Accès au logement: un fossé entre générations

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Selon la Commission canadienne des droits de la personne, «le droit à un logement adéquat est un droit fondamental pour tous et toutes au Canada». Photo: Wikimedia Commons, Peter Dickinson
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Publié 04/09/2025 par Lê Vu Hai Huong

Alors que le Canada a besoin de 700 000 logements de plus au cours de la prochaine décennie pour répondre à la demande, la crise actuelle provoque des tensions intergénérationnelles. Des voix appellent au calme et de ne pas perdre de vue le véritable défi systématique derrière le rideau.

En 2024, Statistique Canada révèle que les jeunes sont les plus touchés par le manque d’abordabilité des logements.

Sur les réseaux sociaux notamment, plusieurs pointent du doigt les baby-boomers comme l’une des sources du problème. Ils estiment que cette génération a eu un accès plus facile à la propriété et qu’elle cherche aujourd’hui à s’enrichir en laissant les prix des maisons grimper de façon démesurée.

Haro sur les baby-boomers

«Certaines personnes considèrent que les Canadiens âgés accaparent les logements disponibles dans le pays. Ils disent des choses comme “ils sont surlogés” ou “ils devraient quitter leur maison et laisser les jeunes y accéder”», raconte le président de l’Association canadienne des personnes retraitées (CARP), Anthony Quinn.

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Anthony Quinn Photo: CARP

Le chargé de cours à l’École d’urbanisme et d’aménagement du territoire de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), Erick Villagomez, fait la même observation et ajoute qu’une forte proportion de la jeune génération va vers l’extrême en utilisant des propos «hyperagressifs», pouvant aller jusqu’à exprimer de la «haine» envers les baby-boomers.

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Selon lui, ces accusations ne sont pas productives et ne mènent pas à des solutions.

Il met en garde contre ce discours, qui crée des tensions intergénérationnelles, entretient des stéréotypes discriminatoires, aggrave l’âgisme et détourne l’attention des véritables enjeux économiques.

D’après lui, la majorité des propriétaires aînés réagissaient aux conditions de leur époque et n’ont pas délibérément créé la situation actuelle. Bien que la valeur de leurs maisons ait augmenté, beaucoup sont «riches en logements et pauvres en liquidités», rappelle Anthony Quinn.

Logement vs spéculation

Erick Villagomez précise également que la majorité des aînés ne possèdent qu’une seule propriété, et non plusieurs comme des actifs à des fins spéculatives.

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Erick Villagomez. Photo: UBC

L’universitaire raconte une conversation qu’il a eu avec son ami qui a plus de 70 ans et qui lui a dit qu’il faisait partie «d’une génération parfaite, qui n’avait pas à se soucier de quoi que ce soit».

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Les aînés voient leurs propres enfants et petits-enfants affectés négativement et sont «prêts à encaisser le coup» si les prix du logement baissent, indique Anthony Quinn, car ils reconnaissent la nécessité d’une redistribution pour corriger la situation.

La jeunesse à la traîne

«Les coûts des logements augmentent sans cesse. Ça devient de plus en plus difficile pour les jeunes d’avoir accès au logement, surtout dans un contexte où les jeunes sont aux études, [car] ils ont d’autres dépenses, comme des frais de scolarité», explique le président de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), Simon Thériault.

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Simon Thériault. Photo: Annie-France Noël

Selon une étude de Statistique Canada de 2021, 46% des jeunes dans la vingtaine vivaient chez un de leurs parents, soit une augmentation significative par rapport à il y a 30 ans, lorsque seulement un tiers d’entre eux vivaient sous le toit familial.

Simon Thériault ajoute que le taux de chômage élevé chez les étudiants et la difficulté à trouver un emploi stable et payant, même avec un diplôme postsecondaire, réduisent directement leur capacité à se loger indépendamment.

Pour les jeunes francophones en milieu minoritaire, il précise que la situation est aggravée par la nécessité de déménager loin de leur foyer pour fréquenter des institutions postsecondaires francophones ou bilingues.

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Itinérance cachée

«Les autres générations pouvaient quand même aspirer à avoir une maison et économiser pour tout ça, mais [les jeunes] ne se sentent pas ce même vouloir […]. Ils sont déçus qu’ils ne soient pas capables d’être propriétaires un jour», observe Simon Thériault.

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Nick Revington. Photo: Josée Lecompte

Pour le professeur en études urbaines à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Nick Revington, ce manque d’espoir est renforcé par l’augmentation de l’itinérance. Même les jeunes éduqués avec un emploi n’arrivent pas toujours à se loger et se retrouvent sans-abri.

L’itinérance dans cette démographie n’est pas toujours visible. Selon le chercheur, elle prend souvent la forme d’itinérance cachée. Ils dorment chez des amis ou dans des bibliothèques universitaires.

Marché instable, État absent

Les prix actuels sont également le résultat d’un désengagement progressif du gouvernement canadien du secteur du logement dans les années 1990. «En raison d’un certain nombre de variables différentes, le gouvernement s’est retiré et a en quelque sorte abandonné la fourniture de logements au marché et au secteur privé», explique Erick Villagomez.

Selon lui, le marché privé, volatil et imprévisible, ne peut à lui seul garantir un système de logement stable et équitable.

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Nick Revington le rejoint et trouve que cette approche, axée sur la maximisation des profits, n’a pas réussi à proposer du logement abordable pour tous.

Les incitatifs actuels du gouvernement fédéral, comme le Compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP), bien qu’ils puissent aider à court terme, contribuent même à injecter plus d’argent dans le marché, faisant monter les prix davantage, critique le spécialiste.

Solutions sur mesure

Le professeur de l’INRS souligne que la définition de «logement abordable» par les politiques actuelles est souvent basée sur les prix du marché, plutôt que sur les besoins réels des ménages et leur capacité de payer. «“Abordable”, ça veut dire en dessous en dessous du prix du marché, ce qui n’est pas forcément abordable du point de vue d’un ménage.»

Anthony Quinn insiste sur le fait que les aides individuelles ne sont pas suffisantes; il faut des changements systémiques, comme des salaires plus élevés et une augmentation de l’offre de logements par le biais d’incitations à la construction.

Les mesures telles que la bonification du CELIAPP, proposée par la FJCF ou la reconnaissance des frais de loyer dans la cote de crédit, viseraient à alléger le fardeau des jeunes, suggère Simon Thériault.

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Selon Erick Villagomez, une réallocation des ressources et une refonte du système fiscal pourraient dégager des fonds importants pour le logement social et communautaire, plutôt que de subventionner uniquement l’accès à la propriété.

Il poursuit: le gouvernement fédéral semble vouloir se réengager dans le logement en finançant des coopératives, des habitations sans but lucratif et des projets de logements publics, ce qui est un virage par rapport aux décennies précédentes.

«Si vous regardez les programmes de logement à travers le monde, ceux qui sont les plus efficaces sont ceux où le gouvernement fait partie intégrante de cette vision à long terme», avance Erick Villagomez.

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