Ce que les jeunes apprennent des pensionnats autochtones

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Connor Lafortune et Page Chartrand se connaissent depuis qu’ils sont tout jeunes. Leur amitié s’est consolidée depuis deux ans, alors qu’ils suivaient tous les deux des cours au Département d’études autochtones à l’Université de Sudbury.
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Publié 16/07/2021 par Inès Lombardo

Connor Lafortune et Page Chartrand sont deux Franco-Anichinabés qui vivent en périphérie de Sudbury, en Ontario. Les deux amis de longue date ont accepté de nous partager leurs sentiments suite aux récentes découvertes de tombes d’enfants des anciens pensionnats autochtones. Ils nous racontent ce qui leur a été transmis par leurs proches à ce sujet. Et ils nous parlent de la manière dont ils entrevoient l’avenir.

Bien entourés de leur communauté

Page Chartrand et Connor Lafortune se connaissent depuis qu’ils sont tout jeunes. Leur amitié s’est consolidée depuis deux ans, alors qu’ils suivaient tous les deux des cours au Département d’études autochtones à l’Université de Sudbury.

Page a 20 ans. Elle est membre de la Première Nation des Kichesipirini, sur l’Isle-aux-Allumettes, dans la rivière des Outaouais à la hauteur Pembroke. Connor, lui, a 19 ans et appartient à la Première Nation des Dokis, au sud du lac Nipissing, dans le Nord de l’Ontario.

Connor a passé la moitié de sa vie dans sa communauté. Page a grandi «bien entourée de la communauté anichinabée», mais pas dans sa communauté d’origine.

Cet éloignement géographique ne l’a pas empêchée de s’imprégner de sa culture qui a toujours fait partie de son enfance. C’est à l’adolescence qu’elle fait le choix d’accorder une place centrale à sa culture dans sa vie.

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Connor Lafortune et Page Chartrand.

Leur famille a bien connu les pensionnats autochtones

Bien qu’élevée à Sudbury sans lien direct avec sa Première Nation, Page se préparait à participer à la marche traditionnelle anchinabée de l’eau au départ de Sudbury, en juin dernier, lorsqu’elle a appris la découverte des tombes.

«On a marché jusqu’à Spanish, où il y a l’ancienne école résidentielle. C’est là que ma grand-mère m’a dit qu’un terrain où se trouvait l’école appartenait à une partie de ma famille!»

«Elle m’a aussi dit que l’une de mes arrières-tantes avait enseigné à l’école comme francophone. Apparemment, elle faisait partie du personnel qui se conduisait bien. Elle enseignait la musique, je crois, mais les détails ne sont pas clairs. Il faudrait que je parle à mon grand-père pour en savoir plus.»

«C’est juste bizarre de penser que ma propre famille a été impliquée dans un traumatisme que je ressens personnellement.»

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Le restes de l’ancien pensionnat de Saint-Joseph à Spanish, près de la baie géorgienne. Page Chartrand s’y est rendue en juin. Photo: P199, Wikimedia Commons

Impliqués dans le tournage de Pagayons ensemble

Connor partage ce traumatisme. La grand-mère de Connor et son arrière-grand-père ont tous deux fréquenté des pensionnats autochtones.

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Impliqués, les deux amis ont à cœur de transmettre les connaissances sur les peuples autochtones. Par exemple, ils ont tous les deux participé au tournage de Pagayons ensemble, une webémission franco-ontarienne qui part à la rencontre de membres des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

«Pour moi, la culture autochtone est quelque chose que je vis quotidiennement, c’est en moi», précise Connor. «Ce n’est jamais quelque chose que je ne voudrais pas transmettre.»

«Certains disent que les jeunes ne devraient pas apprendre sur les pensionnats dès l’élémentaire. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que les jeunes générations autochtones n’ont jamais eu le luxe de ne pas savoir l’histoire des pensionnats. Je ne crois pas que c’est de l’information qui devrait être cachée à cette génération ni aux prochaines.»

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Le logo du programme d’activités des conseils scolaires franco-ontariens Pagayons ensemble. Sur les trois pagaies: les couleurs du Cercle de vie, des Inuits et des Métis.

En deuil des enfants des pensionnats autochtones

En apprenant les découvertes successives des dernières semaines, et à la suite des discussions avec leurs proches, Connor et Page étaient loin d’être surpris.

Connor revient sur ce moment si particulier. «Je savais que ça s’en venait. Ça blesse considérablement, comme vous pouvez l’imaginer. Mais on n’était pas surpris. On attendait simplement que la bombe explose.»

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«On est élevés sachant que c’est une réalité», ajoute Page. «Que nos aînés auraient pu être l’un de ces étudiants dans les photos qu’on voit sur Facebook.»

«Mais là, c’est comme si on se réveillait un jour, puis que tout le monde le sait enfin. C’est partout sur nos réseaux, dans les nouvelles, on voit de l’orange à tout bout de champ.»

«C’est comme si on avait finalement le droit d’être en deuil, on a finalement le droit de ressentir toutes les émotions qu’on ressent depuis des années dans nos communautés. Avant, le public ne semblait pas croire que c’était, en fait, une réalité.»

«C’est un peu comme si c’était la première fois qu’on peut connaître un gros deuil national, dans le sens de communauté et pas comme pays.»

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Les jeunes Autochtones n’ont jamais eu le luxe de ne pas savoir l’histoire des pensionnats. Photo: Inès Lombardo

Les alliés se dévoilent naturellement

Selon Connor et Page, dans la compréhension de ce deuil, les «alliés» non autochtones sont toujours les bienvenus.

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«C’est certain qu’on a toujours besoin d’alliés», précise Connor. «Dans ma Première Nation, une marche a été organisée le 1er juillet. On a rassemblé des membres de la communauté, mais aussi d’autres communautés environnantes non autochtones.»

«J’ai eu beaucoup d’encouragements du monde qui me demandait où ils pouvaient apprendre plus. Ou ce qu’ils pouvaient faire. Si j’avais besoin de leur écoute.»

«C’est là que tu peux voir les différentes visions, entre les gens qui se sentent offensés. Parce que le Canada, c’est cette belle place, puis les gens qui vivent cette réalité-là et qui comprennent que ce n’est pas le Canada dans lequel nous avons vécu. Je pense que c’est un bon moment pour voir qui est un vrai allié.»

Son amie Page abonde dans le même sens. «C’est toujours mieux de savoir qu’on a du soutien plutôt que d’essayer de bûcher seul. Mais on sait quand même qu’il y a encore bien du monde qui refuse d’admettre, de croire ou de voir nos douleurs», nuance-t-elle.

«Cela dit, on ne met jamais trop d’accent sur eux. On s’inquiète de nos personnes, de nos communautés. On a ces douleurs donc on n’a pas besoin de s’occuper du monde qui ne veut pas s’occuper de nous.»

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La grand-mère de Connor et son arrière-grand-père ont tous deux fréquenté des pensionnats autochtones. Photo: Inès Lombardo

Les jeunes sont plus ouverts

S’il y a un «monde» que Connor et Page voient comme plus ouvert à la compréhension de la réalité des pensionnats et des violences subies par les peuples autochtones, c’est celui de leur génération et celles à venir.

Page affirme que «les générations plus jeunes sont plus ouvertes à explorer des sujets qui les rendent moins à l’aise. Si je rentre dans l’environnement de la culture indoue par exemple, même si je ne la connais pas beaucoup, je suis consciente que si j’arrive là avec un bon esprit et un bon cœur, ils vont me recevoir d’une bonne manière puis je pourrais me rendre à l’aise.»

Connor abonde dans le même sens. «Notre génération et la prochaine comprennent le monde de façon plus complète qu’auparavant.»

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Connor Lafortune et Page Chartrand.

Méfiance des aînés autochtones

Le travail d’éducation doit se faire auprès de tous les Canadiens.

Page peut en témoigner. «Une grand-mère anglophone m’a fait des commentaires racistes, car j’ai la peau plus pâle et je parle français. Pour elle, je suis moins Autochtone que quelqu’un qui a été élevé dans sa réserve.»

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Je ne veux pas mettre ce type de réflexion sur le compte de l’âge, car c’est une affaire d’idéologie, pas une question de génération.»

Connor, identifie aussi la question des milieux sociaux qui pèsent dans la volonté de comprendre les évènements actuels.

«Dans les villages non autochtones autour du mien, les gens ont plus de sensibilité aux causes autochtones que des personnes qui n’ont jamais réalisé que des peuples autochtones les entouraient.»

«Et même dans les générations autochtones précédentes, de nombreux aînés sont tellement brainwashés dans le sens colonial, qu’ils ne peuvent même pas comprendre leurs propres défis.»

Dans les écoles résidentielles, leur vision du monde a été forcée de changer. Ces pensées coloniales ont été forcées dans les cerveaux et les corps. Ce traumatisme intergénérationnel a été transmis jusqu’à notre génération.»

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