussi facile que ça en a l’air.

Deux ordres d’obstacles

Les obstacles sont de deux ordres: génétique et technologique.

Au plan génétique, l’éléphant d’Asie et le mammouth ont beau être de proches cousins, une recherche en 2015 n’en a pas moins recensé 2 020 différences — c’est-à-dire au moins 2 020 modifications qu’il faudrait apporter aux gènes d’un embryon d’éléphant.

Et le «au moins» est un euphémisme, parce que les généticiens ignorent la raison de la plupart de ces substitutions. Procéder par essais et erreurs voudrait dire s’engager chaque fois dans une gestation de 22 mois, chez une espèce qui, en plus, met des années à parvenir à l’âge adulte.

En réalité, même George Church ne parle pas de «faire naître» un mammouth, mais d’expérimenter sur des embryons aux premiers stades de leur développement.

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Au plan technologique toutefois, on est encore plus loin de la réalité. Comme l’évoquait The Guardian au congrès de l’AAAS, le rêve de George Church serait de faire grandir ces embryons dans des «utérus artificiels» — afin de contourner la rareté des éléphantes capables de servir de mères porteuses.

Son argument ? Son laboratoire, et d’autres, testent d’ores et déjà cette technologie sur des souris.

Or, rappelle la journaliste Mary Beth Griggs dans Popular Science, les souris ont une gestation de 20 jours, les éléphants, de 22 mois. Et même avec seulement 20 jours, les spécialistes de la reproduction sont encore incapables d’amener une gestation de souris à terme dans un environnement artificiel. Imaginez 22 mois, écrit John Hawks, avec un appareillage pas mal plus gros que ce que nécessite un embryon de souris.

S’ils y arrivaient, dit-il, ce serait ça, la grosse révolution scientifique. «Si un utérus artificiel efficace était inventé, ce serait une histoire énormément plus importante que le projet de transfert de gènes de mammouth. Le défi technique est beaucoup plus grand, et les bénéfices pour les humains d’une telle technologie seraient énormes.»

Qu’en dit l’éthique?

Le congrès de 2013 sur la «désextinction» posait par ailleurs d’autres questions qui restent en l’air aujourd’hui: même si on en était capable, serait-il moralement acceptable de faire naître un mammouth dans un environnement qui n’est plus celui auquel il s’était adapté?

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L’énergie et les fonds nécessaires pour y arriver ne devraient-ils pas être investis dans la sauvegarde d’espèces encore vivantes? Dans des expériences de clonage à des fins médicales?

Que ce soit au plan scientifique ou technique, il n’existe aucune raison pour prendre au sérieux la perspective d’un clonage de mammouth en 2019. À plus long terme, ce n’est pas impossible, mais se poseront alors d’autres questions, sur les priorités que la société voudra donner à ces recherches.


Il existe un livre de vulgarisation sur la question, par la biologiste américaine Beth Shapiro: How to Clone a Mammoth, Princeton University Press, 2016.

Auteur

  • Pascal Lapointe

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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