Ebola: informer sans affoler

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Publié 11/11/2014 par Isabelle Burgun (Agence Science-Presse)

Peste noire, grippe espagnole, SRAS… la peur des épidémies se propage d’un bout à l’autre de la planète aussi vite que le permettent maintenant les chaînes de télévision câblées. La seule mention Ebola donne aujourd’hui des sueurs froides à un bon nombre d’Occidentaux. Entre la peur d’avoir peur et la menace réelle — la grande majorité des décès restent pourtant circonscrits à une zone de l’Afrique de l’Ouest —, Ebola retient l’attention des médias, des services de santé publique et des politiciens d’ici.

«Il est normal d’avoir peur d’un virus féroce qui ne connaît pas de traitement. Il s’agit pourtant d’un délire imaginaire autour de la maladie alimenté par la circulation de nombreuses images effrayantes», tranche le professeur d’histoire de la santé Patrick Zylberman, qui a fait de cette peur collective le propos de sa conférence Santé publique, sécurité nationale?, présentée demain le 4 novembre au Cœur des sciences de l’UQÀM.

La lutte à Ebola s’avère donc, en partie, un combat de l’ignorance et de la peur. Les films Contagion, Alerte, The Hot Zone ont aussi marqué les spectateurs alimentant un imaginaire néfaste autour des origines de l’épidémie. Et les films occultent les risques réels de contamination du virus au sein de sociétés dotées de bons systèmes de santé.

Toutefois, «le véritable drame se déroule en Afrique», insiste-t-il. L’enjeu réel serait de hausser le niveau de qualité des soins des pays en développement afin de bâtir une défense avancée. «En aidant les Guinéens à améliorer leur sort, nous pourrons aussi nous protéger.»

Appel au calme

La récente déclaration de notre ministre de la Santé, Gaétan Barrette – «Le système de santé québécois est prêt à faire face à un éventuel cas d’Ebola» — ou le discours du président américain Barack Obama, qui se dit prêt à accueillir de nouveaux cas, visent tous l’appel au calme.

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Sont-ils suffisamment entendus? «Un bon discours se doit d’être subtil face à une situation sanitaire aussi compliquée», précise Patrick Zylberman. Le point délicat reste le défi que représente une bonne communication des risques à la population. Il faut informer sans affoler et surtout avoir la crédibilité suffisante pour le faire.

Se pose alors la question de la légitimité de ceux qui communiquent. « Les politiciens qui prennent parole sont généralement mauvais à cet exercice. Un médecin intelligent, plus légitime, sera plus écouté. »

L’histoire à la rescousse

De la peste noire au SRAS, en passant par H1N1, quelles leçons peut-on tirer des grandes épidémies?

Elles nous parlent de leur époque et surtout de la manière dont ont été gérées ces graves crises sanitaires, explique l’historien. La comparaison d’Ebola et de la peste noire, malgré des caractéristiques communes (l’absence de cure, la gravité de la crise et la mise en danger des structures des pays affectés), met à jour des différences fondamentales.

«La peste noire, bien documentée, a été gérée localement, par les églises et les autorités municipales. Tandis que dans le cas d’Ebola, on assiste à un enchevêtrement d’autorités locales, nationales et internationales, ce qui rend les choses plus complexes à administrer.» La faible — et tardive — mobilisation internationale et la négation du problème par certains États ont aussi bâti le drame sanitaire que nous connaissons aujourd’hui.

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Les leçons d’Ebola

Mais la mauvaise évaluation de la situation par les responsables de la santé publique internationale, l’Organisation mondiale de la santé en tête, a rajouté au drame humain dont sont témoins les Occidentaux. Le cri d’alarme de la présidente internationale de Médecins sans Frontières, Joanne Liu, en septembre dernier, a mis à jour un flagrant problème de réactivité de ces grandes institutions.

Le manque de préparation face à un événement sanitaire majeur serait aussi un élément important à considérer dans cette crise. «Nous ne sommes pas prêts à intervenir face à une telle crise, et les pays en voie de développement le sont encore moins», relève le titulaire de la Chaire française d’histoire de la santé à l’École des hautes études en santé à Paris et à Rennes.

Le tour du monde des épidémies

Le bilan de l’Organisation mondiale de la santé faisait état, à la fin octobre, de 13 567 cas reportés et de 4 951 morts, principalement au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée. Pointés du doigt, les déplacements par avion constituent aujourd’hui le principal agent de propagation des épidémies au niveau mondial.

L’aéroport américain JFK contrôle les voyageurs de l’Afrique de l’Ouest tout comme ceux de la Guinée le sont à celui de Roissy. «Au 19e siècle, c’est le choléra qui a profité de l’amélioration technologique des transports», rappelle le professeur d’histoire de la santé, Patrick Zylberman. L’arrivée du train et le passage de la navigation à voile à celle à vapeur a réduit le temps de voyage et aussi permis aux infections de se propager d’un pays à l’autre.

Entre la peur d’avoir peur et la menace réelle — la grande majorité des décès restent circonscrits à une zone de l’Afrique de l’Ouest —, Ebola retient l’attention des médias, des services de santé publique et des politiciens.

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Conseils pratiques

La peur est mauvaise conseillère, qu’il s’agisse de l’Ebola ou… d’une fusillade dans une ville paisible. Le point commun entre les deux: en gros, les mêmes conseils à donner aux journalistes qui écrivent dans le feu de l’action et aux internautes qui twittent plus vite que leur ombre.

L’an dernier, l’émission de radio américaine On the Media publiait dans cet esprit une liste de neuf recommandations lorsque surgit dans l’actualité un tueur fou.

Par exemple, ne jamais faire confiance aux sources anonymes, privilégier les médias locaux, et surtout, surtout, ne jamais croire aux rumeurs qui, comme à Ottawa il y a deux semaines, font état d’un deuxième tireur: «Il n’y a pratiquement jamais de deuxième tireur»…

Tout récemment, profitant de la panique Ebola, cette radio a réédité l’effort avec une édition «maladies infectieuses». Parmi ses conseils cette fois :

• Le niveau de bruit n’est pas une mesure du niveau de risque.

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• Lorsqu’il est question de maladies infectieuses, «dernière heure» ou «breaking news» ne sont jamais des titres justifiés. Baissez le volume en attendant la confirmation.

• Si l’autorité compétente (le CDC aux États-Unis, le ministère de la Santé ailleurs) vous dit «inquiétez-vous», inquiétez-vous. S’il dit «ne vous inquiétez pas», vous pouvez les croire. Même s’ils ont l’air débordés.

• Vos propres peurs sont un piètre indicateur de risque. Ne rejetez pas une information juste parce qu’elle va à l’encontre de vos peurs.

• Prêtez une grande attention à toute phrase qui commence par «Mais». En général, ça veut dire «y a rien là».

• Hollywood, c’est de la fiction.

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• Ne prêtez aucune attention à ce qu’une célébrité pense de la science, de la médecine ou de la santé publique.

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