Le Bas-Canada au temps du choléra (première partie)

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Été 1832… D’énormes nuages noirs flottent sur les villes de Québec et Montréal.
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Publié 07/04/2020 par Michèle Villegas-Kerlinger

C’est l’été 1832… D’énormes nuages noirs flottent sur les villes de Québec et Montréal. L’air est imprégné de l’odeur infecte des déchets en décomposition et de celle, nauséabonde, du goudron dont les faibles lueurs illuminent les églises et les magasins aux portes résolument closes.

Les citadins sont menacés par la famine, car les cultivateurs n’osent plus s’aventurer en ville. Au large, des navires attendent en vain les bateliers dont les embarcations abandonnées longent les rives. C’est l’année de la mort noire, l’année du choléra qui décimerait la population de Québec…

Bateaux surpeuplés

Selon le «British Passenger Act», tout navire en route pour le Bas-Canada (le Québec) devait pourvoir un espace de 1,1 mètres carrés par adulte. Ces dimensions, pour extrêmement réduites qu’elles soient, n’étaient même pas respectées par certains capitaines qui surchargeaient volontairement leur navire.

Ces vaisseaux surpeuplés se convertissaient rapidement en couveuses de maladies en puissance.

D’une part, la promiscuité et le manque d’hygiène favorisaient l’apparition et le développement de pathogènes.

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D’autre part, faute de conditions d’entreposage adéquates, la nourriture et l’eau potable à bord devenaient impropres à la consommation peu après le départ du voyage qui durerait entre cinq et douze semaines en moyenne. [1]

Maladie gastro-intestinale

Le choléra est une maladie gastro-intestinale aiguë causée par un microbe, le vibrion cholérique. Les microbes se retrouvent dans la sueur, les selles et les vomissures du malade et peuvent survivre longtemps en eau douce ou salée contaminée par les déjections humaines.

La maladie se transmet rapidement là où les conditions hygiéniques laissent à désirer. Une personne en bonne santé qui entre en contact direct avec un individu déjà infecté ou un objet contaminé (eau, nourriture ou vêtements, par exemple) peut tomber malade à son tour.

Les bactéries unicellulaires s’introduisent dans l’intestin grêle dont elles amincissent la paroi jusqu’à la rendre poreuse.

Les symptômes varient d’un individu à l’autre, allant d’un simple mal au ventre à la diarrhée et aux vomissements qui déshydratent la victime et déstabilisent l’équilibre délicat des électrolytes dans le corps. Parfois, le malade souffre de spasmes, de crampes, d’une soif intense, d’une voix rauque ou d’un visage bleuâtre.

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Une victime du choléra.

L’origine du mal

Bien que le choléra ne s’accompagne pas forcément de fièvre, la perte subite d’entre 3 et 15 litres d’eau peut causer l’insuffisance rénale ou un choc hypovolémique [2] et entraîner la mort en quelques heures.

C’est une urgence médicale à déclaration obligatoire qui se traite aujourd’hui grâce aux antibiotiques et à une réhydratation massive, mais dont, en 1832, on ignorait les causes et devant laquelle les médecins étaient impuissants.

La première pandémie [3] documentée de choléra asiatique, ou morbidus, s’est déclarée aux bords du Gange en Inde en 1817. De là, la maladie a fait son chemin jusqu’en Russie et aux pays baltes où elle est apparue au début des années 1820 et de nouveau en 1830.

En 1831, des cas d’infection avaient été signalés en Allemagne et en Grande Bretagne et, l’année suivante, en France où elle a fait 100 000 victimes, dont 20 000 rien qu’à Paris.

Alertés du danger, les autorités britanniques au Canada étaient sur le qui-vive en raison des nombreux immigrants qui arrivaient au Bas-Canada à la suite des guerres napoléoniennes de 1799 à 1815. [4]

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La colonie se prépare

Pour parer à la menace possible d’une épidémie, danger dont les journaux parlaient quotidiennement, Lord Matthew Aylmer, le gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique (le Canada), a demandé à Mgr Panet [5] de publier un feuillet le 27 août 1831, exhortant les ouailles à se garder de tout contact avec les nouveaux arrivants.

Par la même occasion, le gouverneur s’est adressé au Conseil médical du Bas-Canada pour lui demander son avis. En guise de réponse, ce dernier a approuvé la création d’une nouvelle station de quarantaine. [6]

Choléra
Inspection médicale des nouveaux arrivants à bord d’un navire,

Le 25 février 1832, l’Acte de quarantaine à Grosse-lsle [7], une petite île au terrain accidenté à une cinquantaine de kilomètres en aval de Québec, a été signé.

De plus, deux commissions d’hygiène, l’une à Québec et l’autre à Montréal, ont vu le jour. Une somme de 50 000 $ a été mise de côté pour couvrir les soins médicaux des immigrants malades et le transport des bien-portants au Haut-Canada (l’Ontario). [8]

On a imprimé des feuillets informatifs bilingues qui expliquaient les symptômes de la maladie et les mesures à prendre pour s’en protéger ou en guérir en cas d’infection.

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Jour de prière et de jeûne

Pour s’assurer les bonnes grâces du Ciel, on a déclaré un jour de prière et de jeûne le 4 mai au Bas-Canada et le 15 mai au Haut-Canada. Malheureusement, ces mesures n’ont pas eu l’effet escompté… Le Ciel semble avoir fait la sourde oreille aux supplications des fidèles et les médecins ne comprenaient pas la nature de la maladie.

En outre, le succès de la station de quarantaine était plutôt mitigé. Mal équipées pour recevoir l’énorme flux d’immigrants qui arrivaient quotidiennement, les autorités se limitaient à des inspections qui étaient, au mieux, sommaires, et au pire, inexistantes.

Pour les capitaines qui respectaient la consigne, c’était la désinfection du navire et les ablutions pour les immigrants pauvres. La désinfection s’avérait plutôt inefficace parce que les riches étaient exemptés de ce rituel, la peste «étant le lot des plus pauvres de la société» selon la croyance populaire de l’époque.

Malades cachés

D’autres capitaines, pour éviter les délais dus aux inspections, poursuivaient leur chemin sans hisser le drapeau jaune obligatoire, signe redoutable de la contagion à bord du vaisseau.

D’ailleurs, certains immigrants, à l’insu des capitaines, allaient jusqu’à cacher leurs malades dans les recoins du navire pour éviter d’être retenus à Grosse-Isle. Ces vaisseaux accostaient ensuite à Québec avec ce passager invisible et meurtrier qu’était le choléra, dissimulé dans leur cale.

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De son côté, la capitale avait pris ses propres précautions en mettant sur pied des équipes pour nettoyer la ville. D’une saleté indescriptible, Québec ressemblait à la plupart des métropoles de l’époque. Mais au manque d’aqueducs et d’égouts s’ajoutait l’arrivée en masse d’immigrants, ce qui avait contribué à la surpopulation d’une ville aux ressources limitées.

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La Place d’Armes à Québec en 1832.

Faute de logement, une cinquantaine de personnes pouvaient se retrouver dans une maison de deux chambres. Certains nouveaux arrivants, moins chanceux, étaient réduits à s’installer dans des tentes de fortune.

Les moins bien lotis dormaient sur les plages ou carrément dans les rues pleines des déchets provenant des maisons ou des abattoirs qui n’hésitaient pas à déverser des abats dans le fleuve dont les citadins, faute de puits, cherchaient leur eau.

Un premier cas se déclare

L’inévitable s’est produit le 9 juin 1832. À Québec, le premier cas officiel de choléra est arrivé à bord du navire Voyageur. À ce moment-là, 400 navires transportant 25 000 immigrants étaient déjà arrivés sur les lieux.

Les tout premiers cas de choléra ont été repérés dans le pensionnat Roache, un logement infecte de la rue Champlain. En une semaine, la maladie a fait 259 victimes dont 161 en sont mortes. [9]

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À partir du 15 juin, on dénombrait déjà plus de 100 morts par jour à Québec. À Montréal, rien que le 19 juin, on a compté 149 morts. Miraculeusement, certaines communautés n’ont déploré aucune victime. [10]

À suivre…

[1] Pour une description détaillée des conditions à bord des navires de cette époque, le lecteur est prié de lire les articles d’avril et de mai de 2010 dans le livre «Sur les traces de nos ancêtres», publié en 2011 par les Presses universitaires de l’université du Québec.

[2] «Un choc hypovolémique est dû à une diminution brutale du volume sanguin.» – dictionnaire Larousse

[3] Une pandémie est une «épidémie étendue à toute la population d’un continent, voire au monde entier.» – dictionnaire Larousse

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[4] Entre 1829 et 1865, 1 084 765 de nouveaux arrivants ont passé par la ville de Québec dont 50 000 en 1831 et entre 66 000 et 80 000, selon les sources, en 1832. Au cours de l’été, Québec accueillait entre 600 et 10 000 immigrants chaque semaine.

[5] Bernard-Claude Panet était prêtre catholique et archevêque (1753-1833).

[6] Le gouvernement canadien avait déjà mis sur pied, dès 1823, une première station de quarantaine dans le port à l’embouchure de la rivière Charles.

[7] Grosse-Île, placée sous autorité militaire, a servi de station de quarantaine entre 1832 et 1837; pour en savoir plus sur son histoire et y faire une visite virtuelle, cliquez ici.

[8] Les immigrants en bonne santé devaient poursuivre leur chemin jusqu’au Haut-Canada. Pourtant, en raison de l’épidémie, la province anglophone avait fermé ses ports aux bateaux en provenance du Bas-Canada. D’ailleurs, il arrivait aux bateliers d’abandonner leurs passagers en cours de route, le long du Saint-Laurent.

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En plus du blocus, sieur John Colborne, lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, a déboursé 2 500$ pour mettre sur pied des commissions d’hygiène. Malgré ces mesures rigoureuses, Colborne n’a pas réussi à protéger la population du Haut-Canada de la contagion qui a fait ses premières victimes, en juin 1832, dans la capitale de York (Toronto) qui comptait 6 000 âmes à l’époque.

[9] La première victime officielle était Charles Vasseur.

[10] Entre le 13 juin et le 10 juillet, le choléra a fait quelques victimes à Trois-Rivières, mais les mesures sévères adoptées par les autorités de la ville ont grandement limité les dégâts. Ironie du sort, Gaspé, la communauté la plus exposée aux épidémies en raison du grand achalandage maritime qui s’y effectuait, n’a pas recensé un seul cas de choléra.

Ailleurs, le long du Saint-Laurent ou des routes, par exemple, plusieurs villages érigeaient des blocus, dont certains étaient armés, empêchant ainsi les bateaux d’accoster et les étrangers de débarquer.

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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