La France des extrêmes

France, Renaissance
Le président Emmanuel Macron en page d'accueil du site internet de son Parti Renaissance. Il joue le tout pour le tout à ces élections législatives des 30 juin et 7 juillet.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 23/06/2024 par François Bergeron

Je croyais être bien renseigné sur les méandres et les subtilités de la politique française. Ce n’est toutefois que cette semaine que j’ai découvert que les termes «gauche» et «droite» n’appartiennent pas seulement à la tradition, comme partout, mais bien aussi, en France, à la loi.

J’aurais dû m’en douter: on aime beaucoup en France que tout soit consigné et codifié.

Je suis donc tombé sur un chroniqueur qui, tout en approuvant l’incursion de Kylian Mbappé sur le terrain politique pour dénoncer les «extrêmes», a pu s’appuyer sur un texte officiel – une décision du Conseil d’État – pour critiquer le sentiment du footballeur renvoyant dos à dos «l’extrême droite» et «l’extrême gauche».

Selon ce chroniqueur, Mbabbé aurait dû préciser que le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella incarne incontestablement une ultra extrême droite épouvantable, tandis que le Nouveau Front populaire dominé par La France insoumise de Jean-Luc Mélanchon représenterait une gauche tapageuse mais foncièrement bienveillante.

Jeux olympiques de Paris
Kylian Mbappé, 25 ans, est le capitaine des «Bleus», l’équipe de France. Photo: Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Qu’est-ce que le Conseil d’État vient faire là-dedans? C’est que certains répertoires officiels français classent les élus en 22 «nuances» et 6 «blocs de clivage» politiques: extrême gauche, gauche, autres, centre, droite et extrême droite, soi-disant pour guider les citoyens dans leur choix.

Publicité

Or, l’an dernier, le Rassemblement national, qui peut prétendre aujourd’hui représenter le tiers des Français (tous des extrémistes?), a demandé au Conseil d’État d’être reclassé à droite plutôt qu’à l’extrême droite dans ces répertoires officiels, vu que La France insoumise y est classée à gauche plutôt qu’à l’extrême gauche.

La requête du RN a été rejetée. Ce qui autoriserait mon chroniqueur et nombre de commentateurs à continuer de fantasmer sur la menace nationaliste et à minimiser la menace totalitaire.

Orwell et Kafka

Le Conseil d’État est un organisme à qui le gouvernement et d’autres instances publiques peuvent demander des avis juridiques.

C’est cette agence, saisie par Reporters sans frontières, qui a suggéré récemment que les radios et télévisions devraient comptabiliser le temps d’antenne de leurs journalistes, chroniqueurs et invités en fonction de leurs préférences politiques, afin d’imposer un meilleur pluralisme des idées sur les ondes: un projet aussi orwellien que kafkaesque!

Incidemment, Orwell vs Kafka est le titre d’une nouvelle émission de radio de la BBC, au Royaume-Uni, qui trouve des exemples de concrétisation des prophéties dystopiques de ces deux auteurs. On a d’ailleurs commenté que la BBC en était elle-même un exemple.

Publicité

Je m’égare… mais pas tant que ça, car, en France comme au Canada, l’audiovisuel étatique fera peut-être l’objet d’une importante révision, jusqu’à une privatisation ou un définancement, si les partis de droite prennent le pouvoir.

France, Nouveau Front populaire
Une affiche du Nouveau Front populaire, créé spécialement pour ces élections législatives par La France insoumise, le Parti socialiste, Les Écologistes et le Parti communiste.

Le débat sur les «extrêmes» politiques accapare un temps précieux qui devrait être consacré à l’examen des programmes économiques et sociaux des forces politiques en présence: le bloc de droite (Rassemblement national, Reconquête! et quelques Les Républicains), le bloc du centre (Renaissance, certains Les Républicains et certains écolos) et le bloc de gauche (Parti socialiste, Les Écologistes, La France insoumise, Parti communiste, Nouveau Parti anticapitaliste).

Par exemple, ce RN qui a le vent dans les voiles, comment gouvernerait-il?

À droite sur l’immigration, la sécurité et le wokisme, il penche à gauche sur l’intervention dans l’industrie et le commerce pour aider les classes populaires confrontées à l’inflation.

Critique de l’endettement du gouvernement, il propose néanmoins des mesures coûteuses.

Publicité

«Nationaliste» et «souverainiste», il paraît sceptique sur l’aide à l’Ukraine, qui se bat pourtant pour la survie de sa nation et de sa souveraineté contre la Russie assimilatrice et impérialiste.

Démocratie stressée

Quand on dit que le président français Emmanuel Macron a pris tout le monde par surprise, le 9 juin, en convoquant des élections législatives pour les 30 juin et 7 juillet (deux tours), deux ans seulement après les précédentes, on veut vraiment dire «tout le monde», jusqu’à son premier ministre!

Macron n’aurait échafaudé cette dissolution de l’Assemblée législative qu’avec une poignée de conseillers personnels. Ses ministres n’étaient pas dans le coup!

Ce soir-là d’élections au Parlement européen, pourtant moins conséquentes que les votes nationaux, en plein championnat européen de foot (du 14 juin au 14 juillet) et juste avant les Jeux olympiques de Paris (du 26 juillet au 11 août), Macron réagissait à chaud au score historique de la droite nationaliste et au recul de son groupe centriste, troisième derrière le total des partis de gauche et d’extrême gauche dissemblables, aujourd’hui réunis dans le Nouveau Front populaire.

Résumée à sa plus simple expression, la démocratie est le consentement des gouvernés: la confiance d’une majorité de la population que ses élus représentent ses aspirations, et que le système permet la continuité ou le changement souhaité.

Publicité

La décision du président de déclencher une campagne électorale, pour clarifier une situation politique qui a apparemment évolué rapidement en deux ans, est donc éminemment démocratique. C’est d’ailleurs ce que réclamait Jordan Bardella le soir du 9 juin… sans se douter qu’il allait être exaucé dix minutes plus tard.

France, RN
Le président Emmanuel Macron sera forcé de nommer Jordan Bardella premier ministre si le RN remporte une majorité de sièges à l’Assemblée nationale. Il a 28 ans.

Mais il y a la manière. N’accorder que quelques jours aux chefs, aux candidats, aux médias et aux citoyens pour s’organiser malmène la démocratie.

Quelle était l’urgence? Après avoir consulté ses alliés et réfléchi pendant quelques semaines, Macron aurait pu annoncer très à l’avance des élections législatives à l’automne en invoquant exactement les mêmes raisons.

Entre temps, peut-être aurait-il pu inciter à revenir au centre des ténors du parti Les Républicains (droite) qui se rapprochent aujourd’hui du RN, ainsi que des éléments du Parti socialiste (gauche) qui ont maintenant signé avec le Nouveau Front populaire.

Personne n’aime le stress de la vente sous pression. C’est ce qui se passe présentement dans la sphère politique française à cause de la décision intempestive du président, fondée sur des calculs politiques douteux et une évaluation dépassée des sentiments des Français à son égard et pour ses adversaires. L’extrémiste, c’est lui!

Publicité

Auteurs

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

  • l-express.ca

    l-express.ca est votre destination francophone pour profiter au maximum de Toronto.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur