Le droit d’utiliser le français avec les ordres professionnels de la santé est réaffirmé

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Publié 05/08/2021 par Gérard Lévesque

Les ordres professionnels du domaine de la santé qui désirent limiter le droit de leurs membres et du public à utiliser le français doivent avoir de bonnes raisons. La négligence du gouvernement ontarien de nommer des membres francophones au conseil d’un ordre n’est pas une excuse acceptable.

C’est ce qui se dégage des motifs du jugement rendu le 27 juillet par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans le dossier Bélanger c. l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, 2021 ONCS 5132.

Écrit par la juge Lise Favreau avec l’accord des juges Sandra Nishikawa et Katherine Swinton, le jugement est fort important puisqu’il traite des obligations linguistiques de tous les ordres professionnels de la santé de l’Ontario.

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La juge Lise Favreau.

Ces obligations sont stipulées à l’article 86 du Code des professions de la santé, étant l’annexe 2 de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, L.O. 1991, ch.18. Et, le Code est réputé faire partie de chaque loi sur une profession de la santé.   

Le paragraphe 86(1) du Code donne le droit à toute personne d’utiliser le français dans ses rapports avec l’Ordre. Le paragraphe 86(1.1) impose à l’Ordre l’obligation de déterminer la langue préférée de chacun de ses membres.

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Le paragraphe 86(2) impose au Conseil de l’Ordre l’obligation de prendre «toutes les mesures raisonnables» et d’élaborer «tous les plans raisonnables pour faire en sorte que les personnes puissent utiliser le français dans tous les rapports avec l’ordre».

Grâce au docteur Mathieu Bélanger

C’est un médecin francophone, le docteur Mathieu Bélanger, qui a donné à la Cour l’occasion de se prononcer sur ces obligations linguistiques.

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Le docteur Mathieu Bélanger

Le différend commence le 18 janvier dernier lorsque le Comité de discipline de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario rejette la requête du docteur Bélanger. Celle-ci visait à obtenir une ordonnance confirmant que son audience disciplinaire doit procéder devant un sous-comité qui comprend et qui peut s’exprimer en français.

Par l’entremise de ses avocats Anne Tardif et François Guay-Racine, Bélanger présente alors une requête en révision judiciaire, puis dépose un mémoire.

Le Comité de l’Ordre des médecins a sauté trop vite aux conclusions

Après un survol de la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du Canada au sujet des droits linguistiques – notamment les affaires R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, Mazraani c. Industrielle Alliance, [2018] 3 R.C.S. 261 et Bessette c. Colombie-Britannique, [2019] 2 R.C.S. 535, ainsi que la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans le dossier Belende c. Patel, 2008 ONCA 148 – la juge critique le Comité pour avoir conclu, sans aucune preuve, qu’il n’existe aucune mesure que le Conseil puisse prendre pour assurer que le gouvernement nomme plus de membres bilingues.

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Anne Tardif.

Elle rappelle que le paragraphe 86(2) du Code impose une obligation au Conseil d’un ordre. «C’est au Conseil de prouver qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et non au Comité de se baser sur une interprétation législative pour conclure que le Conseil n’a aucun contrôle sur la composition de l’ensemble des membres publics nommés par le gouvernement.» 

Selon la juge, le Comité énonce correctement les principes qui découlent de la jurisprudence sur l’interprétation des droits linguistiques.

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François Guay-Racine.

Cependant, le Comité abandonne ces principes étant donné l’impossibilité pour le Comité de forcer le gouvernement à nommer des personnes francophones ou bilingues au Comité.

Une interprétation littérale, plutôt que libérale, mène le Comité à prétendre que Bélanger peut exercer son droit d’utiliser le français si l’audience a lieu par le biais d’interprétation. 

C’est aux ordres professionnels de rechercher des membres bilingues

Or, «il n’y a aucune preuve que l’Ordre a demandé au lieutenant-gouverneur en conseil [c’est-à-dire au gouvernement] de nommer un membre du public additionnel qui parle français ou qui est bilingue».

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«Il n’est donc pas raisonnable pour le Comité d’avoir conclu qu’il n’est pas possible de constituer un sous-comité bilingue.»

«Si les membres de l’Ordre ont droit à une audience bilingue, il va sans dire qu’il incombe au lieutenant-gouverneur en conseil de nommer un nombre suffisant de membres du public bilingues, et à l’Ordre de communiquer ses besoins à ce dernier.» 

Le message est très clair pour l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Et pour le gouvernement, y compris la ministre de la santé, Christine Elliott. Tous les autres ordres de professions de la santé doivent aussi se sentir interpellés. De même que tous les organismes voués aux services en santé et ceux voués aux droits linguistiques.

En conclusion, la Cour déclare qu’en vertu du paragraphe 86(1) du Code, le docteur Bélanger a un droit présomptif à une audience disciplinaire devant un sous-comité qui comprend et qui peut s’exprimer en français sans l’aide d’interprètes ou de traduction.

Intervention de l’AJEFO et de la Chaire sur les enjeux linguistiques

Avant l’audience de la requête en révision judiciaire, la Cour accorde l’autorisation d’intervenir à la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques et à l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO).

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Maxine Vincelette

Dans leur mémoire et par la plaidoirie de Maître Maxine Vincelette, les deux intervenants font valoir que l’Ordre est une «institution de la Législature» en tant qu’institution établie par une loi de la Législature.

Étant donné la conclusion de la juge à l’effet que l’interprétation et l’application de l’article 86 du Code par le Comité ne sont ni correctes ni raisonnables, il n’est pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur les arguments des intervenants. Toutefois, la juge offre quelques brèves observations au sujet de ces arguments.

Refonte de la Loi sur les services en français

Elle se dit d’accord avec l’Ordre que la vaste définition d’«institution de la Législature» proposée par les intervenants ne s’accorde pas avec une interprétation harmonieuse de la Loi sur les services en français.

Voilà une observation qui arrive au moment opportun, puisque la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, prépare actuellement le projet de nouvelle Loi sur les services en français qu’elle entend déposer cet automne à l’Assemblée législative de l’Ontario.

Si le législateur veut que la nouvelle loi s’applique aux ordres professionnels, cela doit être inscrit dans le texte législatif, comme le prévoit d’ailleurs le projet communautaire.  

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LSF, Caroline Mulroney

À propos de la Cour divisionnaire

La Cour divisionnaire est une division de la Cour supérieure de justice. C’est l’une des cours d’appel les plus actives au Canada.

La Cour divisionnaire entend des appels prévus par la loi de décisions rendues par des tribunaux administratifs dans la province. Elle est la principale tribune pour le contrôle judiciaire des actions du gouvernement dans la province de l’Ontario. Elle a également une certaine compétence à l’égard d’appels en matière civile et familiale.

Chaque juge de la Cour supérieure de justice est également juge de la Cour divisionnaire. La Cour divisionnaire entend des affaires à divers moments de l’année dans chacune des régions judiciaires de l’Ontario, sauf à Toronto où la Cour divisionnaire siège à longueur d’année.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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