Le queer peut influer sur toutes les logiques sociales qui régissent «nos fuckin vies»

Sous la direction de Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Girard, QuébeQueer – Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2020, 520 pages, 44,95 $.
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Publié 19/07/2020 par Paul-François Sylvestre

Sous la direction de Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Girard, QuébeQueer se penche sur le queeritude dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises contemporaines.

Avec des textes de 31 collaborateurs – militants, autrices, artistes, doctorantes et surtout profs d’université (dont certains d’Ottawa, Trent et Hearst) –, cet ouvrage fera référence.

Et pour cause puisque «plus de 27 œuvres de fiction (romans, récits, nouvelles, pièces de théâtre, journaux, téléséries, chansons, films) publiées au Québec principalement entre 1965 et 2017 […] et mettant en scène des personnages hétéros et homosexuels, intersexués, cis et trans, racisés, gros… sont analysées de front, et plus de 28 auteur·e·s sont abordé·e·s dans une perspective critique et analytique.»

S’intégrer

Le format de cette recension oblige à faire des choix, à braquer les projecteurs sur un petit nombre d’analyses.

Je signale celle de Tara Chanady, chargée de cours à l’Université de Montréal: «Dépasser les stéréotypes et le conformisme. Queeriser les représentations LGBT à la télévision québécoise». On y apprend qu’une émission ne doit pas trop bousculer ni se faire trop revendicatrice. Il importe plutôt de s’intégrer à la culture hétéronormative.

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Tara Chanady écrit que «la télévision québécoise nécessite un bouleversement des codes représentationnels des genres et des sexualités afin de s’éloigner du conformisme aliénant des représentations actuelles. Repenser les conditions de visibilité et la réactualisation des normes qui traversent les espaces publics et médiatiques passe entre autres par une télévision qui cherche à critiquer, transformer et créer plutôt qu’à simplement divertir, cadrer et normaliser.»

Michel Tremblay

La pièce de théâtre Hosanna, de Michel Tremblay, est analysée par Jorge Calderón, professeur agrégé au Département de français et au Département du genre, de la sexualité et des études féminines à l’Université Simon Fraser.

À son avis, écrire, décrire et montrer visuellement le sexe queer est un processus créateur qui peut certes être émancipateur, mais la force de la sexualité queer revêt une puissance de shattering (destruction) et de self-shattering (autodestruction), «c’est-à-dire une puissance qui peut faire voler en éclats le sujet, la subjectivité, la subjectivation et l’assujettissement».

Jorge Calderón note que « cette puissance, qui peut détruire – du moins momentanément – les mécanismes disciplinaires et régulateurs biopolitiques qui contrôlent les individus, est au fondement de la création queer. Par conséquent, cette force de destruction et d’autodestruction de la sexualité queer peut être activée dans des œuvres comme Hosanna parce qu’elle les informe de manière fondamentale. »

Marie-Claire Blais

Guillaume Poirier Girard, doctorant en études françaises de l’Université de Sherbrooke, se penche sur les «Subjectivités lesbiennes queer et hétérotopies dans Les nuits de l’Undergound de Marie-Claire Blais».

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Ce treizième roman de l’écrivaine québécoise, paru en 1978, «expose, par l’entremise des personnages de femmes non hétérosexuelles qui le composent, plusieurs subjectivités lesbiennes queer. Celles-ci sont marquées par la solidarité et l’inclusion dans une longue lignée de femmes, sorte de matrilignage, par le désir et le bonheur de vivre ensemble malgré certains aléas, et par une reconnaissance mutuelle de chacune et bénéfique à toutes.»

Xavier Dolan

Florian Grandena et Pascal Gagné, de l’Université d’Ottawa, analysent l’œuvre du cinéaste Xavier Dolan qui, en passant, a refusé la Queer Palm du Festival de Cannes en 2012 pour son troisième film de fiction, Laurence Anyways, sous prétexte qu’il s’agissait d’une récompense ghettoïsante et ostracisante.

Les auteurs écrivent que, «dans l’ensemble, Xavier Dolan prend certes des risques, mais qui demeurent calculés. Fils prodige du septième art, fils prodigue des homos, en quête de reconnaissance et de distinction, Dolan retournera toujours chez les queers pour s’inspirer. Le cinéma de Dolan, c’est déjà un classique.»

Subversif

Les codirecteurs Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Girard soulignent qu’une œuvre queer «met en avant et valorise, tant par le fond que par la forme, la multitude, les singularités donc les différences, tout en récusant la pensée catégorielle et les hiérarchies qu’elle institue».

En choisissant de les renverser, le queer a le potentiel d’influer sur toutes les logiques sociales qui régissent «nos fuckin vies».

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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