Emprunts syntaxiques malheureux: «C’est plus 20 degrés; prenons une marche!»

emprunts syntaxiques
«Prenons une marche» est emprunté à la syntaxe anglaise «Let's take a walk». Photo: iStock.com/Yuliia Kaveshnikova
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Publié 30/05/2025 par Michèle Villegas-Kerlinger

C’est plus 20 degrés? Prenons une marche? Nous voici en présence de deux emprunts syntaxiques pas très heureux, mais qu’on pourrait entendre au cours d’une conversation.

Vous vous demandez peut-être ce que c’est qu’un emprunt syntaxique? C’est la transposition, dans la langue qui emprunte, d’éléments d’une structure syntaxique étrangère. En d’autres termes, c’est la reproduction d’une structure propre à l’anglais, ou à une autre langue, mais avec des mots français.

En général, le français critique ce genre d’emprunt, et pour cause! Qu’il s’agisse d’un emprunt des mots ou d’un calque de la syntaxe, c’est-à-dire de la structure de la phrase, ce n’est pas du français, même si les mots eux-mêmes le sont.

Calques de mots

L’emploi d’une préposition ou d’un verbe en français peut être influencé par une construction en anglais ce qui donne lieu à des tournures fautives en français. On n’a qu’à penser à la préposition sur dans une expression comme être sur l’avion pour «to be on the plane». En français, il est bien plus prudent d’être dans l’avion.

Parfois on rencontre des tournures où le verbe est une traduction littérale de celui employé en anglais: demander une question («to ask a question») et prendre pour acquis («to take for granted»). Les expressions en français sont: poser une question (mais demander quelque chose) et tenir pour acquis.

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Calques syntaxiques

L’influence de l’anglais peut se manifester non seulement dans le choix des prépositions ou des verbes, mais encore dans l’ordre des mots ou le recours à certaines tournures passives en français, langue qui, d’habitude, préfère les tournures actives.

La construction un court trois semaines («a short three weeks»), au lieu de trois courtes semaines est un exemple de calque syntaxique. La forme passive être justifié de («to be justified in»), au sens de «avoir raison de, être en droit de» est un exemple d’une structure passive en français qu’on aurait du mal à justifier.

Petit test

Pour mettre au défi nos connaissances en la matière, voici un petit test. Il s’y trouve 10 emprunts syntaxiques. Dans un premier temps, il faut les identifier et, dans un deuxième, les remplacer par les tournures françaises correspondantes. Les réponses et les explications suivent.

Lors de la présentation d’un projet à une réunion d’affaires, une femme pense à celui qu’elle a quitté le matin même et lui adresse en pensée quelques mots:

Les premières deux heures, je t’ai manqué trop. Sous l’impression d’avoir fait une bêtise en te quittant pendant que tu dormais ce matin, je suis venue près de revenir chez nous en courant. Après tout, tu es mon deuxième meilleur ami!

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Mais, pour l’heure, je dois mettre l’emphase sur la présentation de mon projet pour faire une différence chez nous si c’est possible. J’espère que tu ne le prendras pas personnel.

Encore un petit quart d’heure, mon cher Pinotte, et j’aurai fini. Je rentrerai chez nous et on prendra une marche. C’est plus 20 degrés! Autant en profiter!

1. Les premières deux heures – Mettre l’adjectif ordinal devant le déterminant numéral est déconseillé. C’est une structure anglaise qu’il vaut mieux éviter («the first two hours»).

En français, étant donné que les adjectifs ordinaux, les adjectifs dernier et prochain et les déterminants numéraux se placent généralement devant le nom qu’ils qualifient, il peut être difficile de savoir que faire si l’on se trouve en présence d’un ensemble de ces éléments.

En français, l’ordre est le suivant: déterminant numéral + adjectif ordinal + nom (les deux premières heures).

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Toutefois, une exception s’impose. Si le déterminant numéral et l’adjectif ordinal forment un tout ou une partie d’un tout, l’adjectif précède cet ensemble comme dans l’exemple suivant: Les premiers dix kilomètres du marathon sont les moins éprouvants.

2. Je te manquais – Dire ou écrire Je te manque au lieu de tu me manques est non seulement une construction calquée sur l’anglais («I miss you»), mais encore un contresens. En fait, la phrase Je t’ai manqué, au passé composé, signifie que l’on n’a pas réussi à rencontrer la personne que l’on cherchait et équivaut à Je t’ai raté.

Une solution de rechange serait l’expression Je m’ennuie de toi qui ressemble à la construction anglaise tout en respectant la syntaxe en français.

3. Sous l’impression de – L’expression être sous l’impression, est une traduction littérale de l’anglais «to be under the impression», et, en tant que telle, est déconseillée.

Des solutions plus respectueuses de la syntaxe du français seraient: avoir l’impression, avoir (éprouver) une sensation (un sentiment), éprouver (ressentir) une impression.

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Dans d’autres contextes, on peut remplacer l’expression fautive par des tournures comme: avoir le sentiment que, croire, estimers’imaginer, penser, sentir que, etc.

4. Je suis venue près de – L’expression venir près (ou proche) de, suivi d’un verbe à l’infinitif, est utilisé au Québec dans la langue familière au sens de être sur le point de, faillir. Bien qu’elle soit calquée sur l’anglais «to come near (to), to come close (to) doing something», sa structure est conforme à la syntaxe du français.

En effet, venir peut être un semi-auxiliaire devant un verbe à l’infinitif dans des constructions sans préposition ou avec les prépositions à ou de:

  • Venez souper chez nous.
  • Le temps viendra à manquer.
  • Nous venions de rentrer.

Cet usage de venir se voit également dans les expressions venir à un cheveu de et venir à deux doigts de qui relèvent, toutes les deux, du registre familier. Pour un registre plus soutenu, on recourra à des verbes comme faillir ou manquer de.

5. Mon deuxième meilleur ami – Sous l’influence de l’anglais, les francophones utilisent souvent des expressions fautives du type la deuxième meilleure ou le troisième plus grand. Le superlatif en français n’admet pas une deuxième ni une troisième place.

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Des expressions plus heureuses seraient:

  • Ce joueur de foot est au troisième rang des marqueurs de l’année.
  • L’élève a été classé deuxième candidat de sa promotion.
  • Ce participant a réalisé le troisième temps du concours.

De la même façon, on ne dira pas le troisième plus grand pays. Il vaut mieux parler de deuxièmetroisième, etc., en importanceen superficie, ou pour le nombre d’habitantsleur richesse, etc., selon le cas.

6. Mettre l’emphase sur – L’emploi de l’expression mettre l’emphase sur n’est pas conseillé. C’est une expression qui calque l’anglais «to lay (put) emphasis on».

L’expression fautive peut être remplacée par des tournures bien françaises comme: attirer l’attention sur, faire ressortirinsister sur, mettre en évidence (en relief), mettre l’accent sur, souligner, etc.

7. Faire une différence – L’emploi de faire une (la) différence au sens d’«agir concrètement» ou de «changer les choses» est un calque de l’anglais «to make a difference», tout comme la variante faire toute la différence («avoir un effet décisif»).

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On ferait mieux d’utiliser les expressions comme: agir concrètement, améliorer (quelque chose), apporter sa contribution, changer les choses.

En revanche, cette même expression peut s’employer en français quand elle signifie faire la distinction ou permettre de distinguer. L’idée de comparaison, explicite ou sous-entendue, doit y être présente.

8. Tu ne le prendras pas personnel – L’emploi de l’expression le prendre personnel (personnellement) est déconseillé.

Ce calque de l’anglais «to take it personally» ou, plus familièrement, «to take it personal», peut être remplacé avantageusement par: en faire une affaire personnelle, être piqué au vifse sentir attaqué (visé), se sentir personnellement visé par quelque chose (le plus souvent des propos négatifs)

9. On prendra une marche – La locution prendre une marche est une traduction littérale de «to take a walk». Il vaut mieux la remplacer par: (aller) marcher, faire une promenade (une marche, un tour, un tour à pied), se promener, etc.

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10. C’est plus 20 degrés – Lorsqu’on parle du degré de la température en un lieu donné, le verbe être imite la structure de l’anglais: «It is 18 degrees». La structure à privilégier en français est: pronom impersonnel + faire (Il fait 18 degrés).

Par ailleurs, il est superflu d’insérer l’adverbe plus devant le nombre indiquant le degré de la température quand celui-ci est au-dessus de zéro. Si ce n’est pas moins 18, par la force des choses, on sous-tend que la température est «plus» 18.

Voici notre petit texte revu et corrigé :

Les deux premières heures, tu m’as manqué trop. Ayant l’impression d’avoir fait une bêtise en te quittant pendant que tu dormais ce matin, j’ai failli revenir chez nous en courant. Après tout, tu es mon meilleur ami, après mon mari, s’entend!

Mais, pour l’heure, je dois mettre l’accent sur la présentation de mon projet pour apporter ma contribution à notre petite famille si c’est possible. J’espère que tu ne m’en voudras pas.

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Encore un petit quart d’heure, mon cher Pinotte, et j’aurai fini. Je rentrerai chez nous et on ira marcher un peu. Il fait 20 degrés! Autant en profiter!

Pour en savoir plus long sur les emprunts syntaxiques, cliquez ici.

Auteurs

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

  • l-express.ca

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