Le Nunavut, la dernière frontière canadienne

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Le 18 janvier 2024, signature de l’entente historique de transfert de terres publiques et de responsabilités du gouvernement canadien vers le Nunavut. Photo: Adam Scotti, Bureau des Affaires du Nord
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Publié 28/01/2024 par Marc Poirier

Le Nunavut joue maintenant dans la cour des grands. La conclusion, le 18 janvier dernier, d’une entente conformément à laquelle le gouvernement fédéral lui transfère la gestion des terres publiques et des ressources qu’elles contiennent place le territoire sur un pied d’égalité avec le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest.

L’entente du 18 janvier est historique, non seulement pour le Nunavut, mais aussi pour le Canada. Il s’agit du plus important transfert de terres depuis la création du pays. Deux millions de kilomètres carrés de terres publiques, qui étaient administrées jusqu’ici par Ottawa, seront dorénavant gérées par le Nunavut.

Pour ce territoire, c’est l’aboutissement d’une longue épopée. Cette terre habitée depuis des milliers d’années faisait partie des Territoires du Nord-Ouest, une région contrôlée par la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui l’a cédée au Canada en 1870, peu après la Confédération.

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Le Nunavut arrive au cinquième rang dans le monde pour l’étendue de sa division administrative. Le territoire comprend la majorité des îles de l’Arctique canadien, dont l’île de Baffin (extrême est) et l’île d’Ellesmere (extrême nord), à proximité du Groenland. Photo: Wikimedia Commons, Share Alike 2,5 Generic

Plébiscite

L’idée de diviser les Territoires du Nord-Ouest en deux remonte à la fin des années 1950. Une première tentative fait son chemin à la Chambre des Communes, en 1963. Le projet de loi meurt cependant au feuilleton lors du déclenchement des élections.

Les Inuits, qui forment plus de 80% de la population de l’est des Territoires du Nord-Ouest, prennent le relais. En avril 1982, un plébiscite sur la division des Territoires du Nord-Ouest recueille 56,5% d’appui. Dans l’Est, à majorité inuite, le oui l’emporte à 80%.

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Il faudra cependant user de patience. Les négociations portant sur la frontière commune s’étirent. Ce n’est que 10 ans plus tard, en 1992, qu’une entente intervient. Un autre référendum a lieu. Cette fois, la proposition récolte près de 85% des appuis.

On y est presque. Bien que deux lois soient adoptées en 1993 sur la création du Nunavut (qui signifie «notre terre» en inuktitut), ce n’est que le 1er avril 1999 que le nouveau territoire voit formellement le jour avec un premier gouvernement au Canada contrôlé par des Autochtones.

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Iqaluit, capitale du Nunavut, en 2014. Photo: Aaron Einstein, Wikimedia Commons, domaine public
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Vue de la ville d’Iqaluit, capitale du Nunavut, à l’hiver 2010. Photo: Aaron Einstein, Wikimedia Commons, GNE Free documentation License

Qui sont les Inuits?

On pourrait penser que les Inuits sont les premiers humains à habiter ces contrées nordiques. Ce n’est pas le cas.

Les ancêtres du peuple inuit («peuple», en inuktitut) auraient atteint l’Alaska vers l’an 1000 apr. J.-C. en traversant la Béringie, ce pont terrestre qui existait entre la Sibérie et le nord-ouest de l’Amérique du Nord, avant d’être submergé et de devenir le détroit de Béring. En moins de trois siècles, ces ancêtres parcourent l’extrême nord du continent nord-américain jusqu’au Groenland.

On les a nommés «gens de Thulé», du nom d’un comptoir danois du Groenland où les archéologues les ont identifiés pour la première fois.

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Thulé était le nom donné par le navigateur grec Phytéas, de Marseille, à un archipel situé au nord de l’Écosse qu’il aurait visité, ou du moins dont il aurait entendu parler lors de son voyage dans la région. Thulé devient ensuite un endroit mythique, le point le plus au nord du monde connu.

Résumons: les experts ont donné aux premiers Inuits, venus d’Asie, un nom mythique inventé par un Grec vivant dans le Sud de la France actuelle pour nommer une hypothétique île au nord de la Grande-Bretagne, et repris par les Danois pour nommer un de leurs comptoirs au Groenland. C’est cela, oui.

Toujours est-il que, lorsque les premiers Inuits/gens de Thulé s’aventurent à l’Est de l’Alaska et dans les îles de l’Arctique, ils rencontrent un autre peuple arrivé avant eux: les Dorsétiens.

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Peuplements de divers groupes inuits et préinuits dans l’Est de l’Arctique canadien et le Groenland. Photo: Wikimedia Commons

Inuits, gens de Thulé, Dorsétiens, Prédorsétiens

Les Dorsétiens, venus aussi d’Asie, étaient arrivés en Amérique vers 500 av. J.-C., mais ils avaient été précédés par un autre groupe apparenté, mais culturellement distinct appelé Prédorsétiens.

Les Prédorsétiens disparaissent avec l’arrivée des Dorsétiens. Ces derniers subsistent dans la région de l’extrême nord de l’Amérique du Nord jusqu’à ce qu’ils disparaissent, soudainement, lors de la période correspondant à la venue des premiers Inuits.

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Que s’est-il passé? Le débat est ouvert. Les hypothèses vont de l’assimilation au génocide en passant par la transmission de maladies apportées par les nouveaux arrivés. Il est aussi possible que les deux peuples se soient tenus à distance et que les Prédorsétiens soient simplement morts de leur belle mort. Bref, on ne sait trop.

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Chasseur inuit avec son harpon, vers 1908-1920. Photo: Wikimedia Commons, domaine public
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Vestiges d’un type de «maison longue» dorsétienne près de la baie de Cambridge, au Nunavut. Photo: Wikimedia Commons, Share Alike 4.0 International

Contact avec les Européens

Les premiers Européens à rencontrer les Inuits sont les Vikings qui, après avoir colonisé la côte sud-ouest du Groenland, se déplacent dans les îles les plus à l’est de l’archipel arctique. Ils auraient même eu des contacts avec des Dorsétiens.

Ce sera ensuite le tour des explorateurs britanniques à atteindre ces régions nordiques à la recherche du «passage du Nord-Ouest». D’autres viendront, de plus en plus souvent, et de plus en plus nombreux, et feront la traite des fourrures.

Plusieurs y laisseront leur peau. Ceux qui connaîtront du succès le devront bien souvent aux Inuits qui leur servent de guide, leur montrent à se déplacer, à se vêtir et à survivre à même les ressources locales.

L’arrivée des Européens finira par bouleverser le mode de vie des Inuits. Comme pour les autres Autochtones du Canada, les colonisateurs tenteront de leur inculquer, parfois de force, la culture européenne et de les assimiler linguistiquement en envoyant les enfants dans des pensionnats où ils seront victimes de mauvais traitements physiques et sexuels.

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Les francophones du Nunavut ont leur journal: Le Nunavoix. Photo: Facebook

Et les francophones?

Dès le XIXe siècle, des équipages canadiens-français chassent la baleine dans la région du Nunavut actuel. La présence francophone débute vraiment au début du XXe siècle avec l’arrivée des missionnaires oblats.

La formation d’une véritable communauté francophone ne survient que dans les années 1970 lorsque des Québécois viennent à Iqaluit, alors nommé Frobisher Bay, pour travailler dans des bureaux du gouvernement fédéral ou encore pour la compagnie Bell Canada.

C’est de ce noyau que naîtra l’Association des francophones de Frobisher Bay, qui se transformera plus tard, en 1997, en Association des francophones du Nunavut.

Le nombre de francophones reste cependant minime dans le territoire. Le recensement de 2021 a dénombré 575 résidents de langue maternelle française, soit 1,6% de la population (qui s’élève à 40 000 habitants), une proportion à la baisse comparée aux 2% de 1991.

En 2021, le nombre de personnes pouvant converser en français se situait à 1 450, soit 4% de la population. C’est peut-être peu, mais cela n’a pas empêché le Nunavut, à sa création en 1999, de faire du français l’une de ses langues officielles.

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Le français a également le statut de langue officielle dans les deux autres territoires.

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