Pas de déblocage pour le Campus Saint-Jean

Trois semaines après que l’Association canadienne-française de l’Alberta ait lancé une campagne de mobilisation pour sauver le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, l’incertitude règne toujours quant à l’avenir du seul établissement postsecondaire de langue française à l’ouest du Manitoba.
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Publié 05/06/2020 par Guillaume Deschênes-Thériault

Trois semaines après que l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) ait lancé une campagne de mobilisation pour sauver le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, l’incertitude règne toujours quant à l’avenir du seul établissement postsecondaire de langue française à l’ouest du Manitoba.

Le Campus fait face aux récentes compressions budgétaires en éducation postsecondaire du gouvernement de l’Alberta et à un gel de son financement reçu par le Programme des langues officielles en enseignement (PLOE) du gouvernement fédéral depuis 2003.

La francophonie de l’Alberta en est en mode «résistance» pour sauver la faculté Saint-Jean.

Éclipsé par la pandémie

Le gouvernement albertain a annoncé ses compressions en éducation à l’automne 2019. La pandémie de la CoViD-19 et les bouleversements qui s’en sont suivi sont venus jeter une ombre sur le dossier dans l’espace public. Le contexte de la crise sanitaire n’était pas favorable à une mobilisation d’envergure.

Dans les coulisses, les pourparlers se sont toutefois poursuivis. Le 14 avril 2020, la présidente et la directrice générale de l’ACFA, Sheila Risbud et Isabelle Laurin, accompagnées du doyen du Campus Saint-Jean, Pierre-Yves Moquais, ont rencontré le ministre de l’Éducation supérieure de l’Alberta, Demetrios Nicolaides, la ministre de la Culture de l’Alberta, Leela Aheer, de même que la secrétaire parlementaire de la francophonie de l’Alberta, Laila Goodridge.

Les demandes formulées par les intervenants francophones sont alors restées sans suite. Une seconde rencontre politique a eu lieu le 26 mai dernier. Lors de cette rencontre, le ministre Nicolaides a mentionné que son équipe travaillait toujours sur le dossier du Campus Saint-Jean, mais a rappelé les défis financiers auxquels fait face l’Alberta.

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Le ministre a indiqué qu’il offrirait une mise à jour à l’organisme franco-albertain dans les prochaines semaines.

Pierre-Yves Mocquais, doyen de la faculté francophone du Campus Saint-Jean, dans son bureau à Edmonton. Photo: Geoffrey Gaye

Vent de solidarité

Professeure à la Faculté Saint-Jean, Valérie Lapointe-Gagnon estime que c’est vraiment le lancement de la campagne «Sauvons Saint-Jean» le 13 mai dernier par l’ACFA qui a permis d’attirer l’attention du public sur la situation financière difficile que traverse actuellement l’établissement.

Depuis, des centaines de lettres ont été envoyées au gouvernement de l’Alberta, des rencontres citoyennes virtuelles ont été organisées et les mots-clics de la campagne ont abondamment été utilisés dans les médias sociaux d’un bout à l’autre du pays.

Valérie Lapointe-Gagnon

Même si la campagne a favorisé une importante mobilisation, elle ne semble pas encore avoir débouché sur des solutions concrètes. «Il y a une solidarité, il y a une prise de conscience sur le terrain. Tout cela est très positif, mais on ne nous a pas parlé d’une solution pérenne pour l’avenir du campus pour le moment. Ce que l’on voit, c’est plutôt une stagnation», souligne Mme Lapointe-Gagnon.

En appui à cette campagne, elle-même et sa collègue Anne-José Villeneuve ont rédigé une lettre ouverte sur la nécessité de mieux financer le Campus Saint-Jean qui a obtenu 937 signatures d’intervenants universitaires. Ni l’Université ni le gouvernement n’ont encore réagi à cette lettre. L’une et l’autre semblent pour le moment se renvoyer la balle dans le dossier.

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Incertitudes et restructuration

L’Université de l’Alberta est en période de transition. Le nouveau recteur, Bill Flanagan, entrera en fonction le 1er juillet. Il devra gérer une restructuration majeure de l’ensemble de l’Université pour réduire les coûts de fonctionnement. Des facultés sont appelées à être fusionnées.

«Il y a énormément d’incertitudes, surtout que l’Université de l’Alberta entre dans une phase de restructuration majeure. […]  Il y a tellement de questions en ce moment. On n’est pas les seuls à être inquiets. Il y a plusieurs autres facultés dont l’avenir est menacé. Il y en a aussi beaucoup qui s’inquiètent pour l’autonomie de l’Université de l’Alberta dans un contexte de diminution du financement public», explique la professeure Lapointe-Gagnon.

Le cas spécifique du Campus Saint-Jean n’a pas été abordé lors de la rencontre virtuelle organisée le 2 juin par l’administration de l’Université pour discuter des restructurations à venir. Un flou persiste quant au futur du Campus Saint-Jean dans ce contexte de renouveau marqué par les compressions provinciales.

Le recteur sortant, David Turpin, a décliné la demande d’entretien de Francopresse. C’est plutôt le doyen et vice-recteur académique de l’Université de l’Alberta, Steven Dew, qui a soumis une déclaration écrite.

Il reconnaît l’ampleur du soutien de la communauté francophone au Campus, mais rappelle du même souffle la situation financière précaire de l’Université dans son ensemble. «À la lumière des compressions budgétaires sans précédent de 110,3 millions $ auxquelles nous faisons face en tant qu’institution, les départements et les facultés de l’Université de l’Alberta prennent en ce moment des décisions très difficiles.»

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La responsabilité de l’Université

Les élus conservateurs albertains contactés n’ont pas donné suite aux demandes d’entretien de Francopresse. Par écrit, l’attachée de presse du ministère de l’Éducation supérieure, Laurie Chandler, mentionne que tout cela est du ressort de l’Université.

«En ce qui concerne la manière précise dont la subvention Campus Alberta est allouée aux différentes facultés, le ministère n’indique pas à l’Université de l’Alberta comment répartir son financement. Nous vous invitons à leur diriger vos questions.»

Selon Mme Chandler, le ministre Nicolaides s’attend à ce que les universités fassent des économies dans des secteurs qui n’auront pas d’impacts sur l’expérience étudiante. Dans le cas du campus Saint-Jean, les compressions dépassent toutefois largement le secteur administratif. Selon l’ACFA, si rien n’est fait d’ici septembre, le Campus devra couper 44% des cours prévus en 2020-2021.

La position actuelle des dirigeants politiques dans le dossier ne convainc pas Valérie Lapointe-Gagnon de l’engagement réel du gouvernement. «Est-ce qu’ils comprennent la réalité particulière du Campus Saint-Jean? Est-ce qu’ils y sont sensibles? Le fait de renvoyer constamment la balle à l’Université, ça ne montre pas qu’ils souhaitent faire partie de la solution pour le moment.»

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Un échange en français à l’Assemblée législative

Lors de la reprise des travaux à l’Assemblée législative de l’Alberta, le 27 mai dernier, la critique de l’opposition officielle en matière de francophonie du Nouveau Parti démocratique, Marie Renaud, a échangé en français avec le premier ministre Kenney pour le questionner sur la situation du Campus Saint-Jean, fait rarissime en politique albertaine.

Marie Renaud

En entretien avec Francopresse, la députée Renaud souligne que le gouvernement devrait s’inspirer davantage des solutions mises de l’avant par l’ACFA. «L’ACFA fait un excellent travail pour informer la population, pour informer les Albertains que nous sommes en train de perdre une institution vitale à la diversité de l’Alberta. Cependant, l’ACFA ne fait pas que cela, elle propose aussi des solutions et si le Parti conservateur n’écoute pas, honte à eux.»

Parmi les solutions proposées par l’organisme franco-albertain, Mme Renaud insiste sur l’importance de permettre au campus d’utiliser ses fonds de réserve pour faire face à la crise actuelle, de revoir à la hausse la subvention provinciale allouée au Campus pour qu’elle corresponde au nombre actuel d’étudiants et d’entreprendre des pourparlers avec Ottawa pour augmenter le financement fédéral.

 

Auteur

  • Guillaume Deschênes-Thériault

    Doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa et chroniqueur à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec Réseau.Presse.

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