Tombes sans sépulture près des pensionnats autochtones: le travail continue

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Un mémorial créé en 2021 à Cross Lake, au Manitoba en hommage aux enfants dont les restes ont été retrouvés sur le site d’un pensionnat autochtone de Kamloops en Colombie-Britannique. Photo: Courtoisie Bureau de la députée Nikki Ashton
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Publié 14/07/2022 par Jérôme Melançon

Un peu plus d’un an s’est écoulé depuis l’annonce des premières découvertes de centaines de tombes sans sépulture près des sites d’anciens pensionnats autochtones.

Les communautés de Tk’emlúps te Secwépemc et de Cowessess continuent leurs efforts pour identifier les enfants qui sont décédés dans les pensionnats de Kamloops en Colombie-Britannique et de Marieval en Saskatchewan et pour trouver les sites où ils pourraient être enterrés.

Depuis la vague de stupéfaction de l’été 2021, ce travail continue à l’abri du regard du public. Les communautés peuvent ainsi se concentrer sur leurs efforts, ainsi que sur leur guérison.

Pensionnats autochtones
Le «pensionnat indien» de Kamloops en 1970, devenu une école de jour. Source: Bibliothèque et Archives Canada

Localiser les tombes au géoradar

Pour y arriver, elles utilisent avant tout le géoradar (ou radar à pénétration de sol) pour découvrir des anomalies qui indiquent la présence probable de tombes, mais elles ont également recours à plusieurs autres technologies là où le géoradar ne convient pas au terrain.

Plusieurs nations ont ainsi pu faire leurs propres découvertes, Comme la Première Nation de Keeseekoose en Saskatchewan en février. La Première Nation George Gordon dans la même province en avril. Et la Nation crie de Saddle Lake en Alberta en mai, où des restes humains ont parfois été déterrés par hasard depuis 2004.

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Ce printemps, plusieurs communautés au Manitoba ont lancé leurs propres recherches. Or, plusieurs sites se trouvent sur des terrains privés, ce qui complique ou empêche carrément les recherches.

À Regina, où des démarches sont en cours depuis plusieurs années, l’utilisation du géoradar a permis de préciser le nombre de tombes présentes dans le cimetière de l’ancienne École industrielle autochtone. Des sépultures ont été installées pour marquer leur emplacement.

Pensionnats autochtones
Un radar à pénétration de sol. Photo: Wikipedia Commons

Une réponse partielle du gouvernement fédéral

Les réponses des institutions responsables du système des pensionnats n’ont pas tardé à venir dès le mois d’août 2021. Le gouvernement fédéral a annoncé l’octroi de fonds pour mener les recherches nécessaires. Ce financement s’inscrit dans le sillage des appels à l’action 74 à 76 de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada.

Au début du mois de juin 2022, Ottawa a nommé une interlocutrice spéciale pour assurer le lien entre le gouvernement et les communautés menant leurs recherches autour des pensionnats.

Puis, le lendemain de la Journée nationale des peuples autochtones, un projet de loi proposant la création du Conseil national de réconciliation a été déposé à la Chambre des communes.

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Cette réaction relativement rapide à l’annonce des découvertes suit plusieurs années d’inaction et de résistance passive aux appels à l’action de la CVR, qui pour la plupart n’ont pas encore eu de suite.

Peu d’appels à l’action ont mené à des résultats

La sociologue Eva Jewell qui est Anishinaabekwe, et l’historien allochtone Ian Mosby ont calculé qu’en décembre 2021, seulement 11 des 94 appels à l’action avaient mené à des résultats.

Et les résultats varieront en fonction de la manière de donner suite aux appels à l’action. Par exemple, plusieurs, dont celle de l’archéologue métisse, papaschase et britannique Kisha Supernant, conseillent aux équipes de recherche sur les pensionnats de se méfier des nombreuses compagnies qui les inondent de propositions de service depuis l’annonce du financement pour les recherches archéologiques.

La plupart de ces compagnies n’ont pas véritablement l’expertise pour faire le genre de travail requis et exigent souvent des frais trop élevés. Il existe un véritable danger d’exploitation, ainsi que de résultats faussés par un manque de rigueur.

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Élèves cris à leurs pupitres avec leur professeur dans une salle de classe, Pensionnat de All Saints, Lac La Ronge (Saskatchewan), mars 1945. Photo: Bud Glunz, Office national du film, Photothèque, Bibliothèque et Archives Canada, PA-134110

Approfondir les recherches

Les recherches archéologiques grâce au géoradar et à d’autres technologies ont toutefois leurs limites. Certes, elles ont permis aux survivant·es des pensionnats d’être entendu·es et cru·es, mais les véritables réponses ne viendront pas de ces technologies.

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Avant tout, la plupart des communautés tiennent à ne pas déranger les corps ensevelis. Au contraire, elles désirent les laisser reposer en paix. Les recherches au géoradar doivent par ailleurs nécessairement se concentrer sur les cimetières connus.

La majorité des enfants morts dans les pensionnats ont été victimes d’épidémie et de maladies liées à la malnutrition. Ces enfants auraient été enterrés au cimetière, même si plusieurs parents n’en ont jamais été avisés.

Notons aussi, comme le fait Cadmus Delorme, chef de la Première Nation de Cowessess, que plusieurs cimetières étaient liés à la paroisse et ne servaient pas seulement au pensionnat.

Mais les enfants décédés à cause des abus et de la violence qui sévissaient dans les pensionnats ont souvent été enterrés ailleurs, loin des regards.

Témoignages des survivants autochtones

Les survivant·es connaissent ces histoires, et les équipes de recherche de leurs communautés tentent de réunir des témoignages pour trouver tous les sites à fouiller.

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Pour connaître l’histoire et apprendre le nom des enfants disparus et morts après avoir été forcés de fréquenter les pensionnats, il faudra mener un important travail de recherche dans les archives. Le gouvernement et l’Église, qui étaient responsables des pensionnats, ont longtemps résisté à autoriser la consultation de leurs archives.

Maintenant, les Oblats et d’autres ordres religieux qui ont participé au système des pensionnats commencent à ouvrir leurs archives… mais seulement en français.

Or, la numérisation et la traduction de ces documents constituent un enjeu important, et pour l’instant le coût en revient aux communautés autochtones, qui doivent maintenant en quelque sorte payer pour avoir accès à leur propre histoire.

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Les jeunes Autochtones manifestant à Ottawa l’an dernier. Photo: Inès Lombardo

Réponse limitée de l’Église catholique

Le travail effectué donne du poids aux revendications des groupes de survivant·es et des organismes autochtones.

En réaction, l’Église catholique a ouvert en partie ses archives et le pape François a récemment présenté des excuses aux survivant·es des pensionnats.

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Toutefois, ces excuses ne reconnaissent que les abus perpétrés par certains individus et non la nature structurelle de la violence dans les pensionnats ou la participation au colonialisme et au génocide. Plusieurs espèrent maintenant de véritables excuses lors du voyage du pape au Canada à la fin juillet.

Au passage, rappelons que 60% des pensionnats étaient gérés par l’Église catholique et que la plus grande part d’entre eux étaient administrés par des Canadiens français ou des Français.

Loin d’être isolés du reste du monde, les hommes et femmes qui travaillaient dans les pensionnats étaient en lien avec les autres institutions catholiques, comme les hôpitaux, ainsi qu’avec les communautés franco-canadiennes aux environs des pensionnats.

Les architectes du système des pensionnats, comme l’évêque Grandin, le père Lacombe ou encore l’archevêque Taché, sont de ceux qui ont contribué à prendre le contrôle des terres autochtones pour permettre aux communautés francophones de s’y implanter.

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Le logo pour la Journée de la vérité et de la réconciliation, dorénavant tous les 30 septembre.

L’importance de continuer les recherches

Étant donné le négationnisme au sujet des pensionnats, qui consiste à nier ou minimiser la réalité et l’incidence de ces établissements, il demeure important de continuer le travail de documentation.

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Les recherches en cours sont une manière de souligner l’importance des vies autochtones. Il s’agit de redonner aux enfants autochtones le respect qui leur a été refusé tant dans la vie que dans la mort. Et par là, tout ce travail témoigne également d’un respect pour les survivant·es, pour les communautés affectées par le traumatisme historique et intergénérationnel.

Par-dessus tout, il faut espérer que le respect des enfants décédés se traduise par le respect des enfants qui vivent aujourd’hui et qui continuent d’être victimes de traitements discriminatoires et de violence systémique mettant leur vie en danger.

Note : L’auteur de la présente chronique collabore avec la Première Nation de Cowessess pour traduire les documents d’archives du français vers l’anglais.

Auteur

  • Jérôme Melançon

    Professeur en études francophones et interculturelles, ainsi qu’en philosophie, à l’Université de Regina. Chroniqueur à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec Réseau.Presse.

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