Éducation francophone: les yeux une fois de plus tournés vers la Colombie-Britannique

Colombie-Britannique, L'école secondaire Jules-Verne à Vancouver.
L'école secondaire Jules-Verne à Vancouver.
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Publié 31/07/2025 par Marine Ernoult

La victoire partielle du Conseil scolaire francophone (CSF) de la Colombie-Britannique devant les tribunaux. en mai dernier. pourrait avoir des effets à la fois négatifs et positifs sur les droits des minorités francophones du Canada, selon plusieurs spécialistes de la question.

«Je suis désappointé de la décision, il y a un manque de reconnaissance de l’urgence de construire des écoles francophones en Colombie-Britannique», regrette Roger Lepage, avocat au cabinet Miller Thomson à Regina, en Saskatchewan, en réaction au jugement rendu le 27 mai par la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

Dans cette décision, le juge Geoffrey B. Gomery demande au gouvernement provincial d’accorder au Conseil scolaire un pouvoir d’expropriation pour bâtir des écoles. Il critique toutefois, dans le même souffle, la gestion du CSF dans sa recherche de terrains, et ne contraint pas la province à financer la construction d’écoles francophones.

Une source proche du dossier interrogée par Francopresse – mais qui ne peut pas s’exprimer publiquement – évoque «une décision arc-en-ciel, avec du très bon et du très mauvais».

Colombie-Britannique, écoles
Quelques-unes des 38 écoles élémentaires et secondaires du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique.

Retour du CSF devant les tribunaux

Malgré l’arrêt de la Cour suprême du Canada de juin 2020 – qui ordonnait à la Colombie-Britannique de financer au moins une dizaine d’écoles entièrement francophones dans un «délai utile» –, le CSF n’a pas pu acquérir de terrains permanents pour les construire.

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Dans un communiqué publié en septembre 2024, le CSF dénonçait un manque d’action de la part de la province pour l’aider à acquérir des terrains, ainsi que les «obstacles érigés» par les conseils scolaires anglophones.

En aout 2024, le CSF a donc demandé à la Cour suprême de la Colombie-Britannique d’ordonner la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour suprême du Canada et le respect de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et des libertés.

Cet article garantit notamment le droit des parents francophones en milieu minoritaire à une éducation dans leur langue pour leurs enfants, partout où un nombre suffisant d’élèves le justifie.

Une décision qui pourrait faire école

Parmi les points positifs, le jugement reconnait l’obligation, pour les conseils scolaires anglophones, de tenir compte des valeurs de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés – le droit à l’instruction dans la langue de la minorité linguistique – quand ils prennent des décisions touchant les écoles francophones.

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Simon Cloutier. Photo: Patrick Woodbury

«C’est une première, ça pourrait avoir des impacts dans d’autres provinces et territoires», souligne le président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF), Simon Cloutier.

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«Ça va devenir plus difficile pour les conseils scolaires anglophones de refuser de transférer à leurs homologues francophones, en manque d’espaces et d’infrastructures, certaines de leurs écoles vides.»

Le CSF a également remporté le droit de se faire transférer la pleine propriété ou un bail prépayé à long terme sur les sites de l’Annexe Queen Elizabeth et l’Annexe Laurier (École des Colibris), à Vancouver.

«C’est la première fois qu’un conseil scolaire met la main sur un site qui appartient à la majorité, alors que la [Commission scolaire de Vancouver (VBE), NDRL] ne voulait rien céder», indique la source proche du dossier.

Plus globalement, le tribunal exige l’adoption par la province, dans un délai de six mois, d’une loi donnant le droit au CSF d’exproprier des terrains privés pour y offrir des services scolaires francophones, comme l’exige l’article 23 de la Charte.

«Depuis sa création en 1997, le CSF est le seul conseil scolaire de la province n’étant pas doté d’un tel pouvoir, ce qui a posé un défi important dans sa recherche de sites pour construire des écoles de langue française à travers la province», a commenté le CSF dans un communiqué.

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Une victoire qui a ses limites

Cependant, le jugement ne garantit pas au CSF la pleine propriété des terrains et des édifices scolaires qui lui seraient transférés. Aujourd’hui, la vaste majorité des sites sur lesquels sont situées ses écoles appartiennent aux conseils scolaires anglophones.

Le magistrat estime que des baux de 99 ans, sans garantie de renouvèlement, contractés à la juste valeur marchande du secteur privé, sont conformes à l’article 23 de la Charte.

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Roger Lepage. Photo: courtoisie

Pour l’avocat Roger Lepage, c’est un «non-sens» de dire que les francophones peuvent rester simples locataires, parce qu’«on n’est jamais certain qu’il y ait un nombre suffisant d’enfants dans 99 ans».

«Les conseils scolaires anglophones gardent des terrains à perpétuité qu’ils n’utilisent même pas et louent à des fins commerciales. L’égalité réelle de l’article 23 exige que le CSF contrôle aussi ses espaces, qu’il n’ait pas à craindre de voir le bail résilié à la dernière minute ou pas renouvelé», ajoute l’avocat.

Simon Cloutier se dit également «très déçu» : «Si on n’a pas la propriété, c’est très difficile de planifier, de rénover, de faire des agrandissements.»

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Le professeur à la Faculté de droit de l’Université de Moncton, Michel Doucet, nuance l’effet que pourrait avoir ce jugement. Il croit que cette décision de première instance, «qui n’établit pas de principes fondateurs n’aura pas un impact jurisprudentiel important dans les autres communautés francophones en situation minoritaire».

Le CSF blâmé

Dans la partie 5 du jugement, la Cour donne partiellement raison au gouvernement de la Colombie-Britannique et reconnait des manquements de la part du CSF dans la recherche de nouvelles propriétés.

avocat
L’avocat Michel Doucet. Photo: Acadie Nouvelle

«La province n’a pas manqué à son obligation constitutionnelle en s’attaquant aux obstacles systémiques qui ont entravé et retardé la création de nouvelles écoles», peut-on lire dans la décision.

«L’incapacité du CSF à embaucher et à retenir du personnel qualifié pour la planification immobilière a entravé et retardé ses efforts pour acquérir des sites et construire des écoles, et la province n’est pas responsable de cette incapacité.»

Roger Lepage n’hésite pas à parler d’«erreurs monumentales» du magistrat, qui se focalise sur «les lacunes» et le soi-disant manque de coopération du CSF.

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«Il oublie que le CSF est financé à 100% par la province, donc s’il n’a pas les ressources humaines nécessaires pour identifier les terrains et suivre le dossier de la construction, c’est parce qu’il est sous-financé», estime-t-il.

Refus de rester saisi du dossier

Le juge a par ailleurs refusé de rester saisi du dossier, comme le demandait le CSF, afin de s’assurer que la province et les conseils scolaires anglophones respectent les ordonnances des tribunaux.

«Si le CSF est mécontent d’une décision de la province ou d’une ville, le juge nous dit [que le Conseil] peut l’attaquer en justice pour régler le problème», souligne la source proche du dossier.

«Au lieu de reconnaitre un manquement aux droits constitutionnels, le juge semble mettre le blâme sur le CSF pour faire valoir régulièrement ses droits en cour et donner, au contraire, beaucoup de latitude au gouvernement provincial et au VBE», dénonce de son côté l’avocat Roger Lepage.

«Persévérance» du CSF saluée

Le CSF a décidé de faire appel. La source proche du dossier rapporte que la conclusion du magistrat selon laquelle «la province et le CSF ne sont pas des partenaires égaux en matière d’éducation» constitue l’une des raisons principales de cet appel.

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Roger Lepage salue la «persévérance» du CSF. «Si tu laisses cette décision, ça devient un précédent qui peut nuire à tous les conseils scolaires francophones.»

«Le CSF a tellement d’embuches pour construire des écoles, en particulier à Vancouver, le juge aurait dû voir que l’article 23 exigeait un changement profond de la loi scolaire provinciale», avance-t-il.

Quelle que soit la portée du jugement, Simon Cloutier reconnait l’existence de débats entourant ces longues batailles judiciaires, «car elles coutent cher et demandent beaucoup de temps.»

«Mais ce n’est pas la faute des conseils scolaires, c’est la faute des gouvernements qui nous forcent à recourir aux tribunaux pour faire respecter nos droits», souligne-t-il. «On n’a pas le choix, sinon les gouvernements vont essayer de limiter les droits des francophones.»

Michel Doucet présume que l’objectif final du CSF est probablement d’aller à nouveau jusque devant la Cour suprême du Canada afin d’«éclairer certains points nébuleux.»

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De son côté, la province conteste en appel le pouvoir d’expropriation accordé au CSF.

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