La francophonie, parent pauvre du postsecondaire

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Les participants du cinquième atelier des États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire: Allister Surette, recteur de l’Université Sainte-Anne; Martin Normand (animateur); et Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa; Lise Bourgeois, présidente-directrice générale du collège La Cité; Sophie Bouffard, rectrice de l’Université de Saint-Boniface; Mariève Forest, présidente et chercheuse principale de la firme de recherche sociale appliquée Sociopol.
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Publié 15/01/2022 par Éricka Muzzo

L’égalité est loin d’être atteinte entre les établissements postsecondaires francophones et ceux de la majorité anglophone. Pour y parvenir, deux axes sont à poursuivre: l’accroissement des ressources et la transparence.

Collèges et universités en milieu minoritaire revendiquent un financement de base accru des gouvernements et une meilleure documentation des fonds ciblant l’éducation postsecondaire dans la francophonie canadienne.

L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), en partenariat avec la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, a tenu le mercredi 12 janvier son cinquième atelier dans le cadre des États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire.

La discussion portait sur le thème «Vers une égalité réelle du secteur postsecondaire en contexte francophone minoritaire».

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Collèges et universités en milieu minoritaire revendiquent un financement de base accru des gouvernements et une meilleure documentation des fonds ciblant l’éducation postsecondaire dans la francophonie canadienne. Photo : Stanley Morales, Pexels

Le financement est le plus grand enjeu du postsecondaire

D’entrée de jeu, la présidente et chercheuse principale de la firme de recherche sociale appliquée Sociopol, Mariève Forest, a présenté quelques résultats d’une étude sur le secteur postsecondaire dans la langue de la minorité, qu’elle a coréalisée en 2021 avec le chercheur Guillaume Deschênes-Thériault.

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Mariève Forest

Il en ressort notamment que «le financement est le plus grand enjeu pour la pérennité de la formation postsecondaire en français minoritaire».

Cette réalité a plusieurs impacts néfastes sur le réseau, dont «une compétition accrue entre les établissements et une volatilité accrue des revenus. Les établissements qui ont de grands effectifs et ceux qui recrutent massivement à l’étranger s’en tirent mieux», note la chercheuse.

Un financement trop maigre pour le nombre de francophones

Mariève Forest ajoute qu’en comparant la proportion de francophones dans une province et les dépenses totales pour la formation universitaire en français, il apparaît que l’équilibre est loin d’être atteint.

En Nouvelle-Écosse, les fonds correspondent à 48% «des montants qui pourraient être accordés si la proportion des francophones dans la province était prise en considération».

Le Manitoba et le Nouveau-Brunswick font meilleure figure avec un comparatif de 84%. Tandis que les unités académiques universitaires de l’Ouest (Saskatchewan, Alberta et Colombie-Britannique) offrent de la formation en français qui n’équivaut que de 5 à 17% de la population francophone.

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«En 2018-2019, il est raisonnable d’estimer que près de 30 000 francophones ont réalisé des études postsecondaires en anglais, notamment par manque d’accès aux études en français et par manque d’intérêt à l’égard des études en français», souligne encore Mariève Forest.

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Le financement du postsecondaire.

La part des gouvernements stagne depuis 2008

Le rapport The State of Postsecondary Education in Canada, 2021 de la firme Higher Education Strategy Associates (HESA) révèle que dans l’ensemble du Canada, en incluant les universités anglophones, le financement gouvernemental stagne depuis 2008…

«Tandis que les recettes provenant des étudiants ont augmenté de manière constante, principalement en raison de l’augmentation du nombre d’étudiants internationaux.»

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Geneviève Tellier

«Par exemple, dans les établissements universitaires, en 2018-2019, les revenus provenaient principalement de sources gouvernementales (45,8%) et des droits de scolarité (29,4%). En outre, la part du financement des gouvernements provinciaux a diminué dans les dernières années, passant de 38,6% en 2013-2014 à 35,4% en 2018-2019», indique l’ACUFC dans le document préparatoire de son cinquième atelier.

Pour la professeure titulaire de l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa Geneviève Tellier, il s’agit là d’un des deux aspects principaux à aborder pour discuter d’égalité réelle du postsecondaire en francophonie minoritaire.

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Elle estime cependant qu’il serait plus simple de commencer par le second aspect, soit celui de la transparence financière.

Des fonds supplémentaires qui n’apparaissent pas dans les budgets

Outre les fonds versés directement aux universités par les provinces et ceux versés directement aux provinces et aux universités par le fédéral, «les provinces et le gouvernement fédéral versent aussi des fonds directement aux particuliers, aux entreprises et aux organismes sans but lucratif», souligne Geneviève Tellier.

Cela prend notamment la forme de prêts et bourses pour les étudiants, de crédits d’impôt pour les parents, de crédits d’impôt à la recherche pour les chercheurs et de crédits d’impôt pour dons et pour la recherche pour les entreprises et organismes sans but lucratif.

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Sophie Bouffard

La politologue note qu’en 2020, ces dépenses fiscales supplémentaires se sont élevées à 4,7 milliards $, «soit plus de 10 % des budgets actuels des universités – 41 milliards $ en 2020».

«Ces fonds supplémentaires n’apparaissent pas dans les budgets et sont dépensés par le gouvernement fédéral. Donc il y a de l’argent ailleurs qui cible d’autres particuliers qui ont d’autres objectifs en tête et qui ne font pas partie du réseau universitaire», souligne encore Geneviève Tellier.

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La politologue note que ces mesures fiscales «favorisent les contribuables les mieux nantis».

Le projet de loi S-215 de la sénatrice Lucie Moncion, déposé à la fin novembre 2021, est l’une des initiatives visant à instaurer plus de transparence en ce qui concerne le financement des établissements postsecondaires.

«On commence à se poser des questions sur ce manque de transparence-là dans les documents publics et je pense qu’il faut pousser [là-dessus]. Pour pouvoir savoir quoi faire, il faut avoir de l’information et on n’a pas toute l’information en ce moment», conclut Geneviève Tellier.

Coupes dans le postsecondaire: «on arrive au squelette»

Tous les intervenants s’accordent pour dire que le financement de base offert par les gouvernements stagne depuis trop longtemps. Et qu’il n’est pas suffisant pour permettre aux établissements postsecondaires en milieu minoritaire de se développer et de soutenir l’épanouissement des communautés francophones.

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Lise Bourgeois

«Avec les coupes successives de la province, essentiellement 1% par année dans les dernières années, on n’a pas de gras, on a vite coupé dans le muscle et on arrive au squelette», résume Sophie Bouffard, rectrice de l’Université de Saint-Boniface au Manitoba.

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«Ce que je souhaite et ce dont on a besoin, c’est d’une reconnaissance importante que nous sommes dans une autre logique que le postsecondaire plus générique au Canada. On est dans une logique de construction communautaire, identitaire et linguistique. On a cette tâche additionnelle de former des diplômés bilingues et c’est un avantage compétitif pour les provinces.»

De son côté, Lise Bourgeois, la PDG  du collège ontarien La Cité, souhaiterait voir des collaborations «qui permettent de répondre aux besoins de nos communautés rapidement. Quand on est la minorité, il faut être meilleur et il faut être plus rapide.»

Or, le financement actuel ne permet pas de développer de telles initiatives à long terme, déplore Lise Bourgeois. «Le financement qu’on devrait recevoir, c’est pour développer des projets soutenus dans le temps pour faire différemment de la majorité.. Et le faire en amont pour s’occuper des besoins et des nouvelles réalités.»\

recteur
Allister Surette

Allister Surette, recteur de l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, estime qu’une bonne stratégie pour y parvenir serait que le milieu postsecondaire francophone fasse front commun auprès des gouvernements.

«Je pense qu’il faut approcher le fédéral pour nous aider à offrir un leadeurship à l’intérieur de nos provinces et nos territoires en termes de langue française. La modernisation de la Loi sur les langues officielles et l’importance accordée aux communautés francophones en situation minoritaire peut nous aider beaucoup.»

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Il déplore que lorsque les provinces reçoivent les transferts de fonds fédéraux, «ils ne font plus attention à la langue française. Le fédéral a un rôle à jouer pour nous appuyer».

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