La rentrée parlementaire sera-t-elle suivie d’élections?

L'édifice du Parlement du Canada à Ottawa. Photo: Guillaume Deschênes-Thériault, Francopresse
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Publié 28/07/2020 par Bruno Cournoyer Paquin

Après un été marqué par des sessions épisodiques pour résoudre les crises économique et sanitaire provoquées par la pandémie, le Parlement canadien doit recommencer à siéger le 21 septembre prochain.

Dans un contexte dominé par la pandémie de CoViD-19, que peut-on attendre de la rentrée politique de l’automne?

Le portrait économique et budgétaire du gouvernement, présenté le 8 juillet, prévoyait une réelle mise à jour à l’automne. Il ne s’avançait toutefois pas à promettre le dépôt d’un budget, citant l’incertitude économique provoquée par la pandémie.

Le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau.

Cependant, selon Stéphanie Chouinard, professeure adjointe au Collège militaire royal du Canada, l’opposition, déjà insatisfaite des lacunes de la mise à jour économique, «devrait faire pression sur le gouvernement pour qu’il dépose un véritable budget».

Besoin de transparence

Ainsi, ajoute-t-elle, même si le gouvernement devrait continuer à vouloir faire preuve de prudence, «il faut aussi voir que le Parlement ne peut pas fonctionner en étant dans le noir quant aux intentions du gouvernement».

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Stéphanie Chouinard

«Et puisque le gouvernement est en situation minoritaire, si l’opposition décide de faire pression d’une seule voix, il faudra qu’un plan plus clair pour la suite des choses soit présenté à la Chambre des communes.»

Le scandale WE est un autre facteur qui exercera des pressions sur le gouvernement pour présenter un budget, pense David Merner, candidat à la direction du Parti vert.

Il y a un véritable besoin de transparence, ajoute-t-il: «On est en train de dépenser des milliards et des milliards de dollars sans transparence et sans vrai plan… on dirait des marins qui viennent d’arriver au port.»

Évaluer les mesures d’urgence

Il y aura aussi un besoin d’évaluer les mesures d’urgence instaurées pendant la crise, selon Stéphanie Chouinard.

David Merner

Le gouvernement a déjà annoncé qu’il allait prolonger et modifier la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) et la politologue s’attend à ce que le gouvernement clarifie sa position sur la Prestation canadienne d’urgence (PCU) d’ici l’automne.

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Et s’il est vrai que la CoViD-19 complique les prédictions économiques, acquiesce David Merner, cela fait depuis le mois mars que le gouvernement peut évaluer les effets économiques de la pandémie. Plusieurs autres gouvernements, comme celui de la Nouvelle-Zélande, ont présenté des budgets «compétents et sérieux» selon lui.

Vers un plan de relance économique

Stéphanie Chouinard observe que le gouvernement, dans sa mise à jour économique, avait proposé très peu de mesures pour assurer la reprise: un véritable plan de relance s’avère nécessaire, selon elle.

La professeure Chouinard souligne que la crise de la CoViD-19 a particulièrement miné la participation des femmes sur le marché du travail, qui serait à son plus bas niveau en 30 ans.

«Est-ce que ce gouvernement, qui se dit féministe, va vouloir discuter avec les provinces pour financer les garderies, surtout dans une situation où certaines provinces ne vont pas ouvrir les salles de classe à l’automne? […] une relance économique en bonne et due forme ne peut pas faire fi du travail des femmes.»

Emplois saisonniers

Pour le député conservateur de la Nouvelle-Écosse, Chris d’Entremont, il faudra que le gouvernement fédéral continue de soutenir les secteurs les plus touchés par la crise, particulièrement celui du tourisme.

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Chris d’Entremont

Puisqu’il s’agit d’une industrie saisonnière, les travailleurs de l’industrie, qui pour la plupart n’auront pas travaillé pendant l’été, ne pourront pas se qualifier pour l’assurance-emploi.

Il apparaît donc à Chris d’Entremont que la PCU devrait se poursuivre au-delà du mois d’août, sous une forme modifiée, pour continuer à soutenir les travailleurs qui ne pourront pas retourner au travail.

Internet à haute vitesse

De son côté, le sénateur indépendant du Nouveau-Brunswick René Cormier souhaite qu’un plan de relance économique prenne en compte les régions et les communautés rurales.

À cet égard, assurer l’accès à l’internet à haute vitesse dans l’ensemble du Canada, et particulièrement dans les régions isolées, s’avère être un enjeu crucial.

René Cormier

Cependant, souligne encore Stéphanie Chouinard, le déficit record exercera des pressions sur le gouvernement pour contrôler plus étroitement les dépenses dans les prochains mois : «Il va falloir trouver une façon de ralentir les dépenses, parce que leur ampleur est insoutenable compte tenu [de l’affaissement] des revenus.»

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Une modernisation de la Loi sur les langues officielles?

La modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO) était une promesse phare du Parti libéral lors de la dernière campagne électorale. Or, rapportait Radio-Canada en juin dernier, il semblerait que le projet ait été reporté aux calendes grecques, pandémie oblige.

Pour le sénateur Cormier, le report du projet de modernisation de la LLO constitue une «information officielle»: cela n’aura pas lieu en 2020.

Cependant, il rappelle que des consultations publiques sur le projet ont déjà été tenues par le gouvernement, le Sénat et le commissaire aux langues officielles: «Ce qu’on dit au gouvernement, c’est que vous avez tout en main, tout ce qu’il faut pour moderniser la Loi. On souhaite que ça aille de l’avant le plus rapidement possible.»

Chris d’Entremont pense que les fonctionnaires fédéraux ont sans doute un de projet de loi prêt à être présentée au Parlement, donc il croit que le report de la modernisation est surtout une question de volonté politique.

Mélanie Joly est occupée

Cela dit, il ajoute que la situation économique et sanitaire liée à la CoViD-19 constitue le plus grand déterminant de l’ordre du jour parlementaire; qu’elle «lie les mains» des législateurs. Une perspective partagée par le sénateur Cormier.

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La ministre Mélanie Joly. (Photo: Lucas Pilleri, Francopresse)

Stéphanie Chouinard avance un autre facteur: «Étant donné que la ministre responsable des langues officielles est aussi responsable du développement économique, j’ai l’impression que Mme Joly a les bras pleins en ce moment» avec la crise économique.

Cependant, conclut le sénateur Cormier, la crise de la CoViD-19 a révélé que l’enjeu de la Loi sur les langues officielles est aussi «un enjeu de santé et de sécurité publique […] puisque le gouvernement doit communiquer avec les Canadiens dans les deux langues officielles, pour assurer qu’ils aient également accès, peu importe où ils se trouvent sur le territoire, à de l’information dans les deux langues, surtout en situation de pandémie».

Des élections à l’horizon?

Au Canada, les gouvernements minoritaires — comme celui de Justin Trudeau — disposent habituellement d’une durée de vie de 12 à 18 mois. Le Parti libéral dispose actuellement de 156 sièges, soit 14 de moins que la majorité absolue de 170 sièges; donc une assez forte minorité.

Deux scénarios plausibles pourraient mener à des élections : soit les partis d’opposition feront front commun et décideront de défaire le gouvernement sur une question de confiance, comme le budget, ou bien le gouvernement, se considérant en position favorable pour remporter une majorité, se «sabordera» en proposant un projet de loi que l’opposition n’aura d’autre choix que de rejeter.

Jagmeet Singh, le chef du NPD, et Yves-François Blanchet, le chef du Bloc québécois.

La crise sanitaire

Encore une fois, le facteur qui domine le calcul électoral est la crise de santé publique causée par la CoViD-19. «Je n’ai pas l’impression que ce serait gagnant pour un gouvernement ou un parti de l’opposition de vouloir partir en élection au moment où on demande encore aux gens de rester chez eux et qu’il y a des mesures de distanciations sociales assez sérieuses,», fait valoir la politologue Stéphanie Chouinard.

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Un scénario d’élections à l’automne est, selon elle, assez peu probable.

Selon le député conservateur Chris d’Entremont, la situation sanitaire à l’automne compliquerait l’organisation des élections et les stratégies de campagne des partis politiques, «mais d’autres pays ont tenu des élections pendant la pandémie, je pense à la Corée du Sud… les États-Unis n’ont pas changé la date de leurs élections, malgré tout ce qui s’y passe.»

Le premier ministre Justin Trudeau

Le scandale WE brouille les cartes

De plus, le scandale politique entourant le financement public accordé à l’organisme caritatif WE (UNIS en français) vient brouiller les cartes. Le premier ministre, Justin Trudeau, et le ministre des Finances, Bill Morneau, font l’objet d’une enquête du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mario Dion.

Celui-ci doit déterminer si les deux hommes se trouvaient en position de conflits d’intérêts considérant leurs liens avec WE.

«Le rapport de Mario Dion sera rendu à la fin de l’automne, donc dépendamment ce que les libéraux savent sur cet enjeu, et ce qu’ils attendent du rapport, il y aura peut-être des pressions pour déclencher des élections avant le dépôt du rapport, surtout qu’on attend le rapport à la fin de l’automne ou même du début de l’hiver», observe Stéphanie Chouinard.

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Peter MacKay et Erin O’Toole se disputent la chefferie du Parti conservateur du Canada.

Qui veut des élections?

Chris d’Entremont ajoute que pour détourner l’attention du scandale WE, les libéraux considéreraient peut-être de déclencher des élections pour «changer de canal»: «Je n’aurais pas cru qu’on aurait des élections à l’automne, mais avec tout ce qui change, c’est fort possible.»

Pour ce faire, le gouvernent devrait avoir l’appui d’au moins un des partis d’opposition. Cependant, évalue Stéphanie Chouinard, «du côté du Bloc, je n’ai pas l’impression qu’on a de l’appétit pour une élection si tôt… chez les Néo-Démocrates, je ne pense pas qu’ils soient en position financière pour se lancer en élection en ce moment.»

Le facteur inconnu, la wildcard, selon elle, est le résultat de la course à la direction du Parti conservateur, qui devrait être connu le 21 août prochain. «Le nouveau chef voudra peut-être éviter une campagne à l’automne ou, au contraire, démontrer une certaine combativité auprès de son caucus et voudra se lancer en élection aussi rapidement que possible.»

Élections à l’automne? Au printemps? Ou seulement en 2022? Nul ne peut se prononcer avec certitude…

Auteur

  • Bruno Cournoyer Paquin

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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