Regagner le contrôle sur notre technologie: utopique?

Si les arbres étaient des antennes WiFi, nous en couperions moins

Devinez quelle industrie génère plus d’argent que les industries combinées du film, du jeu vidéo et du baseball. Indice: les médias sociaux s'en inspirent.
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Publié 06/07/2019 par Hosni Zaouali

En Tech, tout n’est pas à jeter, mais tout n’est pas à garder non plus.

Au cœur même de la Silicon Valley, on enseigne à la future génération d’innovateurs, créateurs, designers, gens d’affaires que le revenu financier d’une entreprise n’est pas le plus important.

Après tout, Netflix n’est toujours pas rentable et perd de l’argent chaque année. Tesla perd encore 4000$ pour chaque voiture vendue. Pendant très longtemps, Facebook n’a pas été rentable non plus, surtout à l’époque de la concurrence avec MySpace pour ceux qui s’en souviennent.

Plus important que l’argent

Mais alors qu’y a-t-il de plus important que l’argent pour ces géants de la Tech?

Nous avons cru être des consommateurs, nous réalisons que nous ne sommes en fait qu’un produit parmi d’autres.

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Croissance et rétention: depuis le début de cette nouvelle ère technologique, la rentabilité financière n’arrive qu’en troisième position après la croissance et la rétention.

Le quartier général de Google à Mountain View, à côté de Palo Alto où se trouvent Tesla et l’Université Stanford.

Vos données personnelles

En effet, pour ces chefs d’entreprises Tech, rien n’est plus important que de:

– croître le nombre d’utilisateurs d’applications mobiles, de jeux vidéo, ou de sites internet;

– faire revenir l’utilisateur un maximum de fois par jour, pendant plus longtemps, indépendamment de la rentabilité financière, du bonheur ou du malheur généré chez l’humain.

En effet, depuis plusieurs années, la devise n’est plus le dollar, mais les données personnelles collectées sur chaque utilisateur.

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Le but étant toujours le même: mieux étudier vos habitudes, vos désirs, vos besoins, et collecter toutes ces données personnelles pour ensuite les utiliser dans le but d’encore mieux vous contrôler.

Fastfood pour le cerveau

La Silicon Valley réunit les plus grandes entreprises Tech au monde. Google, Facebook, Apple, Oracle, LinkedIn, Adobe, Netflix… Qu’on le veuille ou non, ces géants de la Tech font la pluie et le beau temps dans nos vies.

Cependant, pour réussir, ces compagnies ont dû s’inspirer d’une autre industrie. Une industrie qui, aux États-Unis, génère plus d’argent que les industries combinées du film, du jeu vidéo et du baseball. Situé à 877 km au sud-est, Mesdames et Messieurs voici… Las Vegas.

En effet, il est presque impensable que les machines à sous génèrent autant d’impact, de revenue, de rétention, et de dépendance. Et c’est pourtant le cas.

Si bien que l’une des maladies les plus communes à Las Vegas est l’infection de la vessie. Les joueurs sont littéralement obnubilés par la machine à sous, ils en oublient de manger, de dormir ou même d’aller uriner.

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Ces machines arrivent à créer un revenu supérieur au PIB du Mali alors qu’ils n’utilisent que des petites pièces et même pas de billets. Voilà pourquoi on les appelle plus communément «machines à sous».

Les machines à sous sollicite la dopamine: notre drogue naturelle du plaisir.

De Las Vegas à la Silicon Valley

Aujourd’hui, beaucoup de ces designers de ces machines à sous travaillent dans la Silicon Valley pour les géants de la Tech. Pourquoi?

Sachez que votre téléphone intelligent et les applications de médias sociaux que vous avez téléchargés ont été créé par les mêmes ingénieurs qui ont créé les machines à sous de Las Vegas pour vous rendre accros à votre appareil.

Si vous ne me croyez pas, pose-vous la question: quelle est la première chose que vous faites en vous réveillant? D’après l’étude menée par ReportLinker, 46% d’entre vous consultent leur téléphone avant même de sortir du lit. Ce nombre s’élève à 66% pour les 18-24 ans.

Boucle de dopamine

Vous n’avez même plus besoin de notification. Vous irez vérifier vos messages, Facebook, LinkedIn, Instagram, Pinterest volontairement. Vous êtes (et je suis) victime de ce que l’on appelle la «boucle de dopamine» (dopamine loop).

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Au même titre que le joueur scotché à sa machine à sous continue de tirer sur la manette en se demandant: «que vais-je gagner cette fois?», vous cliquez sur votre téléphone en vous demandant: «que vais-je recevoir cette fois? Un cœur, un pouce, un “like”, un courriel, un tag, un texto, un message?».

Dû à la manière dont il a été conçu et programmé, votre téléphone intelligent est un jeu de hasard sur dopamine. Sa conception ne nous laisse pas d’autre choix que:

– être constamment distrait;

– avoir l’impression de manquer un évènement important de notre quotidien.

Le siège social de Facebook à Menlo Park, à côté de Palo Alto.

Interruption constante

D’après l’étude menée par Gloria Mark et Microsoft, sous les conditions technologiques actuelles (nous emportons notre téléphone partout), notre concentration est interrompue toutes les 3 minutes.

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D’après la même étude, une fois interrompue, cela prend en moyenne 23 minutes pour regagner notre concentration. Autant dire qu’il est difficile de penser en profondeur à la direction que prend notre vie; ou même à des problèmes importants comme la suralimentation, l’environnement, l’injustice…

L’industrie de la Tech nous laisse donc seuls devant un choix déconcertant: interrompre constamment notre concentration ou avoir l’impression de passer à côté d’un évènement important de nos petites vies. En d’autres termes: la peste ou le choléra.

Responsabilité partagée

Si vous vous demandiez pourquoi il existe des centaines d’applications insensées, mais si peu d’applications réellement pertinentes, vous avez maintenant votre réponse.

Les investisseurs qui prennent des risques (Ventures Capitalists) ont un rôle crucial à jouer contre ce fléau. En finançant les applications qui montrent une croissance rapide et une grande rétention, les investisseurs ne font qu’aggraver le problème.

Science sans conscience asphyxie vos esprits. Voilà pourquoi nous avons tant d’applications de livraisons de nourriture à domicile, ou de médias sociaux, et si peu d’applications performantes en éducation, en médecine, ou sur l’environnement.

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Les géants de la Tech n’ont pas besoin d’aller vous chercher: c’est vous qui allez à eux de manière volontaire. Personne ne vous a forcé à vous inscrire à Facebook, Twitter, Instagram.

L’édifice spectaculaire d’Apple à Cupertino.

150 amis, vraiment?

Ironiquement, tous les chercheurs s’accordent à dire qu’il est pratiquement impossible pour un humain de connaître plus de 150 personnes intimement. Pourtant nous avons des centaines, voire des milliers d’amis Facebook, Instagram, Pinterest…

Le temps et l’énergie passés à analyser nos amis au Mexique, en France ou au Sénégal se fait au détriment du temps que nous aurions pu passer à connaître notre voisin de palier.

Le Net vous épie

J’entends déjà ceux qui prétendent ne pas utiliser les réseaux sociaux. «Sur mon mobile, je ne fais que lire des livres électroniques – rien d’autre», diront-ils.

Lorsque nous lisons un livre sur notre tablette, soyez certains que c’est aussi le livre qui nous lit. On enregistre la vitesse à laquelle vous lisez, les chapitres qui ont capturé votre attention, l’heure à laquelle vous lisez le mieux, le nombre de fois par semaine que vous lisez… Tout est stocké et rien n’est oublié.

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En lisant cet article, la reconnaissance rétinienne est déjà capable de savoir l’importance que vous portez à chaque mot.

En scrutant le net, soyez convaincu que c’est aussi le net scrute vos moindres faits et gestes. On enregistre les sites que vous visitez, le temps que vous y passez, où va la souris, sur quoi vous cliquez…

La Silicon Valley, au sud de San Francisco.

Vos plus profonds désirs

Effacer votre historique n’y changera rien. Au contraire, cela nous informe encore plus sur vos tendances cachées et sur vos plus profonds désirs. Toutes ces informations personnelles sur votre identité, vos motifs, vos intérêts valent des sommes astronomiques pour qui veut les acheter.

Voilà pourquoi, alors que nous étions auparavant des consommateurs, nous ne sommes maintenant qu’un produit parmi d’autres.

Couper l’internet vs couper des arbres

L’ironie en est déconcertante: un chef d’État risque de déclencher une émeute s’il annonce la coupure d’internet dans le pays (le printemps arable a été aggravé par la coupure d’internet en Tunisie). Alors que ce même chef d’État peut couper des centaines d’arbres dans une ville et ne créera presque aucune réaction.

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Cela nous amène à réaliser que si les arbres faisaient office d’antennes à WiFi, nous en couperions sûrement beaucoup moins. Dommage qu’ils ne soient responsables que de l’oxygène que l’on respire.

Solutions… à venir

Dans mon prochain article, je parlerai des solutions que nous pouvons construire ensemble pour remédier à ce fléau.

Si les arbres étaient des antennes WiFi, nous en couperions moins…

Auteur

  • Hosni Zaouali

    Chroniqueur sur l'entrepreunariat et l'innovation. Facilitateur de cours à l'université Stanford en Californie. Fondateur du VC-BootCamp et de Tech Adaptika. Consultant pour le Fonds international pour le développement de l'agriculture.

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