Quand fascisme rime avec catholicisme

Comment un homme d’Église, pieux et érudit, et un malfrat anticlérical peuvent-ils s’entendre comme larron en foire? Tout simplement parce qu’ils ont chacun besoin l’un de l’autre. Ces deux hommes sont Le Pape et Mussolini, titre d’un magistral ouvrage de David I. Kertzer. Le pape en question est Pie XI.

Le dictateur italien Benito Mussolini arrive au pouvoir en 1922, année où Achille Ratti succède à Benoît XV sous le nom de Pie XI. Ancien bibliothécaire du Vatican, le nouveau pape est «plus à son aise parmi les livres que les hommes».

Plusieurs différences distinguent ces deux hommes, mais ils partagent d’importantes valeurs. «Aucun d’eux n’éprouve de sympathie envers la démocratie parlementaire; ils ne croient pas dans la liberté d’expression ou d’association; tous deux voient dans le communisme une grave menace.»

L’ouvrage de David Kertzer nous apprend que Pie XI n’avait aucune diplomatie et qu’il traitait Mussolini comme un archevêque (très subalterne). Il ne consultait pas ses cardinaux, n’admettait jamais avoir tort, donnait des ordres à exécuter hier, n’avait pas d’amis et était craint de tous ces collaborateurs.

Pie XI se met facilement en colère et tape de la main sur sa table de travail pour ponctuer son désaccord. Lors d’un entretien avec l’ambassadeur italien près le Saint-Siège, il lance: «Vous ouvrez la bouche, et votre haleine offense le pape; vous bougez, et vous m’humiliez; quand votre cerveau se met en branle, c’est pour comploter des offenses contre l’Église. Assez! Assez!»

Mussolini a besoin de Pie XI pour consolider son pouvoir. Fascisme rime avec populisme, nationalisme et totalitarisme. Pour être efficace en Italie, il doit aussi rimer avec catholicisme (religion de 99% de la population). Mussolini a ses espions au Vatican et ce dernier a son envoyé spécial auprès du Duce, le jésuite Pietro Tacchi Venturi.

Tellement souvent dans le bureau de Mussolini, Venturi hérite d’abord du surnom «confesseur du Duce», puis Raspoutine de Mussolini. C’est lui qui transmet les demandes de Pie XI et le résultat ne sera pas mince: Les Accords du Latran, signés le 11 février 1929.

La Cité du Vatican est établie en tant que territoire souverain, avec ses ambassadeurs. Le pape obtient que la religion catholique soit la seule religion en Italie et que l’État reconnaisse le mariage religieux. Un milliard de lires sont versées au Vatican pour compenser la perte de ses États pontificaux en 1870.

Pie XI et l’Église catholique ne sont pas les seuls gagnants suite aux Accords du Latran. C’est «un triomphe pour Mussolini en ce qu’il gagne le clergé au fascisme». Le Duce trouve au Vatican «une légitimité indispensable».

Historien, anthropologue et spécialiste reconnu de l’Italie contemporaine, l’auteur David Kertzer ne manque pas de souligner que cette victoire de Pie XI va s’avérer de courte durée. Vingt ans plus tard, écrit-il, les Italien en viendront à honnir la dictature qui les aura privés de leur liberté. «Comment jugeront-ils le Vatican qui a offert son soutien moral au régime?»

David Kertzer a eu l’idée d’écrire cet ouvrage lorsque Jean-Paul II a autorisé l’ouverture des archives du pontificat de Pie XI, en 2002, puis de celles plus générales des années Pie XI. Le livre est le fruit de sept années de recherche dans les archives vaticanes, italiennes, américaines et françaises.

Le Pape et Mussolini a reçu le prix Pulitzer en 2015 et a été traduit en onze langues. Lors de la remise du prix, on a dit que Kertzer avait «l’œil qui fait l’histoire, l’oreille qui trouve le mot juste, et l’instinct qui révèle la tragédie humaine».