Adeline Jérôme, «militante des langues françaises»

Histoire d’immigration

Adeline Jérôme, histoires d'immigration
Adeline Jérôme en vacances dans la baie Géorgienne en Ontario en 2013. Photos: courtoisie
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Publié 04/12/2021 par Marine Ernoult

C’est en 2006 qu’Adeline Jerôme découvre la francophonie minoritaire après quatre années passées au Québec. L’enseignante de français langue seconde, originaire de France, défend désormais avec passion le français à Ottawa. La Franco-ontarienne d’adoption appelle les gens à tisser plus de liens entre les francophones.

Dans le salon de sa maison, devant sa bibliothèque remplie de centaines de livres, Adeline Jérôme se définit comme une «militante des langues françaises».

«Je ne parle pas du français prescriptif de France qu’on apprend dans les livres. Je parle de la richesse des expressions et des accents de la francophonie canadienne, si diversifiée et multiculturelle», partage la quadragénaire.

Histoires d'immigration, Adeline Jérôme
Adeline Jérôme à Ottawa en 2020.

Choc culturel au Québec

Elle se souvient encore du «choc linguistique» qu’elle et son mari, Cédric, ont ressenti il y a 19 ans, à leur arrivée au Québec.

«Je n’imaginais pas qu’il y avait tant de différences alors qu’on a une langue commune. Pour moi, les Québécois, c’était des Français d’Amérique du Nord», sourit Adeline. Cela témoignait d’une «grande méconnaissance de la réalité canadienne» de l’autre côté de l’Atlantique.

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À l’époque, le couple s’installe à Longueuil, sur la rive sud de Montréal. Adeline n’avait jamais mis le pied au Canada, elle s’est laissée convaincre par son conjoint d’émigrer.

L’étudiante en histoire de l’art et en archéologie a abandonné ses études pour tenter l’aventure canadienne. «Je me suis dit « pourquoi pas, on va essayer et au moins on n’aura aucun regret »», se remémore Adeline Jerôme.

Histoires d'immigration, Adeline Jérôme
Adeline Jérôme et son mari Cédric lors de leur départ au Canada en juin 2002.

Adeline Jérôme ne regrette rien

Si son époux décroche immédiatement un emploi stable. La jeune femme multiplie les expériences comme commis de boulangerie, fleuriste ou encore chargée de projets au sein d’une entreprise spécialisée dans l’écriture braille.

Adeline ne regrette rien. «C’était une belle manière de m’intégrer et de découvrir la culture.» En 2005, elle reprend néanmoins le chemin des études et obtient un diplôme en secrétariat, administration et comptabilité.

Ces années québécoises laissent une impression mitigée à Adeline. «Les gens avaient un à priori sur moi. Dès que j’ouvrais la bouche, j’étais étiquetée comme la « maudite Française »», regrette-t-elle. «Je n’ai jamais eu le droit d’être Québécoise, car je n’étais pas née là-bas.»

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Histoires d'immigration, Adeline Jérôme
Adeline Jérôme en vacances à Wasaga Beach en Ontario en 2011, avec son chien Bagheera.

Secrétaire à Viamonde à Toronto

Ainsi, en 2006, lorsque son mari décroche une opportunité professionnelle dans la banlieue de Toronto, Adeline Jérôme n’hésite pas une seconde à déménager.

Alors qu’elle ne parvenait pas à trouver du travail au Québec, elle obtient presque immédiatement un poste de secrétaire au Conseil scolaire de langue française Viamonde.

C’est là qu’elle va faire sa «plus belle et plus grande découverte»: la francophonie minoritaire!

«C’était une surprise totale et, aujourd’hui, je la défends avec passion», réagit Adeline qui s’intègre tout de suite à la communauté multiculturelle du Grand Toronto.

«Je suis enfin devenue une Canadienne comme les autres. Personne n’a jamais eu de préjugés à cause de mon accent», salue-t-elle.

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Adeline Jérôme lors d’un séjour en France, au Mont-Blanc, en 2017.

Enseignante à l’Alliance française

Au fil des années, Adeline travaille comme secrétaire dans des écoles francophones, puis se lance dans la traduction et finit par donner des cours de français dans son voisinage.

Rapidement, elle réalise qu’elle a besoin de professionnaliser sa démarche. «Parler une langue et l’enseigner sont deux choses radicalement différentes», résume-t-elle.

Adeline retrouve une nouvelle fois le chemin des salles de classe et obtient un diplôme d’aptitude à l’enseignement du français langue seconde, en 2008. Son diplôme en poche, elle enseigne au campus de Mississauga de l’Alliance française de Toronto. Ainsi que dans d’autres instituts où elle donne notamment des cours à des fonctionnaires fédéraux.

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Adeline Jérôme à Ottawa en 2019.

Lutter contre l’insécurité linguistique

Dans son quotidien d’enseignante, Adeline tente de lutter contre l’insécurité linguistique de ses élèves.

«Transmettre une langue, c’est aider l’autre à communiquer. J’incite les gens à parler à leur manière avec leur accent, faire des fautes de grammaire à l’oral ce n’est pas grave», insiste la pédagogue qui regrette la hiérarchisation faite entre les différents idiomes.

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«Les francophones doivent arrêter de s’opposer et de se juger les uns les autres», plaide-t-elle. «Il y a un manque d’ouverture alors qu’on a une langue commune en héritage.»

Adeline Jérôme exige de meilleurs services en français

Depuis qu’elle habite en milieu francophone minoritaire, Adeline Jérôme ne se contente pas de transmettre sa langue maternelle, elle n’a de cesse de la défendre.

Son premier combat remonte à 2006. Scandalisée par la qualité déplorable du français des affiches d’informations dans le réseau de transport public du Grand Toronto, la Franco-Ontarienne dépose une plainte auprès du Commissariat aux services en français de l’Ontario.

La militante dépose de nombreuses autres plaintes auprès du gouvernement fédéral afin d’avoir de meilleurs services en français dans les aéroports. Mais aussi auprès de la municipalité d’Ottawa en raison de traductions officielles, «criblées de fautes, pire que des traductions Google».

Adeline participe également à la manifestation pour les droits des Franco-Ontariens, le 1er décembre 2018 à Ottawa.

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Depuis quatre ans, Adeline Jérôme et son mari sont installés dans la capitale fédérale. «On pensait qu’en habitant dans cet environnement officiellement bilingue, on se rapprocherait des services en français, mais ce n’est pas forcément le cas», déplore-t-elle.

Histoires d'immigration, Adeline Jérôme
Adeline Jérôme a participé le 1er décembre 2018 à la manifestation pour les droits des Franco-Ontariens à Ottawa.

«On ne sait pas où aller pour parler français»

À ses yeux, les francophones sont encore trop souvent isolés à cause du manque de lieux de rencontre clairement identifiés. «On ne sait pas où aller pour parler français.» À cet égard, elle salue les médias sociaux qui permettent aux francophones des quatre coins du pays de rester en contact.

Elle appelle également à redéfinir une francophonie canadienne plus ouverte, incluant davantage les francophiles et les nouveaux arrivants. «Chaque groupe ethnique reste de son côté, fonde sa propre association, on ne se mélange pas assez, c’est dommage», note Adeline.

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Adeline Jérôme lors d’un séjour en France en 2010 à Carcassonne.

Adeline Jérôme veut prendre sa retraite en France

Restée profondément attachée à la France, Adeline Jérôme sait qu’avec son mari, ils y passeront leur retraite dans une quinzaine d’années.

«On est incapable d’y travailler à nouveau, mais on y vivra volontiers comme touristes. Le patrimoine culturel et culinaire européen me manque», partage la Franco-Canadienne.

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Elle se dit néanmoins «terrifiée par la montée de l’extrême droite» dans l’Hexagone. «Quand on vit depuis si longtemps au Canada, on s’est habitué à une grande tolérance, à un vivre ensemble», poursuit-elle.

En attendant, Adeline Jérôme profite de la pandémie pour revenir à ses premières amours, l’égyptologie. Elle suit des cours en ligne en vue d’obtenir un certificat. Son rêve? Poursuivre jusqu’au doctorat, «même si je l’ai à 60 ans»!

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