Frénésies post-modernes

frénésie, La journaliste et romancière Lionel Schriver. Son dernier ouvrage: Mania.
La journaliste et romancière Lionel Schriver à la chaîne Triggernometry, sur YouTube. Son dernier ouvrage: Mania.
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Publié 26/05/2025 par François Bergeron

Le mot anglais «mania» se traduit officiellement en français par «manie». Mais «manie» ne conjure pas la même dangerosité que «mania», dérivé directement du mot grec signifiant «folie» ou «délire», et d’où vient le terme «maniaque».

Mania, c’est le titre du dernier roman de l’Américaine Lionel Schriver, invitée récemment à l’excellent balado Triggernometry de Konstantin Kisin et Francis Foster sur YouTube. J’ai tout de suite commandé et lu le livre.

Je n’avais jamais entendu parler de Lionel Schriver auparavant. Son ouvrage le plus connu, dont on a tiré un film, est We Need To Talk About Kevin, à propos d’une tuerie fictive dans une école. Ici, le sous-titre How Societies Go Crazy, est de Triggernometry, pas de l’auteure ou de sa maison d’édition. Mais c’est bien trouvé.

Folie fictive et frénésies actuelles

Le roman de Lionel Schriver sert de tremplin pour discuter des moments de «folie» – je dirais plutôt de «frénésie» – dont sont saisies nos sociétés avec une régularité troublante depuis une vingtaine d’années.

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Elle invente un de ces moments dans Mania… qui aurait pu être un roman d’anticipation, mais qui se situe plutôt dans un passé récent «alternatif».

En entrevue et en conférence, Lionel Schriver recense une bonne demi-douzaine de paniques morales ou de frénésies malheureusement trop réelles. Certaines, dont on déjà un peu honte, appartiennent au passé. D’autres, plus débilitantes, perdurent.

Dans un ordre plus ou moins chronologique, citons:

• le mouvement Mee Too contre le harcèlement sexuel des femmes dans plusieurs milieux, parti de réelles injustices, mais qui s’est mué en opération de «déconstruction» du mâle moderne;

• l’agitation Black Lives Matter, à la suite de la mort de l’Afro-Américain George Floyd aux mains d’un policier blanc le 25 mai 2020, face à un racisme qui n’a pourtant jamais cessé de régresser depuis les années 1960;

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• les mesures «extrêmes» (en rétrospective) de distanciation et de confinement pour juguler la pandémie de covid;

• la propagande transgenre moussant le changement de sexe chez les adolescents, de plus en plus contestée par les parents et les experts de la santé… là aussi, pourtant, dans un contexte de régression générale de l’homophobie;

• l’alarmisme pseudo-scientifique face aux changements climatiques (la psychose la plus résiliente jusqu’à maintenant, quoique battue en brèche elle aussi).

Explosives et totalitaires

Je répète que je préfère «frénésies» à «folies» pour chacun de ces exemples, car ces croisades partent de bonnes intentions et s’attaquent initialement à de vrais problèmes.

Toutes ces controverses ont été explosives. On «découvre» tout à coup un scandale ou un danger, souvent présent depuis longtemps. On s’énerve et on arrache sa chemise pendant quelques mois. Puis, ennuyé, sans que rien n’ait changé, on passe à une nouvelle cause plus stimulante, comme un drogué à la recherche d’une nouvelle dose.

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Ces frénésies sont aussi caractérisées par des appels à la censure ou la criminalisation des dissidents.

Face à une menace «existentielle» ou un «tournant historique», il n’y aurait plus de place pour la nuance. Le temps ne serait plus à la discussion, mais à l’action! C’est le dénominateur commun de ces modes «wokes», qui devrait nous alerter que quelque chose ne tourne pas rond.

Mais comme la liberté d’expression n’est pas si facile à bafouer en Occident, un ressac salutaire vient parfois calmer le jeu.

Actions et réactions maniaques

D’aucuns ajouteront à ce palmarès les bouleversements politiques que connaissent les démocraties occidentales face à l’immigration incontrôlée. Lionel Schriver fait d’ailleurs remarquer que les premiers mois du régime Trump, à Washington, ont quelque chose de «maniaque».

Et que dire des réactions souvent excessives et irrationnelles à chaque conflit entre Israël et ses voisins? Comparées à notre indifférence face aux guerres plus meurtrières en Afrique ou en Asie.

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Au Canada, il faut inclure dans ces vagues d’hystérie collective l’autoflagellation sur les pensionnats autochtones et la désinformation sur les tombes d’enfants retrouvées près de ces pensionnats: aucune à ce jour.

Gulliver

Cette analyse résonne en moi et chez d’autres observateurs de la société. J’ai souvent l’impression d’être Gulliver découvrant des mondes où les lois universelles de la physique ou de la morale ne s’appliquent plus.

Sauf que chacun de ces nouveaux mondes est toujours la même société dans laquelle nous vivons, aux prises avec un nouveau démon.

Auteurs

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et numériques, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

  • l-express.ca

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