Les armoiries du Canada, une représentation désuète?

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Samy Khalid (debout), héraut d’armes du Canada, dévoilant les nouveaux emblèmes de la Cour suprême du Canada en mars dernier. Assis: le juge en chef Richard Wagner. Photo: Cplc Anis Assari, Rideau Hall
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Publié 14/11/2021 par Andréanne Joly

Lorsque les armoiries du Canada ont été officialisées, le 21 novembre 1921, le pays connaissait une période de nationalisme féconde. Le Canada s’imposait alors comme une puissance de l’Empire britannique.

Cent ans plus tard, dans un contexte de multiculturalisme et de réconciliation, ces armoiries ont-elles bien vieilli? Regards sur ce symbole centenaire et son époque avec un historien et le héraut d’armes du Canada, Samy Khalid.

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Samy Khalid

Armoiries royales

«Depuis l’arrivée des Européens au Canada, des armoiries royales ont été utilisées», retrace le directeur de l’Autorité héraldique du Canada (AHC), Samy Khalid.

Jacques Cartier a planté une croix avec un écusson fleurdelysée à son arrivée en Gaspésie en 1534. Avant, Cabot aurait fait de même avec la bannière royale d’Angleterre, quelque part entre Terre-Neuve et le Cap-Breton en 1497.

Aujourd’hui, les armoiries du Canada demeurent le symbole d’une souveraineté sur un pays. Ce sont des armoiries d’État, certes, mais aussi celles de la Reine du Canada.

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Armoiries du Canada présentées en 1921. Reproduit avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (2021).

Quatre nations européennes fondatrices

Que représentent-elles? Sur l’écu que supportent le lion et la licorne du Royaume-Uni reposent les trois lions de l’Angleterre et celui de l’Écosse, la harpe de l’Irlande et les lis de la France.

C’est «pour représenter les quatre pays de provenance des colons européens installés au Canada», décrit Samy Khalid, qui dirige l’équipe qui conçoit armoiries, drapeaux et insignes pour les citoyens et les organisations du Canada. Le lis revient au bas et sur un drapeau.

Puis au bas de l’écu reposent les feuilles d’érable, qui «représentent “tous les Canadiens”», précise le héraut d’armes.

Par ceci, veut-on signifier les Autochtones? Il en doute… «L’interprétation est large», se contente-t-il de dire.

Un pays qui se taille une place

Si cette représentation renvoie à la réalité coloniale du pays, l’adoption des armoiries en 1921 constituait «un pas à l’avant», relève l’historien Joel Belliveau, chercheur en résidence au Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF).

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Joel Belliveau

À l’époque, le nationalisme canadien prend plusieurs formes et il n’est pas à un paradoxe près.

«Beaucoup d’historiens anglophones parlent de la Première Guerre mondiale comme de la guerre d’indépendance du Canada», illustre Joel Belliveau.

L’idée d’être une colonie anglaise parmi tant d’autres déplaît et la voix de la nation canadienne-française s’élève, soutient-il. «C’est paradoxal. On se battait pour la métropole impériale. Mais en même temps naîtra beaucoup de fierté» nationale.

«À partir de là, le Canada va continuer à s’affirmer culturellement comme nation distincte.»

Demande d’armoiries à l’Angleterre

L’affirmation identitaire canadienne passe donc par la création d’armoiries d’État, présente Samy Khalid. Des citoyens et des associations prennent l’initiative de former un comité avant même la fin de la Première Guerre mondiale.

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À ce moment, le Canada a un collage des écus de chaque province, une «pizza héraldique».

Le comité convainc le gouvernement du bien-fondé du projet et celui-ci soumet une demande au Collège d’armes en Angleterre, «l’autorité responsable de la création et de l’enregistrement d’armoiries et d’emblèmes héraldiques, qui est rattachée au Palais», précise le directeur de l’AHC.

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Armoiries royales du Canada. Reproduit avec l’autorisation du Bureau du secrétaire du gouverneur général. Photo: Sa Majesté la reine du chef du Canada représentée par l’Autorité héraldique du Canada, 2005

La feuille d’érable s’impose

Les dossiers historiques recèlent d’idées soumises dès 1917, et la feuille d’érable y est bien présente.

«Elle était déjà utilisée depuis au moins une centaine d’années, mais ça semble marquer une officialisation de ce symbole pour représenter le Canada», illustre le héraut en chef. Cette feuille semble alors faire l’unanimité, «tant chez les Canadiens anglophones que chez les francophones».

Résultat: avec leurs lis, leurs lions et leurs feuilles d’érable, les armoiries pourraient bien être l’un des premiers symboles du biculturalisme, extrapole l’historien Joel Belliveau.

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Il ajoute même que comme l’on y retrouve des symboles écossais et irlandais, «c’est comme une sorte de première mouture du multiculturalisme au Canada, qui reconnaît sa diversité intérieure».

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Les armoiries apparaissent sur les édifices publics, les insignes militaires, les édifices fédéraux, certaines monnaies et les passeports. Photo: Andréanne Joly, Francopresse

Un symbole figé?

Les armoiries sont donc proclamées en novembre 1921. Figées par leur description, qui laisse cependant place à l’interprétation artistique, elles seront légèrement modifiées en 1957. On demande alors «qu’un artiste héraldique canadien redessine, réinterprète et modernise les armoiries», rapporte Samy Khalid.

Les feuilles d’érable prendront dès lors plus de place au bas de l’écu, et passeront du vert au rouge.

De plus, la couronne qui chapeaute l’illustration sera changée puisque Elizabeth II, qui accède au trône en 1952, préfère la couronne de saint Édouard à celle de Tudor, que portaient ses prédécesseurs et qui se retrouve au sommet des armoiries.

À nouveau, en 1994, on ajoute l’anneau avec la devise du plus haut ordre national, soit l’Ordre du Canada.

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Le changement, une question politique

Des changements ont donc été apportés aux armoiries. Serait-il possible de les revoir, 100 ans après leur création? «Ce n’est pas une décision qui reviendrait à l’Autorité héraldique du Canada, c’est une décision politique», affirme celui qui dirige l’AHC.

On ne change pas des armoiries comme on change un logo, renchérit-il. «Généralement, les hérauts ont la tâche de créer des armoiries en choisissant des symboles qui vont durer.» Il faut aussi tenir compte d’un sentiment d’attachement à «quelque chose qui nous est légué et qu’on transmet».

Il y a toutefois des précédents. En 2017, la Ville de Montréal a ajouté un pin blanc au centre de ses armoiries pour reconnaître la contribution des peuples autochtones à la fondation d’Hochelaga.

Auparavant, le blason montréalais ne faisait allusion qu’à la France, à l’Angleterre, à l’Écosse et à l’Irlande – comme les armoiries du Canada.

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Les armoiries de Montréal, revues et adoptées en 2017 pour reconnaitre l’apport autochtone. Reproduit avec l’autorisation de la Ville de Montréal.

Les Premières Nations dans nos armoiries

Pour sa part, Terre-Neuve-et-Labrador vient d’annoncer un changement dans la description de ses armoiries.

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«Les modifications proposées visent à changer la description légale de la Loi sur les armoiries afin d’ajouter “Labrador” au nom de la province et de supprimer le mot “sauvages” pour le remplacer par “Béothuks”.»

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Carte postale des armoiries de Terre-Neuve publiée par Ayre & Sons dans les années 1930, peu après qu’elles aient été réadoptées. Photo: Archives de Terre-Neuve-et-Labrador

Le Dr Khalid, historien de formation, se permet de philosopher par rapport à ce changement. «Pour des raisons comme ça, il faut se demander: “Est-ce que c’est un mouvement éphémère? Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose à longue durée?” Aujourd’hui, on est vraiment dans un mouvement de réconciliation, de questionnement par rapport au colonialisme.»

Il poursuite la réflexion : «La beauté de la chose, c’est que l’interprétation symbolique d’armoiries, quelles qu’elles soient, peut évoluer en fonction de la personne qui s’y penche.» La branchette à trois feuilles d’érable, après tout, représente «tous les Canadiens, quels qu’ils soient».

«Est-ce suffisant?» Il lance la question et laisse chacun y répondre à sa façon.

Auteur

  • Andréanne Joly

    À titre de journaliste et de rédactrice, Andréanne Joly couvre les communautés francophones de l'Ontario et du Canada depuis 25 ans. Elle collabore notamment avec Francopresse, Le Voyageur de Sudbury et L'Express de Toronto. Elle travaille principalement à des dossiers liés à l'histoire, à la culture et au tourisme.

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