À chacun son Everest

Everest
Une file d'alpinistes au sommet de l'Everest. Photo: iStock.com/Suraj Pokhrel
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Publié 11/05/2024 par Timothée Loubière

Gravir l’Everest, courir pendant 160 kilomètres, traverser la Manche à la nage… De tels exploits sportifs, longtemps réservés à une infime partie de la population, attirent de plus en plus de personnes, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

En me baladant sur le site du quotidien sportif français L’Équipe, je suis récemment tombé sur un texte long format qui en dit beaucoup sur notre société actuelle. Le titre de cette production: Everest: la cascade de la mort.

Depuis que j’ai vu, il y a quelques années, l’excellent documentaire oscarisé Free Solo, qui retrace l’exploit du grimpeur américain Alex Honnold, tout ce qui a trait au milieu de l’aventure – et plus spécialement en montagne – attise ma curiosité.

Premier obstacle dangereux

Dans Everest: la cascade de la mort, la journaliste de L’Équipe, Christine Thomas, s’intéresse au premier obstacle qui attend les alpinistes au départ du camp de base de l’ascension, situé à 5364 mètres d’altitude. La cascade de glace du Khumbu a la réputation d’être aussi majestueuse que dangereuse.

Depuis la première ascension en 1953, 46 personnes y ont perdu la vie, dont 16 il y a dix ans, le 18 avril 2014. Si les photos des bouchons au sommet de la plus haute montagne du monde ont fait le tour de la planète, c’est bien ce passage de glace qui est le plus meurtrier.

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En sous-texte, on comprend qu’outre le danger inhérent à la nature même de la montagne, ce sont les pratiques de certains «alpinistes» qui provoquent ces catastrophes.

Everest
Le camp de base de l’Everest, avant la cascade de glace du Khumbu, dans parc national Sagarmatha au Népal. Photo: iStock.com/Elena Slepitskaya

J’ai été sidéré d’apprendre que des agences proposaient de gravir l’Everest avec une option tout confort: grandes tentes avec plancher en bois et moquette, médecin personnel, chef cuisinier, bouteilles d’oxygène illimitées… tout ça pour la modique somme de 300 000 $ US.

Et tout ça, surtout, au détriment des sherpas, qui doivent trimbaler tout ce surplus sur leur dos. Écœurant.

Dans ces conditions, quelle est la valeur du défi sportif? Je ne peux m’empêcher de penser que beaucoup s’offrent cette ascension pour impressionner, cocher une case dans leur liste de choses à faire. Parce que ça fait «bien». Sans l’aide de bouteilles d’oxygène, combien y parviendraient? Seuls les alpinistes les plus expérimentés. Et ce serait très bien comme ça.

Ne pas viser le sommet dès le départ

Avec l’émergence des réseaux sociaux, nous sommes constamment exposés aux exploits des autres. Il suffit de faire un tour sur Strava, le réseau social des sportifs, pour voir des personnes faire 400 kilomètres de vélo par-ci, 100 kilomètres de course à pied par-là, ou encore des treks d’une longueur extrême dans un cadre enchanteur.

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Le tout enrobé d’un commentaire enthousiaste, soulignant à quel point cette épreuve physique a changé leur vie. Ce que je peux bien comprendre et le problème n’est pas là. Le problème, c’est la nécessité de se comparer sans cesse, de vouloir faire pareil, voire mieux, sans savoir si cela nous convient vraiment.

Et je parle en connaissance de cause. Moi aussi j’ai les yeux écarquillés face aux courses d’ultradistance mythiques comme l’Ultra-trail du Mont-Blanc, qui traverse l’Italie, la Suisse et la France, ou la Diagonale des fous à la Réunion. Moi aussi je rêve d’y prendre part un jour, alors que mon corps ne me le permet pas aujourd’hui.

Everest, Mont Blanc
Des participants à l’Ultra-trail du Mont Blanc. Photo: https://montblanc.utmb.world/

Victoires personnelles

Et c’est justement là où il faut savoir rester mesurés. Peut-être que nous n’arriverons pas à atteindre ces rêves. Pour des raisons physiques, mentales ou encore d’investissement. Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne sommes pas à la hauteur.

La valeur d’un accomplissement ne dépend pas de la hauteur du défi; elle dépend de la hauteur à laquelle nous partons.

Je suis un grand auditeur de balados sur la course à pied. Combien de fois ai-je entendu des néophytes se lancer dans cette pratique en doutant de leurs capacités à boucler ne serait-ce qu’une épreuve de 10 kilomètres? Et combien de fois les ai-je entendus décrire leur profonde émotion une fois la ligne d’arrivée franchie?

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Parfois, ce petit pas avant leur permet d’en faire un plus grand par la suite. Faire un trop grand pas tout de suite, c’est courir le risque de se brûler et d’abandonner.

Everest, Grand Raid Réunion
Sur le sentier du Grand Raid Réunion. Photo: Facebook

Résolutions du Nouvel An

Je pense aussi à ces résolutions de la nouvelle année, parfois démesurées. Sans doute poussés par une semaine des Fêtes excessivement caloriques, certains l’affirment haut et fort: «Cette année je m’inscris au gym!»

L’intention est louable et doit être encouragée, mais la mode du gym (ou du yoga, ou de la randonnée…) est-elle la bonne pour nous? À en juger par les taux de fréquentation des gyms en forte diminution après le mois de février, certainement pas pour tous.

Surtout, il ne faut pas oublier que pour réussir n’importe quel défi, il faut se préparer sérieusement. «L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage», disait l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson.

Le voyage, ici, c’est des mois d’entraînement, de découverte de soi par le sport. Avant de foncer tête baissée vers le sommet de l’Everest, certains feraient mieux de se le rappeler.

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Auteurs

  • Timothée Loubière

    Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.

  • Francopresse

    Le média d’information numérique au service de la francophonie canadienne, qui travaille de concert avec les journaux membres de Réseau.Presse.

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