John Ware, le cowboy noir méconnu de l’Ouest canadien

cowboy noir John Ware
John Ware entouré d’autres ranchers de Millarville et Priddis, en Alberta. Photo: Collection Glenbow, Université de Calgary, domaine public
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Publié 08/06/2024 par Marc Poirier

Imaginez qu’un jeune cowboy américain arrive dans l’Ouest canadien à la fin du XIXe siècle et qu’il acquiert tout le respect de la région grâce à son habileté avec les bêtes. Imaginez qu’un tel personnage soit resté malgré tout quasi absent des livres d’histoire. Imaginez maintenant qu’il soit noir. Voici le récit de John Ware.

Le destin de John Ware est tout à fait remarquable. Les faits entourant sa jeunesse sont incertains. Il ne savait ni lire ni écrire, et n’aurait que dévoilé très peu de détails sur sa vie. Certaines sources le font naitre en situation d’esclavage, soit au Tennessee, soit dans une plantation en Caroline du Sud.

Après la guerre civile américaine, il se serait rendu au Texas, où il apprend le métier d’éleveur de vaches. Il devient cowboy.

En 1879, il est embauché pour mener un troupeau d’environ 2400 bovins jusqu’au Montana, soit une distance de 3000 kilomètres. Il reste quelques années dans cet État à la frontière de l’Ouest canadien d’aujourd’hui.

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En février 2012, Postes Canada a émis un timbre à l’effigie de John Ware. Photo: Postes Canada, 2012

3000 bovins vers l’Alberta

La North West Cattle Company l’approche pour conduire un troupeau de plus de 3000 bêtes au nord de la frontière, dans ce qui deviendra l’Alberta. Cette compagnie était considérée comme l’un des plus puissants propriétaires de ranchs du sud de ce qui était alors les Territoires du Nord-Ouest.

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Elle agissait avec l’aval du gouvernement fédéral de John A. Macdonald, qui souhaitait assoir l’autorité du nouveau pays qu’était le Canada dans ce territoire et attirer des colons.

John Ware traverse la frontière en 1882 pendant une terrible tempête de neige et réussit à livrer le bétail à l’un des ranchs de la compagnie, dans les environs de Calgary, une ville naissante.

Cette nouvelle vaste région d’exploitation bovine de la North West Cattle Company deviendra connue sous la marque de bétail «Bar U» et son cheptel atteindra 10 000 bêtes.

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Le premier ranch établi par John Ware à Millarville. Photo: Collection Glenbow, Université de Calgary, domaine public

De ranch à ranch

John Ware travaille pour la compagnie pendant deux ans, avant de se joindre à un autre ranch, le Quorn, où il s’occupe de chevaux.

Puis, en 1888, il établit son propre petit ranch de bovins à Sheep Creek, non loin du ranch Quorn, au sud de Calgary. En peu d’années, son troupeau compte des centaines de têtes. Il continue en même temps de travailler à forfait dans des ranchs voisins.

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Il commence alors à jouir d’une réputation dans le maniement des chevaux. On disait qu’aucun cheval sauvage qu’il avait monté n’avait réussi à le désarçonner.

Il était aussi connu pour sa force physique, son courage et son esprit novateur. John Ware a été l’un des premiers ranchers de la région à prendre l’eau d’une rivière voisine pour irriguer ses terres qui étaient verdoyantes. Il ne manquait jamais de foin pour son élevage.

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Le deuxième ranch de la famille Ware, à Red Deer, Alberta. Photo: Collection Glenbow, Université de Calgary, domaine public

Racisme et discrimination

Bien qu’il ait été respecté par ses employeurs et ses confrères cowboys, John Ware a dû faire face, comme les autres personnes noires, à du racisme et de la discrimination. Certains politiciens de la région s’opposaient à l’immigration de personnes noires provenant des États-Unis.

Plusieurs histoires ont circulé à ce sujet. On lui aurait souvent refusé l’entrée dans des commerces et autres établissements. Un barman aurait refusé de lui servir à boire et – surtout – l’aurait insulté en le traitant de noms désobligeants; poussé à bout, John Ware l’aurait rué au sol.

Certains disent qu’il a dû acquérir des terres à deux fois le prix des ranchers blancs.

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John Ware, son épouse Mildred Lewis, en 1896, avec deux de leurs enfants: Nettie et John. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Rencontre de sa femme

Quelques années plus tard, il rencontre Mildred Lewis, fille d’un colon et ébéniste noir arrivé de l’Ontario. Ils se marient en 1892.

Le couple poursuit l’exploitation du ranch de Sheep Creek pendant une dizaine d’années. Mais de plus en plus de nouveaux colons s’établissent dans la région et clôturent les pâturages.

John Ware commence à se sentir étouffé. La famille, qui compte maintenant cinq enfants, se déplace et établit, en 1902, un nouveau ranch sur le bord de la rivière Red Deer, près du village de Duchess, environ à mi-chemin entre Calgary et la frontière de la Saskatchewan.

Très habile au lasso, il voit sa célébrité monter d’un cran, en 1893, lorsqu’il remporte sa première compétition de terrassement du bouvillon lors de la foire d’été de Calgary. Cette foire allait plus tard fusionner avec un rodéo pour devenir le célèbre Stampede de Calgary.

Le malheur frappe cependant en 1905. Mildred meurt d’une pneumonie; quelques mois plus tard, ironie du sort, John meurt lorsque le cheval qu’il montait trébuche dans un terrier de blaireau.

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Les enfants sont recueillis par les parents de Mildred. Aucun de ceux-ci n’aura d’enfant. Les deux derniers sont morts en 1989.

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Quelques livres ont été publiés sur l’histoire de John Ware.

Une renommée posthume

Connu presque seulement de la communauté de cowboys de l’Alberta, John Ware verra sa renommée grandir au fil des ans, ainsi que sa reconnaissance.

Depuis 1968, une école de Calgary accueillant des élèves de la 7e à la 9e année porte son nom. En 2012, Postes Canada a lancé un timbre à son effigie. Deux ruisseaux ont également été nommés en son honneur. En 2022, son nom est inscrit à la liste de «personnages historiques nationaux» du Canada.

La plaque érigée en son honneur au Lieu historique national du Ranch-Bar U, aux pieds des Rocheuses en Alberta, souligne que «Ware excelle dans une industrie dominée par des hommes blancs et de grandes sociétés d’élevage bien financées. Sa générosité et ses compétences supérieures lui valent une renommée durable et une place dans la mythologie de l’Ouest canadien».

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Plaque commémorative de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. Photo: Parcs Canada

Un livre, John Ware’s Cow Country, a été rédigé par Grant McEwan, ancien maire de Calgary et ancien lieutenant-gouverneur de l’Alberta. Deux livres jeunesse ont également été écrits à son sujet, soit John Ware (1845-1905), Le Cowboy noir de l’Ouest canadien, d’Amadou Ba, et Howdy, I’m John Ware, d’Ayesha Clough.

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L’Office national du film a même produit un documentaire sur lui, Sur les traces de John Ware, réalisé par Cheryl Foggo.

Comme le dirait le regretté Serge Bouchard, qui présentait au micro d’une émission de Radio-Canada les portraits de personnages surprenants mais maltraités par l’histoire, John Ware est un remarquable oublié, dont on se souvient de plus en plus.

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