Le français paw paw, quocé ça là?

français paw paw, Louisiane, Missouri
Panneaux bilingues de la Société historique de la région de Vieille Mine, dans le Sud-Est du Missouri, sise dans une maison typique du style architectural développé par les premiers colons français dans la région. Photo: Kbh3rd, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons
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Publié 04/08/2021 par Michèle Villegas-Kerlinger

Qu’est-ce que c’est que le français paw paw? Aussi connu comme le français du Missouri, du pays des Illinois, du Mississippi ou de Haute-Louisiane, le paw paw est une variété de français qui était parlé couramment dans ces territoires.

Et, pour aussi étonnant que cela puisse paraître, il est encore parlé aujourd’hui par une poignée de francophones dans la communauté de Vieille Mine dans l’état américain du Missouri.

Le francais paw paw… comme le fruit

D’ou vient ce nom haut en couleur? Le pawpaw, ou l’asiminier trilobé, est un arbre plutôt méconnu qui pousse dans le sud-est de l’Ontario jusqu’au Texas, et du Mid-West américain à l’océan Atlantique.

Cet arbre produit un fruit, le pawpaw ou l’asimine, qui ressemble à une petite papaye verte, mais dont le goût est à mi-chemin entre la banane et la mangue.

Il semblerait que le fruit du pawpaw a fait partie intégrante de l’ordinaire des Français qui, attirés par les terres fertiles et les mines de plomb, se sont installés le long du fleuve Mississippi aux 17e et 18e siècles.

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pawpaw, paw paw, français américain
L’asimine ou le pawpaw. Photo: ArbresCanada

Le français encore présent à Vieille Mine

Nous aurions tort de croire que le français ait disparu dans cette région de l’Amérique du Nord après la signature du Traité de Paris en 1763.

La langue a même survécu à la vente du territoire de la Louisiane aux Américains par Napoléon Bonaparte en 1803. Grâce à des institutions, comme les écoles, bilingues ou françaises, le français se transmettait d’une génération à l’autre jusqu’à la fin du 19e siècle, les élèves s’inscrivant de plus en plus dans les écoles de langue anglaise.

Malgré tout, la langue de Molière a continué à être parlée dans un certain nombre de foyers, bien qu’actuellement, il n’y reste plus qu’un nombre très réduit de francophones dans la ville de Vieille Mine.

Dans cette communauté de quelque 2 500 individus, située au sud de Saint-Louis, la capitale de l’état et nommée d’après le roi Louis XI, ou Saint Louis, on peut encore entendre parler un français qui partage quelques traits avec les variétés de français parlées au Canada et en Louisiane, tout en ayant des éléments qui lui sont propres.

pawpaw, paw paw, français américain
Anciens établissements français en Haute-Louisiane. Photo: Quora.com

Le français paw paw, une langue du 17e siècle

En quoi le français paw paw se ressemble-t-il au français parlé au Canada? En voici quelques notions de base:

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La prononciation:

  1. [we] au lieu de [wa] (moé = moi, roé = roi)
  2. [dz] au lieu de [d] (dzire = dire, dzu = du)
  3. [ts] au lieu de [t] (tsu = tu, tsemps = temps)
  4. [r] au lieu de [R] (« r » roulé au lieu de « r » uvulaire)
  5. [o] au lieu de [u] (pomon = poumon, gordon = gourdon)
  6. [bõn] au lieu de [bɔn] (bonne) et [põm] au lieu de [pɔm] (pomme) (Les voyelles restent nasales.)
  7. Maintien de la prononciation finale de certaines consonnes (coupe = coup, toute = tout)

Les adjectifs et les substantifs:

On ajoute souvent un « t » à l’adjectif féminin et à d’autres mots (meilleurtes = meilleures, nouèrtes = noires, icitte = ici).

Des mots ont été empruntés aux langues autochtones, comme l’iroquois des Cherokees, l’algonquin des Illinois, le sioux des Omahas et des Osages (ouaouaron = grenouille), au créole (poc à poc = comme-ci, comme-ça) et à l’anglais. Voici un petit lexique du français paw paw:

Le français paw paw Le français standard Le français paw paw Le français standard
à c’t’heure maintenant falloir mieux valoir mieux
s’adonner s’entendre une fève un haricot
amarrer attacher guime une partie de jeu, un match
aussitte, itou aussi haler tirer
aveindre advenir un joual un cheval
barrer fermer un maringouin un moustique
beaujour bonjour une metche une allumette
un bétail un insecte un oiseau à mouches un colibri
une borgnasse une borgnesse, une vieille femme (borgne) un patate une pomme de terre
une boule une balle, une pelote une piastre un dollar, l’argent
une brindgème une aubergine une pistache une cacahuète
un candi un bonbon pogner attraper, prendre, empoigner
un char une voiture quocé ça-la? qu’est-ce que c’est que ça ?
un chat-chouage un raton-laveur quoi c’est qu’est-ce que
droit là tout de suite une rabiole un navet
une esquilette une poêle s’en venir arriver, venir
un estourneau un étourneau, un merle un zouéseau à mouches un colibri, un merle
être après être en train de

Les verbes et leurs temps:

  1. La conjugaison du verbe « aller » (je vas, j’vas (parfois à l’oral) et m’as (familier) = je vais)
  2. L’expression orale « t’as » pour « tu vas » est plutôt unique au français paw paw et encore plus familière que les formes précédentes.
  3. La formation des verbes irréguliers de l’imparfait (Les terminaisons de l’imparfait sont ajoutées aux formes du présent.):

Ils ontvaient = ils avaient

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Ils sontvaient = ils étaient

Je suitais = j’étais

J’aivais = j’avais

Je vadais = j’allais

  1. Le passé composé n’utilise que l’auxilaire « avoir ».

D’autres caractéristiques linguistiques dignes d’intérêt:

  1. La préposition « à » suivie de l’article « la » = « à’ » (L’a allé à’ campagne. = Il est allé à la campagne.)
  2. Les contractions de « de le » et « de les » sont facultatives (L’a revenu de les champs. = Il est revenu des champs.).
  3. Le sujet est systématiquement redoublé (La fille al’ avait soèf. = La fille avait soif.).
  4. Le pronom « il » devient « i’ » devant une consonne et « l’ » devant une voyelle.
  5. Le pronom «elle» se change en « a’ » devant une consonne et en « al » devant une voyelle.
  6. « Nous-autres », « vous-autres », « eux-autres » remplacent « nous », « vous » et « eux ».
  7. « On » remplace fréquemment « nous ».
  8. La conjonction « que » est parfois omis à l’oral (i’ faut tu fasses. = Il faut que tu le fasses.).
  9. L’expression « ça fait (que) » est très commune.

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L’avenir du français paw paw

Encore en 1980, il y avait environ un millier de francophones dans la région de Vieille Mine. Aujourd’hui, il n’en reste tout au plus qu’une centaine… Et la plupart sont des gens très âgés qui savent seulement quelques expressions et des chansons dans leur langue maternelle.

Au fil des années, le paw paw est devenu la langue de la minorité. Le français étant considérée par des non-francophones comme inférieure à l’anglais et synonyme d’ignorance et de manque d’éducation. Ceux qui la parlaient étaient stigmatisés.

Avec l’industrialisation, même les francophones ne voyaient plus l’intérêt de transmettre la langue à leurs enfants, croyant que la réussite de leur progéniture passait par l’apprentissage de l’anglais et l’abandon du français.

Il y a aujourd’hui un certain intérêt dans cette langue unique, surtout chez les jeunes. Des efforts individuels et collectifs tentent de la sauver, mais on se demande si ces efforts porteront fruit.

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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