Roman où le lecteur est un confident

Jean-Louis Grosmaire, Acadissima
Jean-Louis Grosmaire, Acadissima, roman, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2021, 370 pages, 29,95 $.
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Publié 11/04/2021 par Paul-François Sylvestre

Plusieurs écrivains ont décrit la contribution des soldats canadiens au front durant la Première Guerre mondiale. Le rôle des soldats-bûcherons, lui, demeure passablement méconnu. Jean-Louis Grosmaire jette un savant éclairage sur cette réalité dans son tout dernier roman intitulé Acadissima.

Bataillon acadien

L’armée canadienne a eu un Corps forestier, composé en partie par le 165e bataillon d’infanterie. Il s’agissait d’un bataillon acadien sous l’autorité du lieutenant-colonel Louis Cyriaque D’Aigle.

Jean-Louis Grosmaire a effectué une recherche minutieuse et rigoureuse pour faire de ce bataillon la toile de fond d’un roman dont le protagoniste est un jeune Acadien de 18 ans. Jean-Baptiste Beausoleil est un simple manouvrier et aide-pêcheur devenu bûcheron.

La vie est comme la mer

L’action se déroule d’abord à Fond-des-Brisants et à Piligan, deux endroits fictifs qui représentent l’Acadie, là où la terre et la mer se marient, là où le dur labeur des pêcheurs sur les flots côtoie celui des paysans sur leurs terres.

Ce milieu permet à Jean-Baptiste de découvrir que «la vie est comme la mer, un jour douce, toute claire, puis tourmentée, hérissée de vagues sauvages, flots en fracas et puis calme et en paix».

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Grosmaire décrit avec brio comment un village ressemble à une famille qui constamment s’observe, se jauge, se juge et se dénigre. Jean-Baptiste ressort comme le fils que tout le monde aimerait avoir. Le 28 juin 1916, il s’enrôle «pour la France et l’Acadie», pour le combat au front.

Histoire d’amour

Le roman, vous vous en doutez bien, renferme une histoire d’amour. Juste avant de partir pour Val Cartier, le jeune soldat revoit une amie d’enfance et c’est le coup de foudre.

Il doit quitter non seulement les rivages de son Acadie natale, mais également sa bien-aimée Angelaine Kirouac… qui a dès lors «le cœur à marée basse». Sans dévoiler un rebondissement magistral dans l’intrigue de ce roman finement ciselé, je peux vous dire que le retour de Jean-Baptiste se fera «tout feu tout flammes».

Lettres intelligentes

Les fréquentations entre Jean-Baptiste et Angelaine se font par correspondance. Homme de la mer, de la campagne, des bois et des pâturages, le jeune soldat croit qu’il n’a pas d’instruction et qu’il n’est pas doué pour exprimer les mots du cœur.

Or, ces lettres sont empreintes d’intelligence et de tendresse. Jean-Louis Grosmaire excelle dans l’art de décrire les émotions et les sentiments qu’un jeune homme a tendance à taire. On sent Jean-Baptiste prendre de l’assurance, de l’expérience, de la maturité.

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Hécatombe d’arbres

Jean-Baptiste arrive en Franche-Comté le 29 mai 1917. Il a été formé pour combattre l’ennemi, mais c’est contre de nobles arbres qu’il doit se mesurer.

La France est en guerre et les livraisons de bois donnent lieu à une cadence vorace qui créé une «hécatombe des seigneurs de la forêt».

Le Corps forestier canadien méconnu

À certains moments, je me suis demandé s’il était nécessaire d’accorder autant de chapitres au travail du Corps forestier canadien.

Peut-être est-ce parce qu’il a regroupé jusqu’à 12 000 hommes en France et 10 000 en Grande-Bretagne – fait carrément inconnu –, que le romancier a cru nécessaire de fournir de nombreuses pages hautement descriptives du travail des soldats-bûcherons.

Le roman a le mérite d’illustrer comment l’homme aime jouer à être un homme lorsqu’il est dans un groupe. Mais une fois dans la solitude, il entend le fond de son âme, «comme un puits rempli de questions et de doute». Grosmaire fait dire à un de ses personnages: «C’était pas la route qui était longue, c’était de trouver le chemin en dedans.»

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De la bibliothèque au salon

Il fait aussi dire à un médecin de campagne qu’on rassemble des livres dans sa bibliothèque comme on réunit des amis dans un salon. «On aime discuter avec eux, on écoute leur voix la plus intime, celle qui n’a même pas besoin d’être parlée. Celle qui nous touche. Le lecteur, c’est le confident.»

Voilà le plus grand mérite d’Acadissima, publié aux Presses de l’Université d’Ottawa.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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