La Saint-Jean: des feux païens aux flammes identitaires

Saint-Jean-Baptiste
Affiche de la «grande fête nationale des Canadiens français» à Québec, en 1880. Photo: Wikimedia Commons, domaine public
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Publié 24/06/2023 par Marc Poirier

Le solstice d’été est un moment très festif de l’année: c’est fin d’année scolaire, début officiel d’été et, pour plusieurs, signe des vacances estivales. Pour un grand nombre de Franco-Canadiens, c’est aussi l’occasion de fêter leur identité le jour du 24 juin. Si certains célèbrent la Saint-Jean-Baptiste, d’autres soulignent la Fête nationale du Québec, et d’autres ignorent presque complètement cette journée.

Solstice: du latin solstitium, signifie «soleil immobile».

Effectivement, c’est comme si le soleil s’arrêtait pendant quelques jours. Tintin aurait réussi cet exploit alors qu’il était sur un bûcher sacrificiel dans un temple inca, mais on attend une deuxième source avant de le confirmer.

En Europe, dans les temps anciens (mais après l’ère des dinosaures, quand même), cette période du cycle était l’occasion d’allumer des feux. Une idée qui perdurera.

Saint Jean Baptiste
Le feu est le symbole de l’apogée de la durée de la lumière du jour au solstice d’été. Photo: Wikimedia Commons, Share Alike 3.0

Autour du Ve siècle, alors que Rome est tombée et que l’évangélisation du continent européen s’amorce, l’Église catholique fera avec le solstice d’été ce à quoi elle excelle: transformer les fêtes païennes en fêtes chrétiennes, afin de convertir les populations dites «barbares».

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L’une des principales cibles des missionnaires sera le solstice d’été. Ils choisiront le 24 juin et Jean le Baptiste, figure majeure de l’Histoire sainte, pour supplanter la fête païenne de cette époque de l’année.

Faut-il le rappeler? Jean est un prédicateur juif, fils d’Élisabeth et de Zacharie. Les Évangiles le disent cousin de Jésus.

Vérification des faits! Les Saintes Écritures soulignent qu’Élisabeth est la «parente» de Marie, mère de Jésus. Les exégètes du Nouveau Testament ont interprété «parente» comme voulant dire «cousine».

Si tel est le cas, et si l’on veut être pointilleux (oui, on le veut), il faudrait plutôt dire que Jean et Jésus étaient cousins issus de germains (ou germaines?). Mais bon, cousins peut faire l’affaire.

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Ce tableau de Verrochio achevé par Léonard de Vinci est l’un des plus célèbres représentant Jean baptisant Jésus dans le Jourdain. Photo: Le baptême du Christ, par Verrocchio et de Vinci, vers 1475, galerie des Offices, Wikimedia Commons, domaine public

Les feux de la Saint-Jean

L’opération de christianisation de la fête païenne du solstice d’été réussit. Mais un élément important des anciennes traditions subsistera : les feux.

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Jusqu’à Louis XIV, le roi de France participait au rituel en allumant lui-même le feu de la Saint-Jean à Paris, à la place de la Grève, l’actuelle place de l’Hôtel-de-Ville.

Les colons français qui arrivent en Nouvelle-France apportent tout naturellement leurs coutumes et leurs fêtes religieuses.

En 1606, le poète, historien et voyageur Marc Lescarbot était à bord du Jonas qui transportait des colons en Acadie. Dans son long poème Adieu à la France, Marc Lescarbot raconte que le jour de la Saint-Jean se passe dans la réjouissance en raison de la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve.

Deux ans auparavant, Samuel de Champlain, en voyage exploratoire en Acadie, avait donné le nom de Saint-Jean à une rivière reconnue le 24 juin. C’est le fleuve Saint-Jean du Nouveau-Brunswick, que les anglophones appellent Saint John, nom duquel les loyalistes baptiseront la ville qu’ils fonderont à l’embouchure de ce grand cours d’eau.

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Jean le Baptiste tel qu’imaginé par Léonard de Vinci. Photo: Entre 1513 à 1516, Musée du Louvre, Wikimedia Commons, domaine public

La Saint-Jean «exportée» au Canada

La tradition des feux de la Saint-Jean est bien présente au début de la colonie du fleuve Saint-Laurent qui deviendra le Québec. Par exemple, la veille du 24 juin 1636, le gouverneur Montmagny consacre un bûcher.

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La pratique semble s’essouffler par la suite, jusqu’à ce que l’évêque de Québec, Mgr de Saint-Vallier en fasse une fête chômée en 1694.

Mais c’est vraiment en 1834 où la popularité de la Saint-Jean prendra un élan.

Cette année-là, à Montréal, on fonde l’association Aide-toi et le ciel t’aidera (inspiré d’une association française du temps de la révolution de Juillet), qui deviendra la Société Saint-Jean-Baptiste. Le groupe a notamment comme but de doter les Canadiens français d’une fête nationale et d’y associer des célébrations comme le font déjà depuis 10 ans les Irlandais à Montréal lors de la Saint-Patrick. Si c’est bon pour pitou, c’est bon pour minou.

C’est donc tout naturellement que le 24 juin sera choisi comme fête patriotique pour la «nation» canadienne-française. Elle le deviendra véritablement dans les années et décennies à venir alors que les francophones de l’Ontario et de l’Ouest l’adopteront.

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Carte de prière datant de 1921 montrant Saint Jean Baptiste devant la bannière du Carillon-Sacré-Cœur, ancêtre du drapeau québécois. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

L’exception acadienne

Ce ne sera cependant pas le cas en Acadie. La première Convention nationale acadienne, en 1881, porte en grande partie sur le choix des symboles d’un peuple qui commence tout juste à se remettre de la Déportation du XVIIIe siècle.

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Le débat sur la fête nationale est houleux. Il y a le camp du 24 juin et celui du 15 août, fête de l’Assomption.

À cette époque, les Acadiens ne sont «Canadiens» que depuis 1867. Ils se sentent frileux (et le sont toujours) d’épouser l’identité «canadienne-française», de peur que leur identité soit noyée.

Finalement, le 15 août l’emportera. Le tintamarre, les casseroles et les cuillères en bois viendront plus tard.

En 1908, c’est la consécration : le pape Pie X déclare que saint Jean-Baptiste est le «patron spécial auprès de Dieu des fidèles Franco-Canadiens, tant de ceux qui sont au Canada que ceux qui vivent sur une terre étrangère». Pratique d’avoir un patron qui te suit partout!

Le gouvernement du Québec fait un pas de plus en 1925 en faisant du 24 juin un jour férié. Encore un pas, un petit pas.

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Saint Jean Baptiste
Tintamarre en 2019. En Acadie, la fête nationale se célèbre le 15 août. La Saint-Jean-Baptiste y a une bien moindre importance. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

La coupure

La Saint-Jean-Baptiste vogue sur un fleuve tranquille à l’ouest du Nouveau-Brunswick jusqu’à la fin des années 1960. C’est alors que de plus en plus de francophones du Québec, surtout les plus nationalistes ou souverainistes, rejettent l’identité canadienne-française pour épouser la québécoise.

Au fil des ans, la Saint-Jean-Baptiste devient, au Québec, non plus la fête des Canadiens français, mais celle des Québécois, ce qu’officialise en 1977 le premier ministre René Lévesque. Élu à la tête d’un gouvernement indépendantiste un an auparavant, il fait du 24 juin la fête nationale du Québec.

Depuis… on en est à peu près là. La Saint-Jean, fête nationale au Québec, lors de laquelle souverainistes et fédéralistes se tirent toujours la couverture, fête des Canadiens-Français à l’ouest de la rivière des Outaouais, et… fête assez insignifiante en Acadie.

Faudrait peut-être trouver autre chose…

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Depuis 1977, au Québec, la fête de la Saint-Jean-Baptiste est devenue la fête nationale. Photo: Wikimedia Commons, Share Alike 2.5

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