L’inaccessible atteinte de l’égalité entre les «deux peuples fondateurs»

Débats passés et présents sur les droits linguistiques

Canada
Valérie Lapointe-Gagnon est professeure à la Faculté Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. (Photo: Far West Productions). Son essai de 376 pages Panser le Canada rappelle les réflexions des coprésidents: le rédacteur en chef du Devoir, André Laurendeau (à droite) et le président de l’Université Carleton, Davidson Dunton.
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Publié 27/04/2018 par Gérard Lévesque

La contribution de la professeure Valérie Lapointe-Gagnon (Faculté Saint-Jean, Université de l’Alberta) au dossier sur le projet de bilinguisme, publié dans le numéro 2 du volume 26 du Bulletin d’histoire politique, est présentée sous le titre De l’atteinte de l’égalité entre les «deux peuples fondateurs»: débats sur le bilinguisme à la Commission Laurendeau-Dunton, 1963-1971.

Grâce à une étude minutieuse et approfondie dans les archives, la professeure nous offre un regard de l’intérieur de la Commission, dont le mandat était de faire enquête sur l’état du bilinguisme et du biculturalisme et de recommander les mesures à prendre pour que la fédération canadienne se développe d’après l’esprit des deux peuples fondateurs, tout en tenant compte de l’apport des groupes ethniques.

La professeure vise à retracer les principaux éléments de friction présents dans ces discussions menées sur la nature d’un pays bilingue, «éléments qui permettent de saisir en quoi le bilinguisme peut encore aujourd’hui effrayer et susciter certains préjugés».

Obstacles systémiques

Personne ne peut contester cette affirmation. Et, au-delà des craintes et préjugés, il existe aujourd’hui, dans la province même où vit la professeure, des obstacles systémiques à l’utilisation de la langue française.

Par exemple, si des justiciables albertains désirent déposer des déclarations assermentées qui ont été rédigées en français, ils se font dire, même dans une contestation constitutionnelle, que cela n’est pas acceptable, à moins d’être autorisé par un juge.

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Si ces justiciables demandent l’autorisation d’un juge, un haut-fonctionnaire recevra le mandat de s’opposer à la demande. Et, si la juge autorise le dépôt de documents en français, les fonctionnaires vont avoir recours à des subterfuges pour empêcher l’utilisation de la langue française.

Ontario bilingue?

À l’approche de l’élection ontarienne du 7 juin prochain, il est approprié de se faire rappeler par la professeure qu’afin de créer un meilleur équilibre des forces, les commissaires envisageaient de renforcer le bilinguisme sur la scène fédérale et sur la scène provinciale en recommandant que l’Ontario et le Nouveau-Brunswick deviennent officiellement bilingues.

On sait ce qui est arrivé à cette recommandation. À la conférence de Victoria, en 1971, l’Ontario, alors sous la direction de John Robarts, accepte une adhésion à des droits linguistiques constitutionnels.

À la suite de l’échec de la conférence, son successeur, William Davis, procède plutôt à une lente mise en œuvre progressive de certains services en français, par après inscrits dans la législation ontarienne. Aujourd’hui, le Nouveau-Brunswick est la seule province qui a adhéré aux articles 16 à 20 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Droits formels

Aux yeux des commissaires, une langue devient officielle lorsqu’elle reçoit une protection assurée par la loi. Tel qu’ils l’ont écrit dans le livre 1 de leur rapport final: «Nous croyons que des droits formels doivent dorénavant remplacer les simples tolérances ou accommodements, et qu’à un bilinguisme de fait plus ou moins précaire, toujours discuté et inégalement accepté selon les régions, il faut substituer un bilinguisme officiel.»

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La recherche de Valérie Lapointe-Gagnon nous permet notamment d’apprendre que les commissaires ont été inspirés d’une présentation du professeur William Francis Mackey. Ce linguiste et spécialiste de la dynamique des langues a identifié trois objectifs que devrait remplir un État bilingue: garantir la survie de chaque groupe linguistique; défendre l’intégrité de chaque groupe; et assurer que la majorité aide toujours la minorité à se développer.

Selon la professeure Lapointe-Gagnon, en matière de bilinguisme, l’héritage de la Commission demeure consistant: à partir de 1969, la Loi sur les langues officielles a passablement transformé le paysage des politiques linguistiques au pays en renforçant le caractère officiel de la langue française. «Il faut toutefois regarder au-delà de cette transformation et revenir à l’essence de la commission qui a permis une réflexion pertinente et nécessaire sur l’égalité.»

Tant que toutes les autorités législatives du pays n’accepteront pas de respecter la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du Canada en matière des droits linguistiques, les francophones établis dans plusieurs provinces et territoires de common law  vont continuer de faire face à des situations inacceptables de discrimination linguistique. Et les travaux d’universitaires comme la professeure Lapointe-Gagnon seront pertinents pour illustrer des injustices historiques qui se perpétuent à l’endroit des membres de nos communautés.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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