Le récit d’une indécrottable cancanière, morveuse, chipie et grande gueule

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Publié 05/09/2006 par Paul-François Sylvestre

La réclame publicitaire vantait le récit d’une ado mal dans sa peau, qui avait eu une nounou et une psy répondant respectivement au nom de Monica Lewinsky et Adolf Hitler. On la présentait comme la fille d’Erica Jong, reine américaine de la littérature érotique, et la petite-fille de Howard Fast, auteur de Spartacus. Difficile de ne pas demander un service de presse de ce bouquin qui semblait tout désigné à être dévoré sur le balcon, sur un vol outre-mer ou sur le bord de la piscine.

Le colis est arrivé et j’ai lu Y a-t-il un sexologue au rez-de-chaussée? de Molly Jong-Fast. Il s’agit du récit d’une fille juive pourrie gâtée qui se décrit en ces termes: «Je suis très superficielle, très vaniteuse, égocentrique et je me hais, je suis obsédée par mon ego, et je suis également insignifiante et creuse (…) mon impopularité venait de ce que j’étais une indécrottable cancanière, une morveuse, une chipie, une grande gueule.» Attache ta ceinture, Paul-François, c’est parti pour être une lecture débridée!

J’y vais mollo lorsque je dis «lecture débridée». Molly Jong-Fast est aussi sereine que peut l’être «une gamine juive trouillarde complètement névrosée et sujette à des angoisses irrépressibles». À dix ans, elle a compris ce que la plupart de ses congénères mettent toute une vie à capter: «dans la vie, rien ne vaut la télé, la bouffe et les cadeaux». La fillette trouve que sa mère dépense tellement d’argent pour des choses qui n’en valent pas la peine qu’elle se fait un devoir de lui en faucher pour en faire meilleur usage.

Molly Jong-Fast prend tous les moyens pour nous faire croire qu’elle a souffert dans sa jeunesse. Voici un exemple de ce qu’elle raconte: «Quand la fille du café du coin n’a plus de beignets, je dois prendre un taxi jusqu’à la 83e Rue pour aller chercher des Krispy Kreme Doughnuts». Quelle pitié! Pas étonnant que la pauvre narratrice devienne «une baleine, un gros cul, une Michael Moore adolescente (dans les 120, 125 kilos)».

Quand la mère est l’auteure à succès de livres cochons, pardon, érotiques, la fille doit avoir l’air célèbre. La recette pour y arriver est très simple. Il faut se promener avec un escadron de gardes du corps, avoir un coach, professeur de yoga ou entraîneur spirituel qui est fumeur d’herbe, compter parmi ses contacts un dealer attitré et, bien entendu, consulter régulièrement une psy. Celle qui se nomme Dr Adolf Hitler réussit à convaincre Molly qu’elle doit perdre du poids. L’ado arrête donc de manger dix beignets par jour, mais continue de faire son fameux tintoin lorsqu’elle n’obtient pas ce quelle veut.

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Je n’ai pas besoin d’en dire plus pour vous convaincre que le récit de Molly Jong-Fast se loge à l’enseigne du débridé pure laine et du délirant au coton. Même si l’auteure se laisse emporter par un courant tordant et déboussolant, elle réussit souvent à énoncer certaines vérités en empruntant des voies peu orthodoxes. À titre d’exemple, elle écrit que, «à l’exception de ceux qui suivent des réunions de groupe d’entraide, des mormons, des adeptes de la Scientologie et des enfants d’écrivains qui sont aussi écrivains, 90% des écrivains détestent tous les autres écrivains».

Je termine avec un aveu qui ne vendra pas la mèche. La réponse à la question que pose le titre du livre est bien entendu affirmative. Il y a même deux sexologues au rez-de-chaussée. Ils sont des analystes freudiens français qui, «comme tous les Français, aiment Jerry Lewis». Molly Jong-Fast, elle, aime déballer le linge sale de son ahurissante et hilarante tribu avec une férocité qui n’a d’égale que sa tendresse.

L’auteure de Y a-t-il un sexologue au rez-de-chaussée? a 26 ans. Elle est collaboratrice régulière du New York Times et de Cosmopolitan, de Marie-Claire et Elle aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Elle a publié son premier roman, La Fille normale, en 2000.

Molly Jong-Fast, Y a-t-il un sexologue au rez-de-chaussée?, récit traduit de l’américain par Bernard Turle, Éditions Grasset, France, 2006, 324 pages, 29,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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