Maîtresse d’école ou maîtresse du curé?

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Publié 20/03/2012 par Paul-François Sylvestre

Connu pour les séries Les Portes de Québec et Les Folles Années, Jean-Pierre Charland revient avec une nouvelle saga, Félicité, dont le premier tome s’intitule Le pasteur et la brebis. Il campe son histoire dans le Québec de la fin du XIXe siècle et nous plonge dans l’aventure d’une jeune institutrice qui devient vite une «maîtresse», non pas une maîtresse d’école, mais plutôt la maîtresse de son nouveau curé.

En 1883, Félicité Drousson, couventine de Saint-Jacques, obtient son brevet d’enseignement à 17 ans.

Dès la page 49, une ombre plane sur son avenir. Avant de se rendre dans le village voisin de Saint-Eugène pour son entrevue avec les commissaires de l’école, son curé la met en garde en disant: «Quand tu seras là-bas, si quelque chose ne te plaît pas, refuse cet emploi.»

La couventine est loin de se douter de la teneur d’une telle recommandation. Elle ignore que cela fait allusion à Philomire Sasseville, curé de Saint-Eugène et commissaire d’école. En accueillant la jeune institutrice, le curé Sasseville ne manque pas de lui dire qu’elle fait «une charmante couventine» et qu’il «la recevra toujours de son mieux à chacune de ses visites dans son presbytère». La table est mise!

En 1883, le curriculum d’une école primaire consiste surtout à faire apprendre le Petit catéchisme par cœur, à enseigner l’histoire sainte, à montrer aux écoliers comment lire, écrire et calculer. La vie du Christ entre dans les dictées et la géographie, à tel point que les écoliers sont plus familiers avec la Galilée «que la province voisine de l’Ontario».

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L’auteur joue sur la rivalité entre deux familles du même rang. On se rend vite compte que, dans une petite paroisse rurale, tout peut fournir prétexte à une haine se perpétuant sur des décennies, d’une querelle de clôture à une insulte lancée sur le parvis de l’église en passant par une campagne électorale mouvementée.

Le style de Charland est parfois coloré. Pour décrire la silhouette d’un joli brin de fille, il écrit qu’elle «présentait les rondeurs d’un fruit encore vert». Et pour souligner à quel point une jeune femme est décharnée, il note qu’elle est «maigre comme un lièvre de mars».

Le romancier étaie son récit de prénoms bien typiques d’une autre époque: Philomire, Laïse, Floris, Tarrasine, Nicéas, Sildor, Louvinie.

Le roman illustre clairement une caractéristique prédominante de la société québécoise du XIXe siècle, soit le pouvoir omniprésent de Monsieur le Curé, pas juste en matière de religion, mais aussi en matière d’éducation, de vie familiale et sociale.

L’habit ecclésiastique donne tous les droits, y compris celui d’initier une jeune femme aux secrets de l’alcôve. Félicité en vient rapidement à se dire que l’onction sacerdotale a certainement insufflé assez de sagesse à son curé pour lui faire distinguer le bien et le mal.

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Dans la paroisse de Saint-Eugène, c’est le curé Philomire Sasseville qui décide justement entre le bien et le mal. Il «donne l’absolution pour laver l’âme des fidèles. [Elle] s’ajoute donc à ses stratégies de séduction.» Un jour (ou une nuit), Félicité apprend qu’elle peut recevoir deux fois l’absolution à moins de vingt-quatre heures…

Le célibat des prêtres catholiques est rudement mis à l’épreuve dans ce roman. L’auteur s’est documenté sur des cas de manquements flagrants au vœu de chasteté et ne manque pas de soulever un point de vue qui aurait été jugé sacrilège en 1883, à savoir que les prêtes sont des hommes comme les autres. «Si Dieu leur demande le célibat, il doit tout de même leur permettre de se… soulager. Ainsi la Providence met sur leur chemin d’excellentes chrétiennes qui les accueillent comme des hommes. Ce faisant, ces femmes les aident à accomplir le travail de Dieu.»

En dépit de certaines descriptions souvent trop longues ou parfois inutiles, Félicité: Le pasteur et la brebis demeure roman qui se lit avec fougue. On devine certains rebondissements, mais pas le dénouement…
Jean-Pierre Charland, Félicité: Le pasteur et la brebis, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2011, 560 pages, 29,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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