Haro sur les armes de poing, mais rien de plus contre les gangs de rue

Des armes du crime organisé saisies par la Police régionale de York (2020).
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Publié 31/05/2022 par Inès Lombardo

Le gouvernement Trudeau propose d’empêcher quiconque d’importer au Canada des armes de poing nouvellement acquises ou de les acheter, les vendre et les transférer au pays.

Ce projet de loi C-21 revampé, déposé ce lundi 30 mai, répond en partie aux demandes des organismes militants. Mais il constitue aussi une «grande déception», selon certains, puisqu’il ne prévoit pas assez d’argent pour «attaquer les causes».

Ce gel fédéral des armes de poing est la grande nouveauté du projet sur le contrôle des armes à feu, piloté par le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino.

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Marco Mendicino, ministre fédéral de la Sécurité publique, lors de la conférence de presse qui a suivi le dépôt de son projet de loi C-21 sur les armes à feu, le 30 mai. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

Pas de délestage aux municipalités

Nathalie Provost, survivante de la tuerie de l’École polytechnique de Montréal perpétrée en 1989 et membre du collectif PolySeSouvient, très actif dans la lutte contre les armes à feu, convient que «le gel est un bon début».

«ll y a un an, on parlait encore des municipalités» qui auraient été responsables de réguler les armes de poing. «C’est un progrès important.»

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Elle ajoute être «très contente» du projet de loi C-21 en matière de rachat obligatoire des armes d’assaut et du travail fait sur les chargeurs de grande capacité.

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Nathalie Provost, survivante de la tuerie de l’École polytechnique de Montréal et membre du collectif PolySeSouvient. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

Rachat d’armes prohibées

Car une autre nouveauté notable de C-21 est que le gouvernement s’engage à activer le programme de rachat obligatoire des 1500 modèles d’armes d’assaut prohibés depuis 2020 dans le courant de l’année 2022.

Initialement, le gouvernement avait annoncé une amnistie de deux ans avant qu’il ne lance son programme de rachat obligatoire. Cette amnistie a récemment été prolongée d’un an et demi, jusqu’au 30 octobre 2023.

C–21 laisse toutefois présager un déclenchement du programme avant cette échéance.

Parmi les autres changements, le gouvernement fédéral exigera aussi la modification des chargeurs d’armes d’épaule, limités à cinq cartouches. La vente et le transfert en seront interdits.

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Interdiction des armes d’assaut

«Le premier ministre et M. Mendicino nous ont dit clairement qu’il y aurait un amendement au projet de loi déposé aujourd’hui pour inclure [l’interdiction] complète et durable des armes d’assaut au Canada», a appuyé Nathalie Provost.

«Un projet de loi n’est jamais parfait. On va talonner le gouvernement de très près. Mais pour ce projet de loi, il y a eu les meilleures consultations qu’on a vues depuis 2015», s’est-elle réjouie.

Le Bloc québécois a également souligné des avancées. Mais sa porte-parole en matière de sécurité publique, Kristina Michaud, déplore qu’«en omettant de définir précisément ce qui constitue une arme d’assaut prohibée pour plutôt les bannir une par une, Ottawa redirige simplement les amateurs d’arme vers tout autre modèle identique n’étant pas encore inscrit dans sa liste noire.»

«Ils n’ont qu’à commander d’un autre armurier pour contourner la loi, c’est trop facile!»

Une arme d’assaut saisie par la Police régionale de York (2020).

Intensifier la lutte aux gangs de rue

Selon Irvin Waller, professeur au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, «il y a deux pas dans la bonne direction: interdire les armes d’assaut et le gel du nombre des armes de poing. Ça va limiter le nombre de ménages où il y a une arme de poing».

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Irvin Waller.

La «grande déception», selon lui, est qu’«il n’y a pas assez d’argent qui attaque les causes. M. Mendicino a parlé de 50 millions $ par an pour aider les villes à contrer les problèmes de gangs de rue. Il faudrait multiplier ce montant par dix», soutient Irvin Waller.

«Le fédéral dépense autour de 6 ou 7 milliards $ chaque année pour la GRC et le service correctionnel», ajoute-t-il. «Avec 10% de cet argent, c’est clair qu’on peut réduire la violence par arme à feu de 50% en quelques années. Même si [le gouvernement] n’est pas prêt à investir une telle somme, il faut viser au moins 500 millions $», estime le professeur.

Multiplier les travailleurs de rue

Il considère également que 50% des homicides avec armes de poing pourraient être évités dans les trois prochaines années si le gouvernement avait davantage recours aux travailleurs de rue pour accompagner les personnes impliquées dans ces violences et les victimes.

Pour traiter le problème à la source, Irvin Waller suggère entre autres d’investir plus d’argent dans des programmes de prévention de la violence auprès des jeunes. Comme le programme SNAP («Stop, n’agis pas, analyse et planifie») à Toronto.

«On a toutes les connaissances, mais Mendicino ne souhaite pas inverser la courbe. Les fusillades ont augmenté», s’exaspère le criminologue.

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Les armes de poing sont déjà illégales

Selon André Gélinas, ancien policier retraité de la section du renseignement du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) interrogé par Radio-Canada, «ce projet de loi est destiné à faire plaisir à des militants qui ont une analyse émotionnelle de la situation»…

«Abolir les armes de poing légales n’aura aucun impact sur la sécurité publique.»

Il fait valoir que de 95 à 99% des armes retrouvées après une infraction criminelle ont été acquises illégalement.

D’après Irvin Waller, ce sont plutôt 80% des armes qui entrent illégalement au Canada par les États-Unis. Le ministre Mendicino a avancé en conférence de presse qu’un million d’armes de poing avaient circulé au pays «dans la dernière décennie».

La police de Toronto saisit régulièrement des armes à feu, pour la plupart importées illégalement des États-Unis.

Les peines plus sévères sont inutiles?

Il a fait valoir que les peines maximales pour l’utilisation de ces armes passent de 10 à 14 ans avec le nouveau projet de loi, mais le professeur Waller évalue que «la loi compte trop sur les augmentations de peines pour diminuer l’utilisation des armes de poing légalement».

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«Les peines plus sévères aux États-Unis sont complètement inutiles, ce le sera ici aussi. Mais si on travaille sur la demande de ces armes de poing, on peut diminuer l’utilisation drastiquement», insiste-t-il.

Toutefois, des familles de victimes soulignent qu’une réduction des homicides passe aussi par un meilleur contrôle des armes légales. Notamment en s’assurant mieux du passé des demandeurs de permis d’armes de poing.

Un agresseur qui obtient un permis d’arme

Le tueur, ex-conjoint de Lindsay Margaret Wilson, décédée en 2013, possédait légalement une arme à feu.

Sa mère, Alison Irons, était présente lors de la conférence de presse du gouvernement, et a témoigné que sa fille «ne savait pas qu’il avait été condamné pour séquestration et agression dans le cadre d’un délit de trafic de drogue. Après sa sortie de prison, il a demandé un permis d’arme de poing et l’a obtenu.»

À cet effet, le gouvernement a assuré aux familles de victimes que cet été, les mesures de l’ancien projet de loi C-71, qui inclut une meilleure vérification du passé des demandeurs, seraient entièrement intégrées au projet de loi C-21.

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Alison Irons croit que «ce sera une loi complexe, mais nous la soutenons fermement».

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Alison Irons, mère de Lindsay Margaret Irons, abattue en 2013 par son ex-conjoint. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

Un écart dans le processus «drapeau rouge»

L’autre point sensible est la «loi des drapeaux rouges», qui permet à n’importe qui de s’adresser aux tribunaux pour tenter de faire révoquer les permis d’armes à feu de personnes connues pour violence domestique ou harcèlement criminel.

Cet aspect vertement critiqué de l’ancien projet de loi C-21 prévoyait la possibilité pour les victimes potentielles d’aller elles-mêmes en cour. Avec le nouveau projet de loi, l’identité de la victime est protégée.

Julia Tétrault-Provencher, membre du comité de direction de l’Association nationale Femmes et Droits (ANFD), nuance: «on ne sait toujours pas comment ces armes vont être mises hors des mains de l’agresseur».

Elle souligne qu’il reste un écart de temps dangereux pour la victime, entre le moment où une ordonnance va être émise pour retirer l’arme et le moment où elle va effectivement être retirée.

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«Est-ce que c’est le détenteur de l’arme qui va déposer son arme ou est-ce la police qui ira la lui retirer? Nous demandons une collaboration entre les forces de l’ordre et les contrôleurs d’armes à feu sans délai», plaide-t-elle.

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