Rentrée parlementaire: la modernisation de la Loi sur les langues officielles à l’horizon?

La silhouette de la tour du Parlement canadien à Ottawa. Photo: Étienne Ranger, Le Droit, via Francopresse
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Publié 23/09/2020 par Bruno Cournoyer Paquin

Moderniser la Loi sur les langues officielles dans les plus brefs délais est l’enjeu au centre des préoccupations des organisations porte-paroles de la francophonie canadienne. Un projet de loi devrait absolument être déposé d’ici la fin de l’année, selon le président de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA), Jean Johnson.

Francopresse s’est entretenu avec des représentants des organisations porte-paroles de la francophonie canadienne d’un bout à l’autre du pays pour discuter de leurs priorités quant à la rentrée parlementaire fédérale du 23 septembre.

FCFA
Jean Johnson

Un consensus

La modernisation de la Loi sur les langues officielles est LA priorité mentionnée par toutes les associations porte-paroles de la francophonie canadienne.

Gaël Corbineau, directeur général de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL), indique qu’il s’agit de «la seule attente» qu’il ait pour la rentrée parlementaire fédérale.

Gaël Corbineau

«C’est l’enjeu principal pour les prochaines décennies. C’est tellement important qu’il n’y a pas d’autre sujet qui prévaut sur celui-ci […] C’est urgent qu’on modernise la Loi sur les langues officielles, ça fait 51 ans que la Loi est là, elle a grand besoin d’être modernisée. Elle a très peu été touchée, et c’est une des lois les moins bien appliquées au pays. Donc, il est urgent d’améliorer cette loi», expose Gaël Corbineau.

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Isabelle Dasylva-Gill, directrice générale de la Société Saint-Thomas-d’Aquin (SSTA), à l’Île-du-Prince-Édouard, s’attend à ce que le gouvernement réitère son engagement à moderniser la Loi lors du discours du Trône, le 23 septembre. Une attente partagée par plusieurs intervenants.

Isabelle Dasylva-Gill

Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), demande qu’un projet de loi à cet égard soit introduit d’ici la fin de 2020.

«On estime que toutes les consultations qui pouvaient être faites ont été faites. La FCFA a travaillé pendant deux ans sur un document qui a été remis au gouvernement. Le comité sénatorial a soumis un dossier, le Commissaire [aux langues officielles] a soumis des recommandations. On estime que le travail de consultation est terminé. Maintenant, il est temps que la modernisation aille de l’avant, d’autant plus qu’on entend qu’il pourrait y avoir des élections d’ici 6 à 12 mois.»

«Le travail est fait, la table est mise, il ne reste qu’à présenter un projet de loi», ajoute Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

Carol Jolin. Photo: Simon Séguin-Bertrand, LeDroit

Pour Christian Monnin, président de la Société de la francophonie manitobaine (SFM), il est grand temps de mettre fin à cette situation de «jour de la marmotte», où les communautés francophones ne cessent d’attendre et d’entreprendre les mêmes démarches pour obtenir la modernisation de la Loi.

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«Une LLO qui a des dents»

Les intervenants soulignent tous les objectifs préconisés par la FCFA dans la modernisation de la Loi.

Christian Monnin

«Grosso modo», ajoute Carol Jolin, «on veut une Loi qui a des dents», notamment en conférant le mandat d’appliquer la Loi sur les langues officielles à une agence centrale, comme le Conseil du trésor ou le Conseil privé.

Car Patrimoine canadien, qui est présentement responsable de l’application de la Loi, n’a pas de pouvoir contraignant sur les autres ministères, rappelle Gaël Corbineau de la FFTNL

«Il essaie de les convaincre, de les sensibiliser, mais il ne peut pas les obliger. Et ça, c’est un vrai problème, parce que la Loi mentionne que le mandat des langues officielles peut être exercé par le Conseil du trésor, donc plus haut dans l’organigramme.»

Isabelle Salesse

Pour Isabelle Salesse, directrice générale de l’Association franco-yukonaise (AFY), ce mécanisme d’imputabilité s’avère essentiel, car présentement les francophones sont contraints d’aller en cour pour faire valoir leur cas. «On ne peut pas passer notre vie en cour, ça coûte extrêmement cher, c’est extrêmement demandant, c’est beaucoup d’énergie, beaucoup de stress pour les individus», déplore-t-elle.

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Reddition de comptes des provinces

Gaël Corbineau mentionne aussi qu’il est essentiel d’inclure des protections pour les minorités linguistiques dans les ententes entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

«Les processus de reddition de compte, dans les ententes actuelles, sont d’une opacité incroyable! Nous, on le vit particulièrement dans le domaine de l’éducation. Les transferts fédéraux en éducation dans le domaine de la langue seconde posent de vrais problèmes de reddition de comptes, de transparence. Qu’est-ce qui est fait de cet argent? À Terre-Neuve en particulier, ce n’est vraiment pas transparent.»

Pour Christian Deron, coordonnateur des relations gouvernementales et de la recherche à la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB), ce type de clauses linguistiques est essentiel «parce qu’à chaque fois qu’un service est transféré du fédéral au provincial, la province n’en a cure [d’offrir des services en français]».

Christian Deron

Il donne l’exemple des centres de service d’emploi, dont la gestion a été transférée du gouvernement fédéral à la province. La province, se voyant dans l’obligation d’offrir le service aux plus bas soumissionnaires, a accepté des propositions qui offraient le service en français avec Google Translate «parce que l’entente avec le fédéral stipulait que le service devait être offert en français, mais ne stipulait pas comment il devrait être offert», dénonce Christian Deron.

«Donc, on conforte les provinces un peu amorphes comme la nôtre de toujours aller au service minimum», ajoute le coordonnateur de la FFCB, sous prétexte qu’avoir un lien vers une traduction Google serait déjà mieux que rien.

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Le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles est étudié depuis longtemps par le gouvernement ainsi que par les divers organismes liés à la francophonie canadienne. Si la pandémie peut avoir chamboulé l’échéancier prévu, les intervenants s’entendent pour dire que le gouvernement a tout en main pour procéder.

Immigration

«Le dossier de l’immigration est un autre gros dossier pour nos communautés», indique Jean Johnson, de la FCFA.

Denis Simard, président de l’Association communautaire fransaskoise (ACF), observe que pour préserver le poids démographique de la communauté fransaskoise, l’immigration francophone devrait atteindre de 4% à 4,5% de l’immigration totale. En Saskatchewan, ce n’était que 1,7 % l’année dernière. Il estime que l’immigration francophone devrait donc être une priorité du gouvernement fédéral.

Denis Simard

Cependant, ajoute le président de l’ACF, il faut que l’offre de services en français soit au rendez-vous: certains immigrants francophones «s’installent à Edmonton, ou à Fredericton… ce sont des endroits où il existe une “poche” de francophones, mais tu ne vas pas recevoir l’ensemble de ce que tu veux en français. Donc on leur vend un peu une fausse image. Et les gens se retournent vers le Québec, se tournent vers des régions où ils peuvent vivre cette promesse-là, et ça nuit à l’ensemble des autres communautés francophones du pays.»

Un enjeu qui se retrouve aussi en Alberta, selon Sheila Risbud, présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA): «On a beaucoup de gens qui arrivent et qui désirent sans doute avoir accès à des services en français, mais ce n’est vraiment pas évident que ces services sont disponibles. Souvent, ils ne savent pas ce qu’ils peuvent faire en français, ils ne savent pas quelles ressources sont disponibles en français, et on perd une partie importante de notre francophonie comme ça.»

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Sheila Risbud

L’immigration francophone est aussi un enjeu important au Nouveau-Brunswick, explique Alexandre Doucet, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB). Pour maintenir le poids démographique de la communauté francophone dans la province, 33 % des immigrants devraient être francophone – alors qu’en réalité, seulement 19% le sont.

En conséquence, Alexandre Doucet préconise le rapatriement des compétences en immigration vers un ministère provincial qui «devrait avoir la dualité linguistique en son sein».

Postsecondaire

L’une des priorités des Fransaskois au niveau fédéral, selon Denis Simard de l’ACF, est de s’assurer que le poste vacant de sénateur en Saskatchewan soit pourvu par un candidat bilingue.

Alexandre Doucet

En Alberta, c’est la survie du Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta qui préoccupe la communauté francophone, selon Sheila Risbud. La situation du Campus Saint-Jean n’est pas unique au pays, et d’autres institutions postsecondaires francophones traversent des crises similaires.

Pour la présidente de l’ACFA, il serait important de «réexaminer le rôle du fédéral dans [l’éducation] postsecondaire pour les francophones minoritaires».

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CoViD-19

Isabelle Dasylva-Gill, directrice générale de la Société Saint-Thomas-d’Aquin (SSTA) à l’Île-du-Prince-Édouard, observe que la situation de crise liée à la CoViD-19 a révélé les lacunes du régime linguistique actuel.

«On remarque que quand il y avait des messages urgents à sortir, c’était juste en anglais. Il y a aussi l’exemple de l’étiquetage des produits dangereux [en anglais seulement], alors qu’on sait que dans des temps de crise comme ça, c’est vraiment essentiel d’avoir l’information critique disponible en français.»

Selon Carol Jolin, de l’AFO, la crise a aussi révélé l’importance de l’accès à Internet, particulièrement dans les milieux ruraux: «Internet est maintenant un service essentiel. Si on veut être capable de continuer à travailler, parce qu’on sait que beaucoup de monde est en télétravail, il faut que ce soit accessible partout en Ontario et partout au Canada.»

Carol Jolin ajoute que la pandémie a aussi précarisé le secteur communautaire, et «dans certaines communautés, dans les plus petits villages en particulier, il n’y a qu’une organisation, qui fait vibrer la francophonie dans ce petit village-là. Si elle disparaît, c’est une occasion que les francophones ont de se retrouver et de vivre en français [qui disparaît]. Et c’est une autoroute pour l’assimilation.»

Médias et culture

Pour Marie-Claude Rioux, directrice de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANE), la pandémie a souligné qu’il y avait une réflexion à faire sur l’appui donné aux communautés. «Enlève les médias communautaires, enlève la culture, et on n’existe pas», souligne-t-elle.

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Marie-Claude Rioux

Elle estime donc particulièrement nécessaire d’avoir une programmation communautaire en mesure de rejoindre les jeunes, car les activités leur permettent de développer un sentiment d’appartenance et l’intérêt de vivre en français.

Une réflexion qui rejoint Christian Deron, coordonnateur des relations gouvernementales et de la recherche à la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB). «La communauté francophone, c’est aussi faire briller la francophonie, et si on ne le fait pas à travers des activités culturelles, comment le fait-on?»

Il note aussi que l’éducation à distance rend plus difficile pour certains enfants qui n’ont plus accès à leurs cours d’immersion linguistique de maintenir leur niveau de français –particulièrement pour les enfants dont les parents ne parlent pas français à la maison.

Si la plupart des organismes francophones parviennent au moins à garder la tête hors de l’eau depuis le début de la pandémie, ils espèrent que le fédéral n’oubliera pas de soutenir les francophones minoritaires lorsque nécessaire.

Auteur

  • Bruno Cournoyer Paquin

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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