À la découverte de l’histoire militante du Kensington Market

Kensington Market
Une des rares épiceries restantes du quartier Kensington Market. Photos: Dominique Guillaumant
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Publié 27/08/2024 par Dominique Guillaumant

L’invitation de la Société d’histoire de Toronto nous conviait à passer 90 minutes avec Dominique Russell, coprésidente de la Fiducie foncière de Kensington Market, pour découvrir le passé comme le présent militant de ce quartier bouillonnant de Toronto. Cet historitour a largement tenu ses promesses!

Quand Loblaws voulait s’implanter à côté du marché

Le groupe s’est réuni devant le magazine T&T sur la rue College près de Spadina, soit à la limite Nord-Ouest de Kensington Market. Ce lieu représente une des premières batailles majeures contre Loblaws qui, en 2013, voulait y ouvrir un supermarché.

Cette arrivée du géant de l’alimentation risquait de sonner le glas de la plupart des petites épiceries du quartier. Mais surtout, de changer son aspect résidentiel avec l’ouverture de nombreux restaurants et bars. Donc, d’en faire un quartier beaucoup plus actif la nuit.

Malgré la mobilisation des commerçants, Loblaws a fini par ouvrir avant d’aller s’installer ailleurs, plusieurs années plus tard, non sans avoir fait des dommages.

Loblaws
Une affiche produite pour la campagne contre l’ouverture d’un Loblaw sur la rue College.

Activiste noir

Entamant la visite, le groupe est passé devant un chantier au 355 rue College où quelqu’un a gravé sur une poutre «Marcus Garvey lived here». Marcus Garvey était un activiste noir qui a milité pour le retour des Afro-Américains en Afrique et a fondé l’UNIA (United Negro Improvement Association).

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Cette organisation a eu des bureaux à cette adresse de 1925 à 1982, et Marcus Garvey l’a visité en 1932. Elle offrait plusieurs services comme une coopérative de crédit, un centre d’information et d’hébergement ainsi que d’autres services.

Kensington Market
Une simple inscription sur une poutre rappelle que l’association fondée par Marcus Garvey avait ses bureaux au 355 rue College de 1925 à 1982. L’édifice a été démoli en 2019.

Vagues migratoires

Car l’histoire du quartier et son développement sont directement liés aux différents groupes d’immigrants qui s’y sont installés. À commencer par les Irlandais et les Écossais au 19e siècle, suivis par les Juifs d’Europe centrale, puis, dans les années 50, les Portugais et les noirs, principalement Jamaïcains, sans oublier les hispanophones et les Chinois, dont le quartier est adjacent.

Tous ou presque attirés par les loyers abordables, le style de vie et l’aspect multiculturel de Kensington Market. Chacun de ces groupes y a trouvé sa place, certains restants, d’autres partants, alors que la population se diversifiait un peu plus avec chaque vague migratoire.

Kensington Market
Plaque installée à Bellevue Square Park montrant la diversité du quartier.

St-Stephen-in-the-Fields

Chemin faisant, le groupe a longé l’église anglicane St-Stephen-in-the-Fields, qui s’appelle ainsi car, au moment de sa construction vers 1857, la rue College s’arrêtait au niveau de l’Université de Toronto, et l’église était en plein champ.

C’est un autre maillon important du quartier, qui offre du soutien à des dizaines sinon des centaines de personnes pauvres et vulnérables venant chaque jour chercher à manger ou recevoir une autre forme d’aide.

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L’école communautaire Kensington

Au 401 rue College, l’école publique communautaire Kensington, ouverte en 1972, est un autre exemple de l’implication des habitants du quartier.

Ce sont surtout les femmes, qui à l’époque étaient principalement d’origine portugaise, qui ont insisté pour que l’école soit ouverte à la communauté et multigénérationnelle.

Kensington Market
Une sculpture pouvant servir de support à vélos, au coin de College et Augusta.

RioCan et Walmart

En 2014, une autre bataille avec un géant du commerce de détail s’est profilée à l’horizon avec le projet du développeur RioCan d’ouvrir un Walmart au coin de Bathurst et Nassau.

La demande pour un rezonage a finalement été rejetée par le Conseil municipal de Toronto. Ceci grâce à la mobilisation de la communauté et au support de quelques conseillers municipaux qui ont présenté une pétition de 93 000 signatures s’opposant à la demande.

Afin de pouvoir aller de l’avant, RioCan a fini par retirer Walmart de ses locataires potentiels, au grand soulagement des petits commerçants.

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La rue Bellevue

On connaît surtout le Kensington Market pour ses rues commerçantes comme Augusta, Baldwin et Nassau, où on retrouve les petites boutiques typiques de Kensington Market avec leurs auvents et étals devant les maisons victoriennes dont le premier étage a été transformé en commerce.

Cependant, d’autres rues moins fréquentées ont essentiellement une vocation résidentielle, comme Bellevue bordée de belles maisons victoriennes. Il y a quelques années, plusieurs d’entre elles ont été démolies pour faire place à un stationnement.

Là aussi, les groupes communautaires du quartier se sont mobilisés pour promouvoir la construction d’habitations à prix modique sur le terrain. Leur persévérance a fini par porter fruit: la ville vient de leur octroyer des fonds pour la construction de nouveaux logements.

Kensington Market
Jolies maisons victoriennes sur la rue Bellevue.

Denison Square

Au bas de la rue Bellevue, se trouve la rue Denison Square en l’honneur de George Taylor Denison, un membre de la milice britannique qui possédait un large domaine où il a fait construire une maison de style géorgien pour lui et sa famille appelée «Belle Vue».

Au fil du temps, ses héritiers ont morcelé et vendu le domaine. Si bien qu’au coin de la rue, leur maison a disparu pour faire place à la synagogue Kiever.

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Quant au Square Denison, rebaptisé parc de la place Bellevue, deux plaques ont été installées pour raconter l’histoire du quartier. Mais surtout, il est présentement occupé par des tentes de sans-abri qui nous rappellent que Toronto vit une crise du logement abordable.

Les hôtels fantômes

Les «hôtels fantômes», c’est ainsi que Dominique Russell nomme ces immeubles acquis par des promoteurs qui en expulsent les locataires pour les annoncer sur des plates-formes de location à court terme.

Plusieurs sont interdits. La communauté s’organise donc pour les localiser et s’assurer qu’ils ne peuvent plus opérer.

Kensington Market
Le stationnement fera bientôt place à un immeuble à logements.

La Fiducie foncière communautaire

Le phénomène, qui ne fait qu’accentuer le manque de logements abordables, est devenu un des principaux chevaux de bataille de la fiducie foncière communautaire, ou Kensington Market Community Land Trust. Cet organisme sans but lucratif a pour mission d’acquérir et de gérer des terrains et bâtiments pour la collectivité afin de permettre un usage communautaire et d’offrir des logements abordables.

En 2021, la fiducie a acquis avec l’appui financier de la ville de Toronto l’édifice au 54 avenue Kensington. C’est un immeuble à usage mixe avec des commerces et des logements à prix modique.

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Kensington Market
Le groupe de promeneurs de la Société d’histoire dans la rue Augusta avec ses bars et cafés colorés, autour de Dominique Russell.

Une communauté tissée serré

Tout au long de la visite, Dominique Russell nous a démontré de façon éloquente le pouvoir que peuvent avoir les citoyens quand ils se mobilisent et s’unissent pour préserver leur mode de vie et leurs valeurs.

Dans le quartier, les groupes communautaires sont mobilisés. À part la fiducie et le BIA, il faut aussi mentionner l’association Friends of Kensington Market, qui a joué un rôle important dans l’action et l’engagement contre l’ouverture du Loblaws. Ainsi que le Kensington Market Action Committee et la société d’histoire locale, la Kensington Market Historical Society.

Même si on leur a souvent dit qu’ils n’avaient aucune chance, ils ont persévéré, trouvé des alliés, et remporté plusieurs victoires.

café Pamenar
Au café Pamenar, une ligne de temps retraçant les moments forts du quartier de 1900 à nos jours.

Café Pamenar

Avant de quitter le quartier, un détour par le café Pamenar, sur Augusta, permet de consulter la ligne de temps exposée sur le mur longeant le bar. Celle-ci va de la création du quartier au début du 19e siècle à nos jours et détaille les moments forts qui ont marqué l’histoire de Kensington Market.

De plus, ce café a une des plus jolies terrasses du quartier, sinon de toute la ville.

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