Logement à Toronto: des solutions pour les sans-abri

Des droits et des responsabilités

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Margaret's rénove des maisons historiques pour les femmes itinérantes. Photo: Margaret's Housing and Community Services
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Publié 04/02/2022 par Clément Lechat

Dans un premier article cette semaine, l-express.ca s’est penché sur la crise de l’hébergement d’urgence qui impacte les sans-abri à Toronto cet hiver. Du côté du logement conventionnel, les locataires ontariens voient aussi leur situation s’assombrir.

En réponse à la pandémie de covid, le taux légal d’augmentation des loyers avait été fixé à 0% en 2021. Mais depuis le 31 décembre, ce taux est passé à 1,2%… Avec des possibilités de dérogations pour les propriétaires qui veulent augmenter les loyers au-delà du plafond.

Ce réchauffement des prix du logement intervient au moment où le thermomètre chute à Toronto. Avec en ligne de mire la crainte d’une flambée des expulsions pour non-paiement de loyer cet hiver.

Des pistes existent-elles en amont pour prévenir le sans-abrisme? Voici un panorama des solutions avec une professionnelle de l’hébergement, un travailleur social, des juristes et un avocat.

Prise de conscience

Le sans-abrisme et la pénurie de logements abordables sont les deux faces d’un même problème, affirment les experts du secteur.

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Il faut dire que le parc de logements abordables de Toronto est saturé et ne répond pas à la demande. L’attente pour un logement varie de 7 à 12 ans en fonction de sa taille.

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Renaud Saint-Cyr.

Le logement abordable, «c’est la voie», insiste Renaud Saint-Cyr, travailleur social et directeur d’Alpha Toronto. Il estime qu’il faut continuer à augmenter les places en hébergement d’urgence en parallèle, pour aider les victimes de la crise du logement.

«De plus en plus de gens se retrouvent dans la rue. Et parmi eux on en retrouve qui sont là pour des raisons financières. Les logements sont devenus complètement inabordables à Toronto», se désole-t-il.

Les lignes semblent cependant bouger du côté des autorités. Il observe un intérêt du maire John Tory sur la question.

Une prise de conscience que souligne aussi Vanessa Sindayihebura, directrice des opérations et des finances chez Margaret’s Housing and Community Services, qui a remarqué que le plan de services d’hiver de la ville mentionne cette année la construction de nouveaux logements abordables.

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Vers du logement abordable

C’est une voie que l’organisme d’aide aux sans-abri a décidé de suivre. Margaret’s s’est associé au bureau du logement abordable de la ville de Toronto pour réaménager 4 maisons historiques du quartier de Cabbagetown.

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Vanessa Sindayihebura.

Ce projet baptisé «Winchester» débouchera d’ici mai 2022 sur 35 appartements autonomes, où l’organisme offrira un accompagnement 24h/24.

«La solution est de fournir aux sans-abri, francophones ou anglophones, un logement permanent… Avec des intervenants sur place pour les soutenir», indique Vanessa Sindayihebura.

«Il est important de pouvoir accéder à un logement permanent. Mais il est aussi difficile de le garder pour les personnes avec des maladies mentales. Il y a beaucoup de facteurs qui font qu’elles sont en incapacité de garder ce logement», indique-t-elle.

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Une des maisons en rénovation rue Winchester. Photo: Margaret’s Housing and Community Services

De son côté, le logement subventionné est le nouveau grand projet du Centre francophone du Grand Toronto (CFGT), qui est actuellement en pleine réflexion sur la question.

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«Le logement abordable est la solution. On sait que le gouvernement fédéral en a fait une priorité. Il y a du financement qui sera disponible pour les organismes communautaires, et nous avons l’intention de capitaliser là-dessus», indiquait Aissa Nauthoo, directrice des services d’aide juridique, d’établissement et d’emploi au CFGT, en septembre à l-express.ca.

«C’est un projet qui a beaucoup de chances d’aboutir et qui est déjà bien avancé», commente Christophe Mutonji, juriste au CFGT depuis 20 ans.

Riposte juridique

Si ces initiatives pour le logement abordable sont saluées par les acteurs du secteur, éviter les expulsions en amont pourrait aussi constituer une solution préventive.

Les retards et les non-paiements de loyers sont des causes majeures d’évictions.

«Mais avec la pandémie, le problème s’est accentué», observe Aissa Nauthoo. «Des personnes ont perdu leur emploi. Le prix de la nourriture a augmenté», ajoute-t-elle.

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Aissa Nauthoo. Photo: Facebook du CFGT

Face aux expulsions, le Centre francophone dispose d’outils pour assister les locataires en détresse. Il procure par exemple une aide juridique gratuite aux locataires pour les défendre devant la Commission de la location immobilière.

«Nous essayons d’aider tous ceux qui n’ont pas assez de moyens pour se trouver un avocat dans la pratique privée», assure Christophe Mutonji.

En plus de ce soutien juridique, le Centre francophone peut coordonner cette aide avec son service d’aide au logement, qui a développé un programme dans la région de Peel.

«Quand nous nous battons devant la commission, si nous percevons que nous n’avons pas beaucoup de chances de gagner, nous essayons d’orienter le locataire vers des logements sociaux à prix modique», ajoute M. Mutonji.

Locataires peu protégés

Non-respect du modèle de bail standard, augmentation des loyers au-delà du taux maximal autorisé, location de logements insalubres… Au cours de ses vingt ans de carrière, Christophe Mutonji a constaté de fréquents abus à l’encontre des locataires.

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Les victimes sont parfois de nouveaux arrivants qui ignorent les règles ontariennes et leurs responsabilités en tant que locataires.

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Christophe Mutonji.

«Certains arrivent de pays où il n’existe pas trop de règles dans le domaine du logement, où c’est vraiment du droit civil. Ici, ils sont confrontés à cette rigueur de la loi. Ils se retrouvent au pied du mur», analyse le juriste du CFGT.

Face à ce constat, il propose de rendre obligatoire le contrat d’une durée d’un an et d’éliminer ceux à 1 semaine ou à 1 mois.

Bloquer le loyer au départ d’un locataire pourrait permettre de limiter la hausse des prix. «La personne qui reprend le logement ne pourra pas payer plus, sauf si le propriétaire peut prouver qu’il a fait des rénovations», précise-t-il.

Cependant, le juriste n’est pas très optimiste quant aux chances de voir ses idées se concrétiser. En cause, la faible mobilisation collective des Canadiens pour revendiquer plus de droits au logement.

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«Les gens se contentent de trouver une solution pour leurs problèmes personnels. Et quand il s’agit de faire quelque chose en groupe, ils ne sont pas très motivés. Les propriétaires n’ont pas peur», regrette M. Mutonji.

Trêve hivernale

En termes de droit du logement, l’Ontario pourrait-il regarder de l’autre côté de l’océan Atlantique et s’inspirer du Vieux Continent? En France, du 1er novembre au 31 mars, la «trêve hivernale» interdit l’expulsion des locataires dans la plupart des situations.

Or, en Ontario, «ni la composition de la famille, ni la saison ne peut empêcher une expulsion», se désole Christophe Mutonji.

Une situation que déplore aussi l’avocat Nicolas Rouleau. «Au Québec les lois sont beaucoup plus restrictives, c’est difficile de se débarrasser d’un locataire, surtout en hiver. Je ne sais pas pourquoi en Ontario c’est tellement plus facile», observe-t-il.

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Nicolas Rouleau

«Il y a un certain équilibre à faire entre le droit des propriétaires et le droit des locataires. Mais de là à les expulser en plein hiver, dans un pays comme le Canada ou une province comme l’Ontario, ça semble vraiment cruel».

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Engagé auprès des sans-abri et des mendiants dans l’affaire qui l’oppose au Safe Street Act, maître Rouleau est convaincu que leur sort peut s’améliorer en s’appuyant sur la Charte canadienne des droits et libertés.

L’absence d’un dispositif de trêve hivernale peut-elle constituer une mise en danger de la personne, contraire à son article 7, qui garantit le droit à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne? Pourquoi pas, selon l’avocat, qui l’invoque déjà dans sa requête contre le Safe Street Act.

Dans cette affaire, Nicolas Rouleau a démontré l’effet de ces amendes sur la sécurité psychologique des mendiants, qui se sentent étouffés sous une montagne d’amendes qu’ils ne peuvent pas payer.

La Charte canadienne des droits et libertés.

«Une autre façon d’attaquer le problème serait par la voie de l’article 15 qui empêche la discrimination… Si on pouvait démontrer que ces gens sont majoritairement sur le bénéfice social, ou ont des problèmes de santé mentale.»

Droit international

Face à cette situation, le droit international peut-il venir au secours des sans-abri torontois? Le Canada s’est théoriquement engagé à agir progressivement pour éliminer le sans-abrisme… En 1976… C’est-à-dire il y a 45 ans, lors de la ratification du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

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Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU avait lourdement réprimandé le Canada en 2016. En cause, la crise du logement qui continue à y sévir et l’accroissement du nombre de personnes en situation d’itinérance.

«Le droit international peut servir d’inspiration, mais pas beaucoup plus. En bout de ligne, notre droit est basé sur nos textes législatifs», nuance maître Rouleau.

Espoirs en provenance du fédéral?

Cependant, en 2019, le Canada s’est doté d’une loi fédérale inaugurant une stratégie nationale du logement. Elle dispose que «le droit à un logement suffisant est un droit fondamental de la personne confirmé par le droit international».

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Jeff Morrison

«Il s’agit de la première fois où le gouvernement canadien reconnaît légalement un droit explicite au logement», indiquait en 2019 Jeff Morrison, directeur général de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine.

Or, cette loi «ne créera pas un droit individuel applicable pour l’accès au logement», nuance-t-il. De plus, il s’agit d’une loi fédérale pour laquelle la participation des provinces, territoires et municipalités, se fait sur la base du volontariat.

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Le chemin semble donc encore long à parcourir pour arriver à un droit au logement invocable en justice. Mais Nicolas Rouleau garde quant à lui espoir.

«C’est lent que ça prenne tellement de temps pour reconnaître ces droits. Mais au moins ça va dans la bonne direction».

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