Qui sont les gangs qui sèment la terreur à Port-au-Prince?

Haïti
Les gangs armés contrôlent plus de 80% des quartiers de Port-au-Prince. Photo: Journal Juno 7, avec permission
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Publié 28/03/2024 par Chantallya Louis

Le 2 mars, des gangs armés qui contrôlent 80% de la capitale d’Haïti ont pris d’assaut les deux plus grandes prisons de Port-au-Prince et libéré plus de 3000 prisonniers. Depuis, même à la suite de la démission du premier ministre Ariel Henry, la situation ne fait que se dégrader.

Dans sa thèse de doctorat, Djems Olivier, professeur à l’Université d’État d’Haïti et stagiaire postdoctoral à l’Université du Québec en Outaouais, cherche à comprendre comment ces gangs armés, qui contrôlent les quartiers, arrivent à cohabiter avec les organisations non gouvernementales (ONG) qui interviennent dans ces zones.

Francopresse : Depuis déjà plusieurs semaines, les gangs armés ont pris le contrôle de plus de 80% de Port-au-Prince. Qui sont-ils?

Djems Olivier : En 2018-2019, j’avais répertorié 177 gangs, alors qu’aujourd’hui, on parle de plus de 300. Selon la Police nationale d’Haïti, il existerait sept coalitions de gangs, mais les deux plus grandes sont le G9 et le G-Pep.

Le G9 a été formé en juin 2020 sur les propositions de la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR), une commission créée deux ans après l’arrivée de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), en 2004.

Mais parallèlement, une autre fédération de gangs a été créée: le G-Pep, qui regroupait les gangs qui refusaient de s’allier au G9.

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Il y avait donc le G9, qui était proche du pouvoir, et le G-Pep, proche de l’opposition.

Mais ces deux fédérations ont explosé ces derniers mois pour donner naissance à une autre forme de coalition. Des membres du G9 se sont alliés à ceux du G-pep, qui étaient pourtant des ennemis jurés.

Depuis quelques semaines, on parle d’une nouvelle fédération, qui regroupe plusieurs gangs, dont le G-9 et le G-Pep, et qui s’appelle «Viv Ansanm» (Vivre ensemble).

C’est à partir de cette plateforme de gangs qu’ils ont commencé l’attaque contre la prison civile de Port-au-Prince et la prison de la Croix-des-Bouquets et qu’ils ont mis le pays à feu et à sang.

Pourquoi il y a-t-il autant de gangs en Haïti, et comment en sont-ils arrivés là?

En Haïti, les gangs sont utilisés par les acteurs politiques pour accéder au pouvoir ou conserver le pouvoir. Pour gagner des élections, il faut avoir le contrôle des gangs. Si on ne les contrôle pas, on ne peut pas gagner. Ça, c’est une constante importante dans l’organisation des élections en Haïti.

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Ils sont aussi utilisés par des acteurs économiques, pour protéger leurs entreprises ou éliminer d’autres concurrents, et par les trafiquants et les réseaux criminels transnationaux pour passer de la drogue ou tout type de trafic.

Ces gangs ont pris aujourd’hui leur indépendance par rapport à leurs anciens «patrons». Ils sont devenus autonomes parce qu’ils sont, entre autres, dans le kidnapping, qui prend de l’ampleur, dans le détournement des camions de marchandises et le narcotrafic, dans la taxation des petites et moyennes entreprises et des véhicules de transport public.

Ce sont toutes ces activités-là qui permettent aux gangs d’avoir de l’argent.

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Djems Olivier a quitté Haïti en octobre 2023, craignant pour sa sécurité. Photo: Chantallya Louis, Francopresse

Des liens étroits avec le pouvoir

Plusieurs organisations non gouvernementales ont rapporté que le bras armé de l’administration du président Jovenel Moïse n’était autre que le chef du G9, Jimmy Chérizier.

Selon AyiboPost et Connectas, la création du G9 a d’ailleurs été soutenue par la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) créée en 2006.

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La Commission a pris fin en octobre 2017, en même temps que la MINUSTAH, avant d’être réactivée par le président Jovenel Moïse en 2019.

Dans une émission radio, Jean Rebel Dorcenat, l’un des membres de la CNDDR, avait suggéré le regroupement des gangs armés. Selon lui, cette nouvelle fédération faciliterait les choses pour la commission, qui n’aurait qu’un seul interlocuteur, et apporterait la paix.

Source: Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada

Le Kenya a accepté de mener la mission internationale soutenue par les Nations unies pour endiguer la violence des gangs armés lorsqu’un gouvernement transitoire sera en place. Qu’en pensez-vous?

C’est une situation qui exige une intervention militaire. Sur le plan géographique et même en termes d’aménagement du territoire, Port-au-Prince n’est pas une ville où on peut intervenir n’importe comment, car c’est une ville qui est entourée de quartiers bidonvilles et de corridors.

Il n’y a donc pas vraiment de pénétration qu’on peut faire dans ces quartiers pour mener à terme des opérations policières. Il faut des équipements militaires avec tout ce que cela comporte, comme des drones, des hélicoptères, des pénétrations et des cartographies. Si on n’a pas ça, on ne peut pas intervenir dans cette activité.

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On a eu comme exemple le fiasco de 2021, où des policiers de l’unité d’élite de la Police nationale ont été tués par le gang de Vilaj de Diè (Village de Dieu) lors d’une opération antigang. La police n’était pas préparée à mener des opérations dans ces quartiers-là.

C’est très difficile de déployer des policiers pour éliminer ces gangs qui contrôlent très bien leurs quartiers.

Par exemple, dans d’autres quartiers, comme celui de Grand-Ravine – que je connais très bien puisque c’est là que j’ai réalisé mes enquêtes de terrain –, il n’y a pas vraiment de route «voiturable» pour pénétrer ce quartier. Les gens utilisent des escaliers. Comment la police va-t-elle pénétrer dans ces quartiers-là pour mener des opérations?

C’est très compliqué sur le plan géographique. Je pense qu’il faut vraiment réfléchir sur le type d’opérations à mener pour neutraliser ces gangs.

Quel rôle devrait jouer la communauté internationale dans cette crise?

Les dirigeants haïtiens ont toujours été choisis par la communauté internationale. Par exemple, après l’assassinat de Jovenel Moïse, c’est elle, à travers un tweet, qui a placé Ariel Henry à la tête du gouvernement.

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C’est cette même communauté internationale qui a révoqué Ariel Henry pour donner au pays une nouvelle formule de gouvernance avec un conseil présidentiel de sept membres. C’est inédit dans l’histoire d’Haïti, on n’a jamais eu ça. On ne sait pas comment ça va se passer.

Donc, en fait, son rôle est joué, mais la communauté internationale devrait se rétracter pour avoir une décision qui est prise par les Haïtiens.

Il faut laisser aux Haïtiens la possibilité de décider de l’avenir de leur pays. C’est ce que je pense.

Auteurs

  • Chantallya Louis

    Journaliste pour Radio-Canada, Francopresse et aujourd'hui Le Droit à Ottawa. Diplômée en Études internationales, Langues modernes, Entrepreneuriat social et Administration publique. Elle parle français, anglais, espagnol et créole haïtien.

  • Francopresse

    Le média d’information numérique au service de la francophonie canadienne, qui travaille de concert avec les journaux membres de Réseau.Presse.

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