Contrôler la technologie ou se laisser contrôler?

Si l’humain est un être social, pourquoi ne pas mesurer les interactions en ligne par leur capacité à créer de réelles interactions humaines en personne?
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Publié 24/07/2019 par Hosni Zaouali

L’idée de partager mon analyse du monde de l’innovation n’est pas née de la prétention insensée de dire aux lecteurs comment il faut penser. Chacun voyage avec sa réalité, son univers, sa vérité. Mon opinion n’a pas plus de valeur qu’un autre.

Nostradamus

Je n’ai pas non plus la prétention de prédire l’avenir. D’autres s’adonnent à cette activité que je trouve totalement futile si elle s’arrête là.

Le cas d’un diplomate français en Iran est très représentatif de ce but mal placé: à l’époque de la révolution iranienne (1978), ce diplomate a envoyé 4 mémos (scénarios) pour prédire le dénouement de cette période de trouble dans le pays où il était détaché:

1. Les ayatollahs vont contrôler la rebellion et l’Iran deviendra une république musulmane.

2. Les étudiants vont sortir victorieux et l’Iran se transformera en pays démocratique.

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3. L’armée va renverser le shah et l’Iran se transformera en dictature militaire.

4. La Russie va envahir le pays et prendre le contrôle.

Nous savons aujourd’hui qu’au moins un de ces scénarios s’avèrera juste. Dès lors, le diplomate refait surface en criant «j’avais raison»! Nous voyons comment prédire l’avenir simplement pour s’attirer les honneurs peut être vu comme inutile et indécent.

Cependant, analyser les tendances de manière scientifique pour prédire où va le monde dans 5 ans ou 10 ans n’est pertinent que si nous voulons changer le résultat final. Il est inutile de prédire la fonte des pôles si nous n’avons pas l’intention de changer la donne.

Ceci est vrai autant pour le changement climatique que pour les révolutions, et encore plus pour l’innovation.

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Optimisme ou pessimisme: un faux choix?

L’idée de se positionner en pessimiste ou en optimiste concernant l’avenir n’est pas bonne non plus.

Cette approche est celle d’un observateur passif. Un spectateur assistant à un match de basketball a le droit de dire: «j’espère que nous allons gagner le prochain match».

Le joueur de basketball, lui, se pose plutôt la question: «que devons-nous faire pour gagner notre prochain match?». Il va alors étudier l’équipe adverse, ses talents, ses faiblesses, ses habitudes et ainsi déterminer la meilleure stratégie pour gagner le match.

C’est exactement ainsi qu’il faut approcher l’avenir: comme acteurs du changement et non pas comme spectateurs passifs.

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Vous êtes un produit

Dans l’article de la semaine dernière, j’expliquais que, depuis le début de cette nouvelle ère technologique, la rentabilité financière n’arrive qu’en troisième position après la croissance et la rétention. En effet, pour ces chefs d’entreprises Tech, rien n’est plus important que:

– d’accroitre le nombre d’utilisateurs d’applications mobiles, de jeux vidéo, ou de sites internet;

– et de faire revenir l’utilisateur un maximum de fois par jour, pendant plus longtemps – indépendamment de la rentabilité financière, du bonheur ou du malheur généré chez l’humain.

En effet, depuis plusieurs années, la devise n’est plus le dollar, mais les données personnelles collectées sur chaque utilisateur. Le but étant toujours le même: mieux étudier vos habitudes, vos désirs, vos besoins, et collecter toutes ces données personnelles pour ensuite les utiliser dans le but d’encore mieux vous contrôler.

Toutes ces informations personnelles sur votre identité, vos motifs, vos intérêts valent des sommes astronomiques pour qui veut les acheter. Voilà pourquoi nous étions des consommateurs, nous sommes maintenant qu’un produit parmi d’autres.

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Créer des interactions humaines réelles

Alors, est-il possible de créer une alternative à ce choix déconcertant?

Si nous partons du principe simple que la technologie est censée nous servir et non le contraire, nous avons une chance de changer notre approche.

Si au lieu de penser «croissance et rétention» pour garder les utilisateurs scotchés à leurs appareils comme principale mesure de succès pour une application (lire article de la semaine dernière), nous utilisions une autre échelle de mesure.

Si l’humain est un être social, pourquoi ne pas mesurer les interactions en ligne par leur capacité à créer de réelles interactions humaines en personne?

CouchSurfing

Le cas de CouchSurfing est un bon exemple.

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«CouchSurfing est une entreprise dont l’objet social est d’assurer un service d’hébergement temporaire et gratuit, de personne à personne. Les personnes proposant simplement un lit ou un canapé pour dormir (une nuit le plus souvent) en étant eux-mêmes présents dans leur logement et les personnes cherchant un hébergement sont mises en relation via un service en ligne.» (Wikipédia)

L’hôte et l’invité se rencontrent donc, et échangent en face à face pour développer une interaction réelle. L’idée de base est que: partie d’une communication en ligne cette interaction se transforme en une rencontre en personne – ce qui a créé des liens humains réels et non superficiels.

Des jeunes à la recherche d’un hébergement sur le site CouchSurfing.

Voilà Learning

Le cas de Voilà Learning est aussi un bon exemple. Voilà Learning (que j’ai fondé) se spécialise dans la construction de campus virtuels pour les universités et les grandes entreprises. L’idée est de répondre à la forte demande en formation continue due à l’arrivée de l’intelligence artificielle.

Bien que l’idée principale soit de procurer une plateforme d’apprentissage virtuelle et dynamique (réplique d’une ville ou d’un campus universitaire), Voilà Learning mesure les interactions réelles créées à partir d’une interaction sur le campus virtuel.

Ainsi, il ne s’agit plus de garder les utilisateurs scotchés à leur appareil, mais plutôt de les inviter à créer des liens réels que ce soit dans le milieu du travail ou dans la vie de tous les jours.

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Pour ce faire, il serait pertinent de mesurer le temps passé en face à face, d’y soustraire le temps passé en ligne à organiser cette rencontre, et d’y associer une valeur de 0 à 10 dépendamment du plaisir que les utilisateurs en ont retiré.

In Real Life 

IRL (In Real Life) TR – TO x U: le temps réel passé en face à face, moins le temps passé en ligne pour organiser la rencontre, multiplié par les notes de plaisir de 0 à 10.

Nous mesurons ainsi la valeur nette d’une interaction humaine qui n’aurait jamais existé sans l’application en ligne de départ. L’application mobile devient donc un facilitateur d’interactions humaines réelles et non un amplificateur de relations superficielles en ligne.

Pour les sites de rencontre, cela se traduirait par: le temps de rencontre, moins le temps en ligne pour organiser la rencontre, multiplié par le plaisir.

Pour les applications de cuisine, cela traduirait par: le temps passé à cuisiner, moins le temps en ligne pour recueillir les informations, multiplié par le plaisir.

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Pour les sites d’apprentissage comme Voilà Learning, cela se traduit par: le temps passé à appliquer l’apprentissage dans la vie réelle, moins le temps passé en ligne à apprendre, multiplié par la satisfaction.

Textos, J’aimes, Coeurs et autres perturbateurs 

Dans mon dernier article, nous évoquions le problème des interruptions constantes de nos réflexions dû à la manière dont sont programmés nos téléphones intelligents.

En effet, la Silicon Valley réunit les plus grandes entreprises tech au monde: Google, Facebook, Apple, Oracle, LinkedIn, Adobe, Netflix… Qu’on le veuille ou non, ces géants de la tech font la pluie et le beau temps dans nos vies.

Nous expliquions que, pour réussir, ces compagnies ont dû s’inspirer d’une autre industrie. Une industrie qui, aux États-Unis, génère plus d’argent que les industries combinées du film, du jeu vidéo et du baseball: Las Vegas! Votre téléphone intelligent et les applications de médias sociaux que vous avez téléchargés ont été créé par les mêmes ingénieurs qui ont créé les machines à sous de Las Vegas pour vous rendre accros à votre appareil.

Votre téléphone intelligent est un jeu de hasard sur dopamine. Sa conception ne nous laisse pas d’autre choix que d’être constamment distrait et de toujours avoir l’impression de manquer un évènement important.

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D’après l’étude menée par Gloria Mark et Microsoft, sous les conditions technologiques actuelles (nous emportons notre téléphone partout), notre concentration est interrompue toutes les 3 minutes.

Mettons les perturbateurs devant leurs responsabilités

Pour remédier à ce problème, il est possible de ré-imaginer la manière dont nous utilisons nos téléphones intelligents.

Par exemple, il existe une application qui bloque les messages textes ou les interactions Facebook lorsque nous conduisons. Nous pouvons facilement imaginer le même outil lorsque nous avons besoin d’espace mental pour réfléchir.

Je n’ai qu’à l’activer lorsque je dois me concentrer. En plus de bloquer toute interaction, cette application informe l’expéditeur que je suis «concentré» et qu’il est préférable de ne pas me déranger.

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Même si l’application pourrait donner la possibilité à l’expéditeur d’escamoter cette restriction et de me contacter s’il s’agit d’une urgence, c’est à moi, le récepteur, et non à l’expéditeur, de gérer mon espace mental.

Nous mettons ainsi les perturbateurs (médias sociaux et expéditeurs de messages) devant leurs responsabilités.

Nouvelles interactions positives

En d’autres termes, les solutions existent. Bientôt, et si l’utilisateur manifeste ce besoin, il ne s’agira plus de garder le consommateur scotché à son appareil, mais d’utiliser l’appareil pour faciliter de nouvelles interactions positives.

Ce n’est que dans cet état d’esprit que nous arriverons à changer la donne et à faire plier les géants de la Tech à voir en nous des humains et non un produit fait de données informatiques. Après tout, Macdonald n’aurait jamais introduit la salade dans son menu si le consommateur ne l’avait pas demandé.

Auteur

  • Hosni Zaouali

    Chroniqueur sur l'entrepreunariat et l'innovation. Facilitateur de cours à l'université Stanford en Californie. Fondateur du VC-BootCamp et de Tech Adaptika. Consultant pour le Fonds international pour le développement de l'agriculture.

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