Les emprunts : un peu fort de café?

Une douzaine d’anglicismes à éviter

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Publié 01/10/2018 par Michèle Villegas-Kerlinger

Saviez-vous que le 1er octobre est la Journée internationale du café?

Et, par la plus étrange des coïncidences, c’est aussi la Journée internationale du chocolat.

Cela dit, je vous invite à m’accompagner à un petit café virtuel dans le paragraphe qui suit où il y a, non pas une douzaine de beignes, mais une douzaine d’anglicismes, quatre phraséologiques et huit morphologiques, qu’il vaut mieux éviter.

Les premiers constituent l’emprunt d’une expression ou d’une image d’une autre langue comme «ça fait du sens» (it makes sense) au lieu de «ça a du sens». Les seconds sont une traduction littérale d’un mot simple ou composé, emprunté à une autre langue. C’est le cas d’«un appel longue distance» (a long distance phone call) au lieu d’«un appel interurbain».

Le test

Pourriez-vous trouver tous les anglicismes? Bonne chance!

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Lorsque je me rends au travail le matin, un petit arrêt au café du coin s’impose. Comme d’habitude, cet endroit est rempli à pleine capacité et ce, à l’année longue, peu importe l’heure, le jour ou la saison.

Tôt hier matin, je me suis mise dans la file d’attente tout en scrutant le menu pour voir s’ils avaient augmenté leurs prix de liste à l’instar d’autres restaurants de la ville. Heureusement, on peut encore avoir un café pour une chanson dans certains établissements! Et, au meilleur de ma connaissance, c’est ici où le rapport prix-qualité est le meilleur.

Tout à coup mon regard s’est fixé sur les beignes au chocolat. Quel délice! Mais vu le nombre de calories dans cette petite gâterie, j’ai jugé mieux de mettre mon envie sur la glace. À toutes fins pratiques, le café est suffisant pour me recharger les batteries.

Enfin, c’était mon tour. J’ai salué le préposé à la caisse avec un sourire et un «Bon matin» et lui ai demandé un grand café au montant de 2$. Mais le malheur a voulu que je prenne la tasse d’une main tout en cherchant de l’autre une pièce de 2$ dans ma sacoche. Je suis venue près de renverser tout mon précieux café sur le plancher! Heureusement, le client derrière moi a attrapé le gobelet juste à temps.

À la fin de la journée, j’ai pu déguster mon café sans autre forme de procès et je suis arrivée sans histoire à ma place d’affaires.

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Les réponses

Avez-vous trouvé tous les emprunts? Voici les réponses:

1. À (pleine) capacité (to (full) capacity) : complètement, entièrement, totalement ou au maximum. Dans le cas de «rempli à pleine capacité», on emploiera plutôt bondécomble ou plein. S’il s’agit d’un mécanisme, on privilégiera les expressions à plein rendement ou à plein régime.

2. À l’année longue (all year long) : toute l’annéeà longueur d’année ou l’année durant. Pour remplacer «à la journée longue» et «à la semaine longue», on dira : tout le jourtoute la journée ou à longueur de jour et toute la semaineà longueur de semaine ou la semaine durant.

3. Le prix de liste (list price ou regular price) : tarif, prix courant ou prix de catalogue.

4. Pour une chanson (for a song) : pour une bouchée de painpour (trois fois) rienpour presque rien, pour un prix dérisoire, à bon compte, à vil prix.

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5. Au meilleur de ma connaissance (to the best of my knowledge) : (pour) (autant) que je sached’après moi, d’après ce que je/j’en sais, si je me souviens bienà ma connaissanceà mon avis.

6. Mettre sur la glace (to put on ice) : mettre en veilleuse/en attente/en sommeil, mettre/laisser de côté, remettre/reporter à plus tard, laisser dormir.

7. À toutes fins pratiques (for all practical purposes) : en pratique, pratiquement, en fait, en réalité, en définitive.

8. Bon matin (good morning) : bonjour, bonsoir (salutations) ou bonne journée, bon/bonne avant-midi, bon/bonne après-midi, bonne soirée et bonne nuit (souhaits surtout). Bien que «Bon matin» soit une marque de pain bien connue, il faut éviter d’utiliser l’expression ailleurs.

9. Au montant de (to/in the amount of) : de.

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10. Venir près de (to come near/close to doing something) : faillir, être sur le point de, manquer de. Cet emprunt n’est pas forcément à condamner, mais elle relève de la langue familière et peut être facilement remplacée par une expression plus «française».

11. À la fin de la journée (at the end of the day) : au bout du compte, en fin de compte, en somme, finalement.

12. Une place/un lieu d’affaires (place of business, business place: établissement (de commerce/ commercial), lieu de travail, cabinet, bureau(x)/maison de commerce (s’il s’agit du lieu où se trouve une entreprise) ; succursale (pour l’établissement commercial qui en dépend d’un autre juridiquement tout en gardant une certaine autonomie)

Les quatre emprunts phraséologiques sont les numéros 4, 6, 10 et 11.

Le cas de «flabbergasté»

Les emprunts ne sont pas mauvais en soi. En fait, c’est en partie grâce à ce procédé que les langues s’enrichissent, surtout si une langue n’a pas de mot équivalent.

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Le problème se pose lorsque l’anglicisme entre en concurrence avec des termes français, arrivant parfois à les supplanter. Un exemple flagrant d’un emprunt inutile serait le mot «flabbergasté» dont Guy Bertrand, le premier conseiller linguistique de Radio-Canada, a parlé l’autre jour dans sa chronique.

Pourquoi ne pas dire «surpris», «étonné», «stupéfait», «estomaqué», «soufflé», «sidéré» ou «abasourdi»? Tous ces adjectifs font partie intégrante de la langue française et expriment de nombreuses nuances dont le seul mot «flabbergasté» est incapable.

Qu’est-ce la «membrieté»?

Depuis peu il existe un nouveau terme, «membriété», au sens de «ensemble des membres, des adhérents, des effectifs». Il s’agit d’un néologisme, à savoir un mot nouveau ou un sens nouveau donné à un terme français existant.

Mais, encore une fois, pourquoi recourir à un emprunt ou à un néologisme si le français dispose déjà d’un mot convenable ou si l’Office québécois de la langue française réussit à trouver des solutions plus ou moins heureuses (il est vrai que le mot «courriel» a connu plus de succès que «gazouillis»).

Enrichir ou appauvrir la langue française?

Le Colpron, dictionnaire des anglicismes, écrit par Constance Forest et Denise Boudreau, comprend près de 5 000 entrées alors que le Grand glossaire des anglicismes du Québec, rédigé par Jean Forest, en compte plus de 10 000.

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La Banque de dépannage linguistique vante plus de 350 articles dédiés aux anglicismes. Dans presque tous ces cas, il s’agit d’emprunts superflus.

Les emprunts peuvent enrichir une langue, mais ils peuvent l’appauvrir aussi. À nous tous d’être conscients de ce phénomène et vigilants sur ce point si nous voulons éviter la faillite linguistique.

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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