Financement du Campus Saint-Jean: la cause peut aller de l’avant

La formation des enseignants pourrait faire partie des droits linguistiques

Campus Saint-Jean Alberta
Le Campus Saint-Jean a été fondé en 1908, tout comme l'Université de l'Alberta.
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Publié 22/09/2022 par Gérard Lévesque

La juge April Grosse a rejeté récemment la demande en radiation de la cause initiée par l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) et la Franco-Albertaine Joanne Nolette dans le dossier du financement du Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta.

La poursuite contre le ministre de l’Enseignement supérieur et les gouverneurs de l’Université de l’Alberta pourra donc aller de l’avant. La province et l’Université arguaient que la cause était vouée à l’échec.

Campus St-Jean Alberta
April Grosse, juge à la Cour du Banc du Roi de l’Alberta.

Obligation de former des enseignants?

À la connaissance de la juge, l’affaire est la première où l’on affirme que le droit à l’égard de l’éducation primaire et secondaire, en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, comporte une obligation du gouvernement à l’égard de la formation des enseignants et d’autres membres du personnel scolaire.

Juliette Vani
Me Juliette Vani.

Les demandes en radiation du gouvernement de l’Alberta et de l’Université étaient distinctes, mais complémentaires. L’argument de l’Alberta se fondait principalement sur ce qu’elle présentait comme des défauts ou vices de rédaction de la documentation déposée.

L’Alberta alléguait également que les demandeurs n’avaient pas plaidé les faits essentiels: à savoir qu’en n’accordant pas un financement suffisant au Campus Saint-Jean, l’Alberta et l’Université n’ont pas exercé leur pouvoir discrétionnaire en matière de financement alloué à l’éducation postsecondaire en conformité avec le principe constitutionnel de protection des droits des minorités.

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Analogies avec la cause de l’Hôpital Montfort

La juge n’accepte pas les arguments de l’Alberta et de l’Université.

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Me Francis Poulin.

Puisque l’application de la Charte n’est pas une question en litige à ce stade, la juge présume que l’Université fait partie de la législature ou du gouvernement de l’Alberta selon l’article 32 de la Charte.

«Dans la mesure où le Campus Saint-Jean est impliqué dans l’exécution de l’obligation du gouvernement, l’Université à titre de partie est appropriée selon les actes de procédure et les arguments présentés devant la Cour à ce stade.»

La juge constate qu’il existe des analogies rationnelles avec la cause de Gisèle Lalonde, Michelle de Courville Nicol et l’Hôpital Montfort contre la Commission de restructuration des services de santé de l’Ontario.

Elle note que l’Hôpital Monfort est non seulement un hôpital desservant la communauté francophone, mais également une institution impliquée dans la formation des professionnels de la santé.

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Longs délais caractérisant l’exercice des droits linguistiques

La juge passe un message clair aux juristes impliqués dans la cause. Elle est déjà préoccupée par le retard ayant résulté, entre autres, de la disponibilité des parties de présenter leurs observations. 

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Me Teresa Haykowsky.

Les avocats Juliette Vani et Francis Poulin représentent l’ACFA et Joanne Nolette. Teresa Haykowsky représente le ministre de l’Enseignement supérieur de l’Alberta. Joël Michaud représente les gouverneurs de l’Université de l’Alberta.

La juge réfère à deux décisions de la Cour suprême du Canada.

Dans Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, le plus haut tribunal du pays est d’avis que faire abstraction des problèmes soulevés par «l’immanquable judiciarisation et les longs délais qui caractérisent l’exercice des droits linguistiques» mine l’accès à la justice.

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Me Joël Michaud.

Selon la Cour suprême, cela risque de freiner la progression historique du Canada vers l’idéal visé par l’article 23, qui est de «faire des deux groupes linguistiques officiels des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation».

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Et, dans Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, la Cour suprême rappelle qu’en raison de l’exigence du «nombre justificatif», les droits garantis par l’article 23 sont «particulièrement vulnérables à l’inaction ou aux atermoiements des gouvernements».

Edmonton palais justice
Le Palais de justice d’Edmonton. Depuis l’avènement de Charles III, la Cour du Banc de la Reine est désignée Cour du Banc du Roi. Photo: Wikipédia Commons

Mahe ou Mahé? 

Dans sa décision de 17 pages, la juge April Grosse réfère à 17 reprises à la cause Mahe.

Lorsque Jean‑Claude Mahé, Angéline Martel et Paul Dubé ont demandé à la Cour du Banc de la Reine, puis à la Cour d’appel de l’Alberta de déterminer le niveau de «gestion et de contrôle» à l’égard d’une école de langue française qui devrait être accordé aux parents appartenant à la minorité de langue officielle à Edmonton, ils ont perdu l’accent français qui apparaissait à chacun de leur nom. 

Lorsque le juge en chef Brian Dickson a rendu la décision unanime de la Cour suprême du Canada, la cause a été répertoriée sans accent: Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342. 

Habituellement, le texte d’un jugement ne peut être modifié que par la ou le juge qui a rendu cette décision. Les tribunaux supérieurs peuvent-ils puiser dans leurs pouvoirs inhérents pour décider que, dorénavant, ils vont référer à la cause Mahé et non Mahe?  

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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