Le Bas-Canada au temps du choléra (deuxième partie)

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Été 1832… D’énormes nuages noirs flottent sur les villes de Québec et Montréal.
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Publié 13/04/2020 par Michèle Villegas-Kerlinger

La semaine dernière, nous avons vu comment le choléra est arrivé au Bas-Canada en 1832. Cette suite traite des mesures prises par les gouvernements pour enrayer cette terrible maladie.

Une maladie redoutable qui gagne du terrain

Aux dires des militaires qui avaient fait campagne en Inde, où ils avaient vu les ravages du choléra de près, la maladie qui sévissait au Bas-Canada lui ressemblait beaucoup, mais en plus virulente.

Par conséquent, les commerçants canadiens ont commencé à fermer leurs portes aux immigrants, et ils n’étaient pas peu nombreux ceux qui fuyaient la ville pour trouver refuge chez un parent à la campagne.

Si cet exode a soulagé les ressources limitées des villes de Québec et de Montréal, il n’a fait que propager la maladie dans les campagnes environnantes.

Ressources insuffisantes

Pour faire face à un nombre de malades qui allaient en augmentant jour après jour, il n’y avait, dans toute la région de Québec qu’un seul hôpital pour maladies contagieuses. Il se trouvait de l’autre côté du fleuve, à Pointe Lévis, dont l’accès n’était pas toujours facile.

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Les quatre hôpitaux de la ville et les quelque 300 lits ne suffisant pas à la tâche, les autorités ont dressé des tentes sur les Plaines d’Abraham.

À Montréal, le «Montreal General Hospital» refusait les cas de choléra, ce qui a forcé le gouvernement à convertir en hôpitaux de fortune les logements destinés aux immigrants.

Formation inadéquate des médecins

Les ressources limitées des deux villes et la formation inadéquate des médecins forçaient les municipalités à avoir recours à de nombreux bénévoles. Apothicaires, prêtres et pasteurs, religieuses et ouvriers de toutes sortes ont été mis à contribution. Le clergé a même fermé le séminaire à Québec pour permettre aux prêtres enseignants de venir en aide aux malades.

En raison du grand nombre de morts et des moyens de transport limités, les villes ont fait appel à tous ceux qui conduisaient une charrette pour transporter et enterrer les corps des victimes.

La loi, qui n’était pas toujours respectée à la lettre, stipulait que les morts devaient être enterrés six heures après le constat de décès. Pourtant, le manque d’expertise en matière de médecine légale de la part des bénévoles, ajouté à la terreur d’attraper la maladie tant redoutée, ont semé la panique dans la population.

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Enterrés vivants

Il s’en est suivi des cas où des malades auraient été, selon certaines sources, enterrés vivants.

Un récit relate la situation d’une jeune femme qui, quoique sous l’effet de l’opium, aurait réussi à défoncer un côté de son cercueil à coups de coude juste avant d’être mise en terre.

Un autre incident impliquait un homme déclaré mort par le charretier qui l’avait emmené, et ce malgré les protestations de sa femme qui jurait que son mari était encore vivant. Arrivés au cimetière, le médecin légiste improvisé a dû se rendre à l’évidence que le «mort» était bel et bien vivant, assez en tout cas pour raccompagner sa femme à la maison.

Funérailles chaotiques

La peur du choléra a donné lieu à bien d’autres excès encore. Parfois, on refusait de chercher ceux qui étaient vraiment morts ou on empilait les corps dans des taudis auxquels on mettait le feu, négligeant ainsi le plus élémentaire des rites funèbres.

 

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Il faut dire que, dans la mesure du possible, on enterrait les victimes catholiques dans les cimetières de leur paroisse ou dans celui des cholériques du chemin Saint-Louis. Les étrangers devaient se contenter du cimetière protestant de Gros-Pin ou d’un de deux cimetières à côté de l’hôpital de la Marine.

Mais, dans certains cas où ces traditions n’avaient pas été respectées, quelques fidèles sont allés jusqu’à déterrer leurs bien-aimés pour les enterrer ailleurs et dans les formes.

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Au cimetière Notre-Dame-des-Neiges à Montréal, le monument funéraire de Daniel Tracey, un médecin mort du choléraà l’âge de 38 ans après avoir contracté la maladie d’un de ses patients.

Causes inconnues et remèdes inefficaces

Si les mesures mises en place pour limiter la contagion avaient lamentablement échoué, il en était de même des remèdes prescrits. Ignorant la cause de la pathologie, chacun y allait de sa cure.

Parmi la panoplie de remèdes, on peut citer la recommandation aux malades de se tenir au chaud en portant une ceinture de laine autour du ventre tout en évitant l’air frais de la nuit. Les excès de table [1] et tout changement brusque de régime étaient mal vus. Tout effort était à proscrire, car le patient devait rester calme.

La propreté personnelle était aussi importante que celle de la maison, la lumière entrant par des vitres propres et l’air frais du dehors favorisant la guérison du malade. La loi obligeait les propriétaires à blanchir leur maison à la chaux, mais, encore une fois, il y avait ceux qui faisaient peu de cas du règlement.

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Par contre, il existait des gens qui suivaient les conseils des autorités à la lettre. Ils n’hésitait pas à faire un bon feu dans la cheminée ou des fumigations au bitume qui, selon les théories de l’époque [2], purifieraient l’air infecte que l’on croyait à l’origine des maladies.

Découverte et redécouverte du microbe

Les médecins n’étaient pas en reste, prescrivant 40 gouttes d’opium dans du brandy accompagnées de saignements, de mercure et d’injections salines. Si le patient survivait à ces traitements et présentait toujours des symptômes de la maladie, du lard, du charbon, du sirop d’érable et des massages étaient recommandés [3].

 

Il va sans dire que ces soi-disant remèdes ont de quoi nous faire sourciller aujourd’hui, mais il faut se rappeler que le microbe responsable du choléra n’a été découvert qu’en 1854 par Filippo Pacini, dont le travail a été éclipsé, malheureusement, par la théorie des miasmes qui prédominait à l’époque.

Ce n’est qu’en 1883 que la redécouverte du même microbe par Heinrich Hermann Robert Koch [4] a reçu l’approbation de la communauté scientifique et que le mystère de l’origine du choléra a été résolu.

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Filippo Pacini (1812-1883), l’anatomiste italien qui a isolé le bacille du choléra.

Des vagues successives

L’épidémie de choléra au Bas-Canada a pris fin vers le mi-octobre de 1832 [5]. La maladie avait sévi pendant quatre mois et demi. À Québec, on a déploré quelque 3 292 morts sur une population que l’on estime entre 20 000 et 28 000 habitants.

À Montréal, une ville d’environ 27 000 âmes, on a pleuré plus de 2 000 disparus. En tout, le choléra avait fait quelque 8 000 victimes au Bas-Canada. Vorace, la maladie est réapparue deux ans plus tard, entre le mi-juillet et la fin septembre, pour réclamer la vie de 1 800 Québécois et de 900 Montréalais. Dans les années qui ont suivi, le choléra reviendrait à de nombreuses reprises, moins virulent qu’en 1832, mais non moins redouté : [6]

Tableau

Le choléra et la CoViD-19

Il va sans dire que la médecine a fait des progrès remarquables depuis le 19e siècle. On a découvert l’origine de nombreuses maladies et mis au point des remèdes grâce aux travaux de scientifiques comme Pacini, Koch, Fleming, Chain, Florey, Semmelweis, Pasteur, les Curie et bien d’autres encore.

Notre personnel soignant d’aujourd’hui est mieux préparé et nos bénévoles et le public sont mieux informés grâce à l’éducation et au travail infatigable des médias et de nos gouvernements. On ne peut que saluer le travail de tous ceux qui travaillent sur l’avant-scène et dans les coulisses.

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Il n’en reste pas moins qu’il y a des points communs entre la pandémie actuelle et celle de 1832. Certes, le choléra est causé par une bactérie et le covid-19 par un virus, mais les deux peuvent être à l’origine d’une pandémie.

Faire une étude comparative de ces deux événements nous permet d’apprécier tous les progrès qui ont été faits au cours des deux derniers siècles et nous montre le chemin qui nous reste encore à parcourir.

Fin

[1] Comme le choléra touchait plus de démunis que de riches, on attribuait la maladie à l’immoralité des couches pauvres de la société.

[2] Cette théorie voulait que le mauvais air, ou les miasmes, soit à l’origine de toute maladie. On croyait que là où cela sentait mal, il y avait risque d’infection. Bien que le lien entre l’insalubrité et la maladie ne soit pas évident de prime abord, les médecins francophones voyaient un rapport entre l’arrivée des navires et le choléra. Leurs homologues anglophones attribuaient l’infection à des conditions climatiques. Cette différence d’opinion a divisé le corps médical en deux camps, scission renforcée par la conjoncture politique conflictuelle de l’époque. Il est intéressant de noter que Édouard Rodier, du parti nationaliste, est allé jusqu’à accuser Lord Aylmer de vouloir décimer la population franco-canadienne en faisant venir au Bas-Canada un grand nombre d’immigrants dont certains étaient porteurs de choléra. (Pour connaître les différentes hypothèses expliquant l’origine du choléra, voir la page 5 ici.)

[3] Aujourd’hui, on sait que la première ligne de défense contre le choléra est une bonne hygiène et l’accès à de l’eau potable. Des vaccins existent, mais leur efficacité n’est pas garantie. En cas d’infection, le meilleur traitement consiste dans une réhydratation intense. Le recours aux antibiotiques est possible, mais l’abus de ces derniers rend les microbes de plus en plus résistants à ce genre d’intervention.

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[4] Médecin allemand de renom et, comme Louis Pasteur, un des fondateurs de la microbiologie moderne, Koch a découvert aussi le bacillus anthracis en 1877 et le tuberculosis bacillus en1882. Pour honorer Pacini et sa découverte, passée inaperçue par ces contemporains, la communauté scientifique a rebaptisé, en 1965, le choléra «vibrio cholerae Pacini 1854».

[5] Rien qu’en juillet 1832, on comptait déjà 188 veuves, 11 veufs et 348 enfants abandonnés à Québec.

[6] Les chiffres varient un peu d’une source à l’autre.

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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