Cinq ans après la covid, le bingo radio n’a pas donné son dernier numéro

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Partout au pays, le bingo permet de recueillir des fonds pour différentes causes. Quelques radios communautaires en dépendent. Photo: Pierre Ouellette
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Publié 11/03/2025 par Andréanne Joly

Les bingos radio connaissaient déjà un franc succès avant l’arrivée des restrictions liées à la pandémie de covid. L’activité, qui se pratique à la maison, a permis à bien des gens de rompre l’isolement, une fois par semaine, et parfois même de remporter de l’argent. Mais cet engouement a-t-il perduré?

Simon Forgues observe le milieu de la radio communautaire dans les francophonies canadiennes depuis plus de 30 ans. Pour lui, cela ne fait pas de doute: lorsque les mesures sanitaires sont venues transformer la vie sociale de la population canadienne, «les bingos à la radio ont connu un immense boum», remarque ce conseiller en stratégie et communication à l’Alliance des radios communautaires du Canada (ARC) depuis 2007.

Certaines personnes cherchaient à se divertir, d’autres à joindre l’utile à l’agréable en remportant des lots intéressants. Le bingo radio a été une activité sociale essentielle pendant la covid et est resté une tradition bien ancrée dans de nombreuses collectivités, même si le niveau de fréquentation est parfois revenu aux niveaux d’avant la pandémie.

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Simon Forgues. Photo: courtoisie

«Une institution»

Le phénomène a été observé à Hearst, dans le Nord de l’Ontario, où le bingo se joue hebdomadairement depuis 1995. Au plus fort de la pandémie, les recettes provenant du bingo ont grimpé de 30 à 35%, ce qui peut représenter 250 joueurs de plus par semaine, dans cette petite ville où le bingo est devenu une tradition.

Dans plusieurs communautés de l’Ontario et de l’Atlantique, le modèle du bingo à la radio est connu et éprouvé. Hearst, Kapuskasing, l’Est ontarien, Pokemouche au Nouveau-Brunswick et Clare en Nouvelle-Écosse y jouent abondamment. «C’est le genre de place où le monde se fait des réunions pour jouer au bingo ensemble», illustre Simon Forgues.

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Nicholas Monette, originaire de l’Est ontarien et directeur des opérations chez Unique FM, à Ottawa, acquiesce: «C’est une institution, pratiquement.»

Le bingo a sauvé des emplois

À Hearst, le taux de participation et les recettes sont revenus à leurs niveaux pré-pandémiques, mais le bingo a sauvé les emplois du personnel des Médias de l’épinette noire, estime son directeur général, Steve McInnis. Les publicités gouvernementales et le bingo ont permis de garder l’organisme à flot, soutient-il.

Aujourd’hui, environ 850 cartes se vendent par semaine (1200 lorsque les lots sont plus élevés). Le bingo représente environ le tiers des revenus de l’organisme, soit entre 250 000 et 300 000 $ par année.

Nicholas Monette y voit un phénomène social. «Je ne sais pas, peut-être que le bingo vient jouer un certain rôle communautaire. Ça devient une façon d’aller rencontrer tout le monde une fois par semaine», même si c’est par les ondes.

Un jeu inconnu des nouveaux arrivants

Devant un tel succès et l’engouement décuplé en temps de pandémie, d’autres radios ont aussi voulu tenter l’expérience du bingo, comme Nord-Ouest FM à Falher, dans le nord de l’Alberta, et Unique FM.

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«J’ai l’impression que la radio, notre radio en tout cas, cherchait à “ride the wave”», commente la directrice générale de la radio ottavienne, Natalie Aloessode-Bernardin.

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Natalie Aloessode-Bernardin. Photo: courtoisie

Unique FM a cependant coupé court à l’aventure en septembre 2024. Cette radio urbaine a eu du mal à s’imposer dans un marché où l’offre culturelle et récréative abonde. Même si elle a réussi à présenter un bingo qui n’était plus déficitaire, les recettes ne justifiaient pas l’énergie qu’il fallait y mettre, indique la directrice.

L’équipe de direction lance l’hypothèse suivante: les changements démographiques ont peut-être été un frein au bingo de la radio. Natalie Aloessode-Bernardin a constaté que, pour ses amis et amies du Bénin et du Mali, ce jeu leur était complètement inconnu.

«Nous, on joue au bingo à la maternelle. C’est comme si ça faisait partie de nos mœurs canadiennes-françaises. Mais eux, ils ont zéro cette référence-là.»

Une source de revenu «essentiel»

À Falher, le bingo en est aujourd’hui à sa deuxième année d’existence. Il s’agit de l’un des deux organisés dans la province, l’autre étant animé par une radio communautaire autochtone.

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En janvier, Nord-Ouest FM a vendu environ 300 cartes, apportant des revenus autonomes essentiels, estime l’adjointe administrative de la radio, Marianne L. Houle. Les subventions n’étant jamais garanties, «la radio bingo, c’est notre propre argent», souligne-t-elle.

À Hearst, grâce à la diffusion en ligne et l’accès à Internet haute vitesse, CINN FM vend maintenant des cartes de bingo à Hornepayne et à Greenstone, des communautés situées à 125 et à 250 km du studio. Avec peu de promotion, les ventes ont déjà augmenté de 10%.

Le défi Meta

Néanmoins, la communauté, même fidèle, est plus difficile à engager depuis août 2023, rappelle Simon Forgues. L’entreprise américaine Meta, en bloquant l’accès aux contenus des médias canadiens sur Facebook et Instagram, a sabré le plus grand canal de promotion des radios.

Celles-ci ont dû repenser leurs stratégies de communication et faire preuve de créativité pour rejoindre les gens, leur page Facebook comptant souvent des milliers d’abonnés et d’abonnées «gagnés tranquillement au fil des années», témoigne le conseiller. «Ç’a frappé fort pour plusieurs radios», se souvient-il.

Certaines radios ont créé une nouvelle page, identifiée autrement et qui n’est pas bloquée, utilisent des pages communautaires, les pages des membres de leur personnel ou de leurs bénévoles.. Mais «c’est sûr que ça demande beaucoup d’effort de se reconstruire un noyau de fidèles abonnés avec une nouvelle page Facebook».

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«De nouveaux joueurs à toutes les semaines»

En Alberta, l’équipe de Nord-Ouest FM demeure optimiste et patiente: la croissance est lente, mais constante. Marianne Houle souhaite d’ailleurs élargir la zone où il est possible de se procurer des cartes de bingo, un défi compte tenu de l’immensité du territoire couvert par la radio.

«Mais c’est pas mal populaire. Le mot se passe. On a toujours de nouveaux joueurs à toutes les semaines.»

En majorité, les personnes qui jouent ont moins de 40 ans et jouent avec leurs parents ou leurs grands-parents. C’est aussi le cas à Hearst, où des groupes de personnes aînées se rassemblent aussi pour jouer ensemble. «C’est rare qu’il y ait un qui joue tout seul», ajoute Marianne L. Houle.

Auteurs

  • Andréanne Joly

    À titre de journaliste et de rédactrice, Andréanne Joly couvre les communautés francophones de l'Ontario et du Canada depuis 25 ans. Elle collabore notamment avec Francopresse, Le Voyageur de Sudbury et L'Express de Toronto. Elle travaille principalement à des dossiers liés à l'histoire, à la culture et au tourisme.

  • Francopresse

    Le média d’information numérique au service de la francophonie canadienne, qui travaille de concert avec les journaux membres de Réseau.Presse.

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