Roman coup de poing sur le sort des victimes de l’Alzheimer

Alzheimer, Roger Levac, L’odeur de l’oubli
Roger Levac, L’odeur de l’oubli, roman, Ottawa, Éditions David, collection Indociles, 2023, 184 pages, 21,95 $.
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Publié 10/01/2024 par Paul-François Sylvestre

Avec un titre comme L’odeur de l’oubli, il n’est pas étonnant que Roger Levac se penche sur le sort des victimes de la maladie d’Alzheimer. Comme si la mémoire n’était pas déjà knock-out, ce roman à l’effet d’un véritable coup de poing.

Il met en scène une jeune femme témoin de la maladie de sa mère placée dans un maison d’accueil appelée La Sablière. Les ordres des préposées pleuvent: debout, assis, heure du bain, heure du dodo. L’endroit entretient le soupçon que chacun a «échoué dans cette piaule en attendant de mourir».

L’Alzheimer rétrécit le monde

Le monde de la mère se rétrécit jusqu’à n’être plus qu’un souvenir incertain. À La Sablière, la vie «coule entre les doigts comme du sable». La mémoire est «une peau de chagrin qui rétrécit un peu chaque jour».

La fille-narratrice couche par écrit ce qu’elle vit, ce que sa mère endure et leur passé commun, troublé par le passage d’un père violent. Elle griffonne chaque jour ses observations, ses secrets, ses pensées les plus intimes, les moins avouables.

Les notes que renferment son cahier finissent par former un livre. Ce n’est pas tout à fait le roman que nous lisons, car elle dédicace ce livre à son père, alors que L’odeur de l’oubli est dédicacée à la mémoire de la mère de Roger Levac.

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Quand la mémoire torture

Dans son jeune âge, la narratrice a été violée par son père. Selon la mère, l’enfant était la fautive, la seule à blâmer, le père n’ayant «que cédé aux avances de sa fille». La mère ajoute que le père en avait besoin, «ça le calmait».

Devenue adulte, la fille martyrise les mots: «je m’en sers comme un torchon à essuyer les bavures de ma conscience».

Écrire est sa seule façon de vider sa mémoire de ce qui la torture, de creuser plus avant pour voir clair en elle-même, de se purger du mal qui lui a été fait, d’affronter ses démons «avec le seul outil que j’avais: les mots».

Après la mort de sa mère, la fille en vient à affirmer «qu’il était aussi faux de dire qu’elle ne m’avait jamais aimée que de dire que je ne l’aimais pas. On avait manqué notre rendez-vous.»

Auteur franco-ontarien primé

Roger Levac excelle dans l’art de concocter de courtes phrases finement ciselées. En voici quelques exemples: «Rien ne tue l’amour, même pas son impossibilité. Je fais confiance aux mots qui m’appellent, qui m’épellent. On reste Gros-Jean comme devant la page blanche de la mémoire.»

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Quand l’auteur note que la mère «a pris un aller simple vers le pays de l’oubli», je ne peux m’empêcher de penser que l’écriture lui sert à se protéger contre l’oubli du sort de sa propre mère. Je n’en sais rien, bien entendu, mais la force des mots me laisse croire que ça pourrait être le cas.

Mère de la fille ou mère de l’auteur, il y a une question qui se pose en bout de ligne: «sans souvenir, est-ce qu’on peut être soi-même?»

Roger Levac réside à Cornwall, en Ontario, et a fait carrière dans l’enseignement. Il a publié quatre livres, dont Petite crapaude! (Prise de parole, 1997), qui a reçu le prix littéraire Trillium et le prix Le Droit.

Auteurs

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

  • l-express.ca

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